IL FEDERALISTA

rivista di politica

 

Anno XIX, 1977, Numero 3, Pagina 196

 

 

A PROPOSITO DELLA MONETA EUROPEA
 
LETTERA DI MARIO ALBERTINI AI MEMBRI DEL BUREAU, SUCCESSIVAMENTE RIVOLTA AI MEMBRI DEL COMITATO FEDERALE DELL’U.E.F.
 
 
Chers amis,
Je n’ai pas reçu vos observations sur la situation européenne et l’action à mener en vue de la formation d’un point de vue commun à nous tous. C’est pourquoi je me borne à exprimer mon sentiment.
I. — L’élection européenne approche, mais le front européen reste immobile. Si nous constatons déjà les premières conséquences de l’élection européenne, notamment la formation de partis politiques européens, — et il faut bien admettre qu’on n’a jamais rien eu de semblable dans le passé et que c’est important — tout cela semble toutefois se passer dans une sorte de no man’s land. En effet rien n’a changé dans la situation, dans le climat politique, dans l’esprit des partis. Et rien non plus n’a changé dans la politique européenne même, qui continue à se détériorer dans tous les domaines. Il faut donc conclure que ce qui s’est passé jusqu’à présent n’est pas suffisant pour mettre en mouvement le front européen, et plus précisément, que la formation des programmes européens des partis n’est pas encore à la hauteur des changements déjà intervenus, tels que l’élection européenne et la formation de partis européens. A mon avis, cela montre la grande importance que les problèmes, dits « de contenu », revêtent à l’heure actuelle. Ces problèmes commencent en effet à rendre visible l’Europe à faire ou, si l’on veut, le changement européen à faire par l’élection européenne. Tout en ayant les instruments européens pour agir, c’est-à-dire l’élection européenne, les partis européens, cela n’est pas suffisant pour frapper le monde de la presse ni l’opinion publique. Il est nécessaire de faire comprendre à quoi doivent servir ces instruments pour intéresser vraiment l’opinion publique à l’Europe et aux instruments européens eux-mêmes.
II. — L’immobilisme dont je parle concerne l’U.E.F. même, ainsi que le Mouvement européen, etc. Par nos actions menées pour obtenir la décision européenne sur l’élection européenne, nous avons pu regagner de l’influence. Maintenant cela est terminé. Au niveau national en effet, ou bien la bataille est déjà gagnée, ou bien elle nous dépasse, comme c’est le cas en France. Aucune action équivalente n’a eu lieu depuis. Les difficultés que nous rencontrons (surtout la difficulté à trouver de l’argent) en sont la preuve. Nous sommes donc forcés d’admettre gue notre action n’est pas efficace. Mais cela s’explique par le changement de la situation. Il s’agissait jadis d’obtenir l’élection, aujourd’hui il s’agit du contenu, de ce qu’on peut obtenir par l’élection. Pour retrouver son influence, l’U.E.F. doit se montrer capable d’exercer une action utile par rapport à ce qu’on peut obtenir par l’élection européenne. Nous devons nous poser ce problème, c’est-à-dire celui de la priorité du contenu une fois l’élection acquise. Puisqu’il est valable pour les partis politiques, il est valable pour nous aussi. Il faut donc que l’U.E.F. trouve à cet égard une action efficace.
III. — Ce n’est que par un diagnostic de la situation et des possibilités d’action qui en découlent que nous pouvons identifier ce qu’il est possible d’obtenir par l’élection. A mon sens les données fondamentales qui caractérisent la situation actuelle consistent dans le fait que, grâce à l’élection européenne et à ses conséquences, — partis européens, programmes européens, engagement européen de grandes personnalités, formation d’une volonté publique européenne par le débat électoral et le résultat de l’élection (dans la perspective de la deuxième élection) — la Communauté disposera de la force indispensable pour faire de vrais choix européens, donc pour gouverner l’Europe dans le domaine dans lequel une certaine unité existe déjà, même au point de vue institutionnel, le domaine économique. Gouverner ne signifie pas tout gouverner; il s’agit dans ce cas de faire au niveau européen ce qui est nécessaire pour permettre le libre développement des nations. Mais pour ce faire il y a encore un obstacle. Avec neuf monnaies nationales, l’Europe, tout en étant parfaitement organisée, serait ingouvernable. Le Marché commun a bien fonctionné lorsqu’on avait les parités fixes, c’est-à-dire une sorte de monnaie européenne provisoire. Or si cela n’est plus possible, il faut une monnaie européenne, car les monnaies nationales sont maintenant en train d’éloigner de plus en plus les pays de la Communauté les uns des autres. C’est inévitable parce que, à moins de conditions particulières, il n’est pas possible de séparer le contrôle de la monnaie et des banques de la politique économique. C’est pour cette raison que tant qu’on n’aura pas une monnaie européenne on ne pourra pas faire une politique économique européenne, ni réaliser la convergence des politiques économiques nationales. Une telle convergence, au-delà de la confusion des mots, n’est essentiellement qu’une des politiques économiques européennes concevables en théorie (la faillite du Plan Werner est à rechercher justement dans la prétention de réaliser cette convergence avec les moyens de la divergence, à savoir les monnaies nationales). Et il faut en outre avoir présent à l’esprit que dans le monde moderne (sans une monnaie naturelle et donc avec un contrôle politique de la monnaie, des syndicats puissants, etc.), tout ensemble économique sans une monnaie et une politique économique communes ne peut avoir qu’un caractère provisoire. Ce système est en effet de nature à renforcer les forts et à affaiblir les faibles et engendre donc des politiques économiques de plus en plus divergentes. A cause de la crise économique et monétaire internationale et donc à cause de la fin des conditions particulières qui avaient permis le développement du Marché commun, l’Europe occidentale se trouve dans une telle situation.
IV. — Je crois qu’en partant d’un tel point de vue, on peut apercevoir avec une certaine clarté quelle est la ligne de développement de l’unité ainsi que celle de la division. La première se base sur l’élection européenne en y ajoutant la monnaie européenne: l’Europe devient gouvernable dans le domaine de l’économie, elle atteint donc le point of no return sur la voie de l’unité. La deuxième se base sur les monnaies nationales, qui peuvent nous amener au point of no return sur la voie de la division. Donc, si nous avons l’élection européenne, il faut se battre pour la monnaie européenne, parce que là se situe le point sur lequel on peut arrêter la marche de la division et reprendre le chemin de l’unité. Je crois que c’est ainsi. Je voudrais souligner que sans stratégie il n’y a pas d’action véritable et que, d’après Monnet, la stratégie européenne doit se baser sur l’identification du point qui fait la différence entre la victoire et la défaite et sur une action concrète et résolue sur ce point: « une action qui entraîne sur ce point un changement fondamental et, de proche en proche, modifie les termes mêmes de l’ensemble des problèmes ».
V. — L’élection européenne permet de poser le problème de la monnaie européenne. Lorsqu’il s’agit de propagande, la possibilité de la référence à un point seulement, avec un slogan clair, c’est une condition presque absolue de l’efficacité. En pratique, l’élection européenne va poser à tout le monde un problème: celui du choix européen, du changement européen à faire; nous pouvons exploiter cette situation exceptionnelle par la réponse « monnaie européenne », si nous décidons d’organiser notre action (la campagne civique pour l’élection) et notre propagande sur le point fondamental de la monnaie européenne, arrivant jusqu’à mettre en cause, sur ce point, les programmes électoraux européens des partis. Personne ne pourra nous reprocher d’ignorer les aspects techniques de la création d’une monnaie européenne, car ce n’est pas par des subtilités qu’on peut susciter l’intérêt de l’opinion publique et parce qu’il faut bien admettre que sans une opinion publique favorable, la création de la monnaie européenne n’est pas possible.
Ce que je viens de dire ce n’est que le point de départ pour réexaminer la situation et l’action. Mais il faut d’abord se mettre d’accord sur celui que je viens de proposer ou sur un autre point de départ.
Avec mes amitiés,
Mario Albertini
Pavia, le 3 décembre 1976

 

 

 

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