XIV année, 1972, Numéro 3, Page 127
L’ACTION DU M.F.E. EN FRANCE
Le Fédéraliste reproduit ici trois documents qui font le point sur la discussion en cours au sein de la Commission française du M.F.E. sur le renouvellement de faction du Mouvement en France et sa liaison avec les actions qui sont à l’étude dans les autres pays.
RAPPORT DE BERNARD BARTHALAY
DEVANT LA COMMISSION NATIONALE FRANÇAISE DU M.F.E.
DU 4 JUIN 1972
Le 13 juin 1971, devant la Commission française, j’avais tenté de définir la nature d’une intervention des fédéralistes en France, en rappelant l’exigence d’autonomie et le besoin d’une action à effet cumulatif dans le cadre de la lutte pour les élections directes et de ses développements.
J’identifiais un objectif instrumental : l’achat sur la base d’une souscription permanente d’un espace publicitaire dans la grande presse, comme véhicule d’un appel aux partis pour demander à leurs directions des rencontres sur l’élection directe et la constitution européenne.
Quelques mois plus tard, lors de mon investiture, j’avais reçu mandat d’élaborer à partir de ces grandes lignes un plan d’action publique pour l’élection directe du Parlement européen, avec le souci d’insérer l’action des fédéralistes dans la perspective des élections législatives.
Mes amis et moi achevions la rédaction d’un document (cf. supra) quand, à quelques semaines du Congrès, nos amis italiens se déclaraient à nouveau disponibles pour une action-cadre supranationale. Nous leur communiquions aussitôt ce projet à titre de contribution française à leur débat interne.
Depuis, compte tenu des décisions du congrès de la J.E.F. à Luxembourg, de celles du congrès du M.F.E. à Nancy, de l’engagement, dispersé et immobilisant, des fédéralistes français dans la bataille du référendum, de l’engagement intense et efficace des fédéralistes italiens dans la bataille des législatives et des premiers résultats de leur réflexion sur l’action-cadre, nous avons cru devoir reprendre le problème à zéro.
Aujourd’hui, les gouvernements ont choisi la confédération : les « fédéralistes » tièdes, je veux dire ceux de la rue Chauveau-Lagarde, l’ont choisie, eux aussi.
L’expression théorique de la ligne confédérale, c’est la souveraineté de l’Etat et sa couverture idéologique l’indépendance nationale ; son expression politique, c’est la conférence au sommet, la collaboration para-diplomatique et techno-bureaucratique entre les Etats et la consolidation du statu quo socio-politique mondial.
L’expression stratégique de la ligne confédérale, c’est l’exclusion de la participation du peuple à la construction de l’Europe, d’où la nécessité, si les fédéralistes veulent seulement mériter leur nom, de se battre pour la fédération sur une ligne dont l’expression théorique est la substitution de l’Europe des citoyens et des travailleurs à l’Etat national bureaucratique et centralisé.
D’où l’idée d’organiser une manifestation populaire qui exprime politiquement la volonté des fédéralistes, des forces démocratiques et de l’opinion publique d’obtenir la reconnaissance des droits civiques et du pouvoir constituant des citoyens européens, c’est-à-dire leur opposition constructive à l’Europe des Etats, du grand capital industriel et financier.
En substance, il s’agit d’organiser un contre-sommet, à l’initiative de la J.E.F. et de tous les fédéralistes qui ne répugneront pas, en cette occasion, à dire non aux gouvernements.
Mais, il y a ceux qui répugnent à se définir en s’opposant. En octobre comme en avril. Avril nous a divisés, il faut à tout prix qu’octobre nous rassemble.
A Nancy, après avoir renoncé à provoquer un vote sauvage du congrès sur le référendum alors qu’une forte majorité se serait prononcée pour le non, j’étais en droit d’espérer de vous un comportement également responsable, et des régions qu’elles feraient campagne sans consigne de vote. Il n’en a rien été.
Assurément, j’avais accepté, en mars, votre oui conditionnel, pour réserver l’avenir mais, en mon âme et conscience, je ne pouvais accepter les « perspectives nouvelles » qu’ouvrait Pompidou puisqu’il s’agissait (il le précisait aux électeurs dans sa lettre) de décider que l’Europe s’engageât dans la voie d’une confédération et (il nous l’a dit sur les ondes) de lui donner « mandat solennel de parler au nom du peuple français » à la conférence au sommet.
Je n’ai pas signé ce chèque en blanc. J’ai dit non.
Qui s’est, en vérité, contredit à quelques mois de distance en refusant l’intervention du congrès dans les affaires françaises après avoir, en approuvant le 28 novembre 1971 notre plateforme pour un renouvellement de l’action du M.F.E. en France, unanimement condamné la règle de non-ingérence dans les affaires des autres qui permet aux Etats d’opprimer, voire d’écraser par la force, minorités ethniques et religieuses ou opposition politique, après avoir unanimement condamné « la fuite continuelle en avant dans l’illusion des voies nationales » ? Qui s’est ainsi révélé incapable d’être cohérent avec nos positions antérieures ? On comprend, dès lors, que je ne me sois jamais senti tenu de me démettre, pour laisser le patrimoine fédéraliste entre des mains isolationnistes, quand on sait que l’isolement des régions et des commissions nationales dans notre Mouvement a toujours engendré, dans le passé, l’immobilisme.
Aujourd’hui, les gouvernements nous lancent le défi de leur sommet. Il faut le relever dans l’unité. Après vous avoir donné lecture du plan d’action-cadre que nous soumettons à votre approbation, je ferai dans ce sens une proposition précise.
Plan d’action-cadre pour la constitution européenne
La fédération est une constitution et le pouvoir constituant appartient au peuple. C’est pourquoi les fédéralistes ont toujours revendiqué la reconnaissance du pouvoir constituant du peuple des nations européennes.
L’élaboration de la constitution fédérale et la participation du peuple à la construction de l’Europe vont de pair. Le seuil de l’irréversibilité ne sera franchi qu’avec l’élection directe du Parlement européen, mais cette reconnaissance des droits civiques du citoyen européen n’est que l’instrument et la condition préalable d’une politique constitutionnelle globale d’adaptation de toutes les institutions aux exigences de la société.
Les aspirations qui parcourent la société européenne, les luttes qui l’ébranlent et les transformations qu’elle subit ne peuvent aboutir dans le cadre de la lutte pour les pouvoirs des Etats nationaux, mais dans le cadre de la lutte pour de nouveaux pouvoirs à créer sur la base d’une articulation constitutionnelle fédérale.
II faut donc, d’un côté, un cadre très large pour rassembler tous ceux qui sont et peuvent devenir favorables à l’élection directe du Parlement européen et, de l’autre, un cadre plus restreint, mais destiné à s’élargir, où peut s’inscrire l’engagement profond pour l’Europe constitutionnelle.
D’où la nécessité de concevoir une action-cadre capable d’additionner et de capitaliser les résultats dans l’espace et dans le temps :
1) Cette action-cadre ne peut plus se contenter comme les précédentes (Congrès du peuple européen et Recensement volontaire du peuple fédéral européen) de mobiliser des espérances. Les gouvernements ont déjà choisi la confédération. Il s’agit donc de mobiliser tous ceux qui choisissent la fédération et de présenter l’alternative confédération-fédération comme un choix à la fois politique et social.
2) Cette action-cadre doit produire comme les précédentes un effet cumulatif. La forme de la campagne doit permettre d’additionner les résultats obtenus sur tous les fronts socio-politiques. Chaque opération ponctuelle peut produire un effet immédiat, mais l’adhésion de groupes de citoyens et de travailleurs au projet fédéral, en portant sur le terrain constitutionnel des noyaux d’unité populaire plus avancés, doit permettre de capitaliser les résultats.
3) Puisque la caractéristique fondamentale de la ligne confédérale est l’exclusion de la participation du peuple à la construction de l’Europe, les fédéralistes doivent organiser à Paris le jour de la conférence au sommet qui s’y tiendra cet automne une manifestation populaire européenne qui exprimera la volonté des forces démocratiques d’obtenir cette participation, c’est-à-dire un contre-sommet.
Le contre-sommet, qui peut consister concrètement en un rassemblement suivi d’une manifestation, doit, d’une part, réunir toutes les forces opposées à la ligne confédérale et, d’autre part, constituer le point de départ des opérations d’action-cadre : les fédéralistes, les syndicats (en lutte contre l’Europe des patrons et qui doivent donner, par conséquent, une expression politique constructive à leur refus de la confédération), éventuellement les maires des communes d’Europe, les représentants des internationales des partis, les fonctionnaires des Communautés disposés à lutter ouvertement contre la ligne confédérale. Une action de ce genre (dont le succès dépendra de la participation de forces alliées de plus en plus nombreuses aux contre-sommets successifs et, entretemps, de l’ampleur et de l’intensité de la campagne), en mobilisant toutes les forces fédéralistes au niveau européen, renforcerait l’action pour l’élection générale du Parlement européen et, par conséquent, l’action pour l’objectif intermédiaire des élections unilatérales.
4) Un objectif instrumental politiquement efficace doit matérialiser périodiquement l’addition des actes élémentaires et des opérations ponctuelles.
L’achat d’un espace publicitaire dans la grande presse représente un objectif accessible non seulement pour demander publiquement aux directions des partis des discussions officielles sur les élections directes et la constitution fédérale, mais aussi pour mobiliser directement les citoyens et les forces démocratiques contre la confédération.
L’action-cadre doit donc revêtir la forme d’une souscription permanente. La parution d’une page fédéraliste est un résultat capitalisable : les fédéralistes peuvent inviter les lecteurs à souscrire à leur tour et demander à d’autres journaux de publier la page gratuitement.
5) L’action-cadre créera un lien organique entre les fédéralistes et l’opinion publique, les groupes politiques et sociaux et les intellectuels : a) l’action-cadre procurera aux fédéralistes une audience exploitable pour les prochains contre-sommets ; b) les organisations locales des partis et des syndicats qui accepteront de s’engager dans l’action-cadre seront appelées à constituer des comités d’action pour l’élection directe du Parlement européen ;
c) les intellectuels, les écrivains, les artistes, les savants, les chercheurs, les universitaires disposés à adhérer au projet de constitution seront appelés à constituer des comités d’action pour la constitution européenne.
6) Si une action de ce genre a un sens, on ne peut en définir que le point de départ. Ce plan doit se contenter d’en fixer les traits essentiels, afin d’en indiquer non la forme, mais la logique interne (capitalisation) et externe (point de repère).
7) Le texte officiel de la campagne sera le même pour toute la durée de l’action et comportera deux parties : a) rappel de la situation historique de l’Europe qui offre désormais le choix entre la confédération, c’est-à-dire la consolidation du statu quo au profit des forces conservatrices qui, disposant même à gauche de complicités déclarées, paralysent la société européenne, et la fédération, c’est-à-dire la destruction de l’Etat national bureaucratique et centralisé, la victoire sur l’impérialisme américain et le social-impérialisme russe, sur les fascismes méditerranéens, sur l’exploitation des travailleurs, sur la répression des aspirations de la jeunesse, sur le génocide culturel des minorités nationales ; et la construction d’un modèle de société où la qualité de la vie, le contrôle de l’homme sur le produit de son travail et la participation consciente et responsable des travailleurs à la gestion de l’entreprise et des communautés à la planification de l’économie globale seront les objectifs du développement des forces productives ; b) principes fondamentaux de la constitution fédérale à la lumière des exigences de la société politique contemporaine.
Le contre-sommet, expression maximaliste de l’opposition fédéraliste, n’aura pas l’agrément de ceux qui descendent dans la rue moins volontiers qu’ils ne fréquentent, passez-moi l’expression, les comités « Théodule ».
C’est à eux que revient de droit la charge de convier les partis à une conférence parlementaire pour l’élection directe du Parlement européen.
Voilà ma proposition.
Enfin, ceux qui jugeaient réducteur un plan d’action pour les élections directes, je le répète, ne peuvent pas en dire autant d’une action pour la constitution. L’alternative confédération-fédération est un choix global, à la fois politique et social.