IV année, 1962, Numéro 1, Page 103
LE IXe CONGRES DU M.F.E.
INTRODUCTION ET DOCUMENTS
DOCUMENTS
II. — MOTIONS PRESENTEES A LA COMMISSION POLITIQUE DU CONGRES
e) Motion présentée par Chiti-Batelli avec des amendements de Comessatti.
Le Congrès du M.F.E. et du C.P.E.,
I. — Constate que la situation européenne évolue de plus en plus dans un sens défavorable aux alternatives fédéralistes.
Quelles que puissent être, en effet, les aspects par ailleurs positifs, d’une part de la consolidation des états nationaux balayés par la guerre, de l’autre de l’expansion économique, enfin de la conclusion, dans le monde soviétique, de l’ère stalinienne, il est certain que ces événements ont contribué d’une façon décisive à redonner aux Etats, aux partis, aux classes dirigeantes et aux intérêts nationaux la confiance en eux-mêmes qu’ils avaient perdue dans l’après-guerre et ont atténué, aux yeux du citoyen européen, le sens du caractère anachronique et réactionnaire des institutions qui nous gouvernent.
II. — Mais cette situation contingente ne peut pas faire oublier que le conflit de fond de notre siècle est celui existant entre la nation et la fédération, et que l’union fédérale reste la seule alternative de progrès, l’unique solution qui peut permettre à l’Europe, non seulement de se sauver de sa décadence morale et de préserver sa démocratie, mais aussi d’offrir au tiers monde le seul message valable — celui fondé sur l’exemple, celui de l’unité pour dépasser ses contradictions et s’unir demain à l’Europe dans l’effort ultérieur pour créer un monde où la loi se substitue à la force.
III. — Il découle de cette constatation l’exigence que les fédéralistes renforcent, à plusieurs égards, leur engagement politique. Tout d’abord, ils doivent affirmer plus nettement leur autonomie de toutes les force nationales. Le fédéralisme est la seule véritable démocratie européenne, parce que seul il conçoit le cadre étatique continental adéquat pour que cette alternative puisse devenir une réalité.
Le fédéralisme est la seule force innovatrice et progressiste à la mesure de la société moderne ; la seule capable de s’opposer à toute forme de conservatisme, représenté par les intérêts constitués — politiques, bureaucratiques, classiques — cristallisés dans le cadre national.
C’est donc dans celle nouvelle perspective de « gauche européenne » d’alternative démocratique intransigeante — antinationaliste, antifasciste, anti-néocolonialiste, décentralisatrice — que le préalable institutionnel fédéraliste, c’est à dire l’idée de la Constituante, doit être repris et repensé. Mais dans ce cadre, la polémique fédéraliste pour contester la prétention des gauches nationales et des neutralismes, sans exception rigoureusement « nationalisés », d’être porteurs d’un programme valable de renouvellement, ne doit pas être moins intransigeante que la polémique avec les droites immobilistes et outrancières et avec l’européanisme officiel et « communautaire », masque hypocrite qui cache le maintien pur et simple du statu quo politique ; ou, pis encore, reste prisonnière de la conception de « l’Europe des Patries », dans laquelle revivrait la Sainte-Alliance. Pour les fédéralistes français, le moment est arrivé de choisir, s’il y a encore des réticents et des incertains vis-à-vis de l’impératif de se désolidarises de la politique du général de Gaulle et du mythe de sa personnalité.
Le mirage de faire de la France une puissance nucléaire est une folie qui, non seulement rend la paix plus instable, mais rend d’ores et déjà plus difficile la cohésion politique de l’Europe. Enfin, le procès lent et tourmenté de décolonisation dans l’Afrique noire, mais surtout en Algérie, s’accompagne de la pratique courante de la torture, qui disqualifie les Européens face au tiers monde. Or, une timide condamnation verbale n’est pas suffisante pour se désolidariser d’une telle complicité morale qu’une tolérance implicite fait retomber sur tous les Français qui n’ont pas eu un sursaut de révolte vis-à-vis de la pratique infâme de la torture. Seulement, comme citoyens d’une démocratie européenne renouvelée, ils pourront trouver la voie de la réhabilitation.
IV. — Une telle contestation restera à longue échéance stérile, si elle ne se matérialise pas dans la contestation directe de la légitimité des forces politiques nationales, c’est-à-dire de leur monopole du pouvoir politique, accompagnée par la prétention des fédéralistes d’accéder directement au pouvoir national et de s’en servir pour hâter l’état fédéral, à travers la convocation d’une Assemblée Constituante européenne.
A cette alternative — celle de la participation directe à la vie politique nationale dans une attitude de méfiance radicale et « d’opposition de régime » — les fédéralistes doivent se préparer d’ores et déjà : d’une part, approfondissant l’aspect essentiel du fédéralisme comme alternative de renouvellement et élaborant un programme organique de politique fédérale ; de l’autre, reconnaissant avec franchise l’insuffisance et le dilettantisme de l’organisation qu’ils se sont donnés jusqu’ici comme groupe de pression et conseillers des forces nationales, dans la double version du M.F.E. et du C.P.E. ; enfin, en centralisant et en renforçant leurs structures.
V. — La tâche immédiate reste toutefois, — dans une situation d’absence d’alternative concrète en Europe, et d’absence d’une politique organique et d’une conception globale à l’intérieur du fédéralisme lui-même — celle d’un approfondissement culturel et d’une politisation intense qui rendent explicites le contenu de renouvellement de nos schémas institutionnels, autrement vides et stériles ; enfin, d’une préparation massive de nos forces.
Le développement systématique et par tous les moyens de l’idée de la Fédération comme intrinsèquement liée à un programme de renouvellement démocratique, et plus en général, à la création d’une nouvelle société plus juste et plus libre, supérieure à la fois au monde totalitaire et au monde occidental tel qu’il est aujourd’hui ; la création d’une grande revue internationale qui soit l’instrument de cette idée ; la formation systématique des jeunes, dans le cadre de la ligne politique que nous venons d’indiquer ; le recrutement autour d’elle de nouveaux militants qui renforcent nos rangs et surtout apportent à leur intérieur le souffle nouveau d’un choix politique précis et courageux, constituent les tâches immédiates, le préalable nécessaire qui devra entièrement absorber les forces de nos organisations et de nos dirigeants jusqu’au nouveau Congrès.
Dans cette perspective, une importance particulière doit être attribuée à une campagne systématique de recueil de signatures qui doit constituer partout où il sera possible de la réaliser, un moyen modeste mais efficace de recrutement.
Une telle campagne est en tout cas ce que l’on peut sauver de l’expérience du C.P.E., dont la forme inutile des « élections primaires » devra être en tous cas définitivement abandonnée.
VI. — Ce n’est qu’après avoir franchi cette étape que les fédéralistes pourront se donner les objectifs plus concrets et plus ambitieux que nous avons indiqués et qui se résument sur le plan tactique dans le programme maximum de la conquête du pouvoir et dans le programme minimum de l’acquisition d’une influence suffisante, dans les équilibres parlementaires nationaux, pour provoquer la convocation d’une Assemblée constituante européenne, et sur le plan stratégique de la création de la nouvelle Société fédérale qui donnera à l’Europe le leadership de l’occident vers une Société plus juste et plus humaine.