LE FEDERALISTE

revue de politique

 

IV année, 1962, Numéro 1, Page 63

 

 

LE IXe CONGRES DU M.F.E.
INTRODUCTION ET DOCUMENTS
 
  

DOCUMENTS

 

I. — RAPPORTS PRESENTES AVANT LE CONGRES

 

c) Rapport présenté par Germain Desbœuf

 

Notre neuvième Congrès se tient à une époque particulièrement importante pour la construction européenne. Cette construction, commencée dans les esprits depuis longtemps, mais entrée dans les faits depuis 1952 avec la C.E.C.A., et depuis le 1er Janvier 1958 avec le Marché commun, a, déjà, à son actif, des réalisations considérables. Cependant, au fur et à mesure que le processus de cette construction s’approche des citadelles du nationalisme et du conservatisme arriéré, les obstacles se multiplient sur la route. Si cette construction peut déjà s’appuyer sur des alliés sérieux et regarder l’avenir avec lucidité et confiance, elle doit malheureusement aussi dénombrer ses adversaires qui, pour être beaucoup moins nombreux, sont souvent bien placés, pèsent de tout leur poids et utilisent tous les moyens à leur disposition pour freiner l’avance inexorable de l’histoire. Ces derniers savent qu’en fin de compte ils seront écrasés et ridiculisés, que l’histoire les condamnera sans appel, quoi qu’ils aient fait par ailleurs, ce seul crime contre l’authentique vocation française et contre l’humanité ne pouvant être racheté par aucun autre exploit.

Dans cette conjoncture notre Mouvement doit, à l’occasion de son Congrès, faire le point. Il doit, pour ses dirigeants plus encore que pour ses militants, déterminer pour une nouvelle période de deux ans, quelle part il doit prendre dans la lutte commencée pour l’édification de l’Europe ; quels sont, en fonction de ses forces appréciées sans dangereuse complaisance, les moyens qu’il pourra utiliser ; avec quels compagnons de route il œuvrera ; quels sont les grands principes sur lesquels il s’appuiera ; quelle est la politique, très précise dans ses grandes lignes et souple dans son application, à laquelle il devra se tenir jusqu’à ce qu’un autre Congrès en ait autrement décidé.

Si notre Congrès atteint ces buts en respectant, au cours dé ses travaux, les principes démocratiques auxquels notre Mouvement est fondamentalement attaché, nous pourrons nous féliciter d’avoir tous contribué à la tenue d’un beau Congrès indispensable au rayonnement de notre Mouvement et utile à la construction de la Fédération Européenne, but qui devra toujours être présent à l’esprit et au cœur des congressistes.

Nous aurons d’abord à nous prononcer sur une interprétation commune des événements qui se sont déroulés depuis quelques années et sur leurs conséquences probables dans un avenir proche, de façon à nous assurer que nous suivons tous approximativement la même voie et que nos réflexes sont déjà éduqués. Nous pensons aussi qu’il n’est pas utopique ni prétentieux de chercher à poser l’Europe sur l’échiquier de l’histoire à venir et de prévoir le rôle qu’elle pourra y jouer, ceci afin de faciliter la compréhension de notre orientation.

Ensuite nous devrons décider de l’activité et de l’attitude de notre Mouvement pour lui donner le maximum d’efficacité non seulement pour lui-même qui n’est pas un but en soi, mais pour la cause à laquelle nous nous sommes indéfectiblement attachés.

Il faut que notre Mouvement cesse d’être muet, du fait de sa paralysie interne. Il faut qu’il prenne position sur tous les problèmes d’actualité. Il faut qu’il sorte de la phraséologie des motions inutiles et des discours pour rien. Il doit plaquer à la réalité, s’y accrocher avec vigueur et sortir l’Europe de tous les marais dans lesquels on l’enlise.

I. — Où en est la construction de l’Europe. — Il n’est pas facile que, sur cette question, nous ayons un jugement objectif, car nous sommes des militants qui consacrent à cette cause le meilleur d’eux-mêmes, leur santé, leur famille, leur temps, leurs amis, leur argent. Nous avons donc le droit de nous montrer impatients et, ce faisant, probablement injustes.

Pour nous, rien n’ira assez vite. Nous sommes tellement imprégnés de notre sujet que tout ce qui est en travers de la route doit être sacrifié sans hésitation parce que nous savons que notre cause est bonne, juste, généreuse et humaine et que tout obstacle retarde le moment où les Européens jouiront ensemble des bienfaits que nous leur promettons

Mais nous ne sommes pas encore assez nombreux à penser ainsi et nos efforts n’ont pas encore réussi à emballer le roue de l’histoire, à laquelle sont, en face de nous, désespérément accrochés, ceux qui voient disparaître les injustices, les déséquilibres, les barrières, les préjugés, les haines, sur lesquels ils fondaient leur puissance ou leur fortune et dont il ne servirait à rien de nier l’influence qu’ils ont encore.

Ce qui est grave c’est qu’au XXe siècle l’histoire va vite et que les occasions manquées sont lourdes de conséquences. Si les horreurs causées par les grandes catastrophes mondiales, comme les guerres, soulèvent un sursaut d’énergie chez les peuples et leur font admettre des formes nouvelles d’association de leur destin, nous devons craindre que l’oubli envahisse à nouveau les consciences et que ces mêmes peuples retombent dans les ornières, du fond desquelles les véritables sirènes de la décadence les appellent.

L’effort des Européens, de tous les Européens, a-t-il cependant été vain ? Certes non ! — Jamais une idée aussi fondamentalement révolutionnaire n’a fait dans l’histoire des progrès aussi rapides, aussi profonds, aussi définitifs, quoi qu’il advienne. Il n’y a qu’un peu plus de 15 ans que la dernière guerre fratricide, qui déchira l’Europe, s’arrêta, après avoir accumulé de part et d’autre, en raison de son caractère politique, des haines solides et des résistances acharnées. Regardons cependant le chemin parcouru.

Cette Europe, que le monde oubliait, parce qu’à force de se détruire elle avait cessé tout rayonnement, parce que le phare de sa civilisation paraissait définitivement éteint et que d’autres grandes puissances s’empressaient de partager se dépouilles, tout en restant incapables de saisir son héritage spirituel et humain, cette Europe, simplement parce qu’elle a commencé à s’unir et parce que ses premiers pas dans une solidarité encore chancelante, sont couronnés d’un tel succès qu’à travers son Marché commun elle redevient d’un seul coup le point de mire de la terre. L’Angleterre s’incline, les U.S.A. s’approchent, l’Amérique du sud regarde attentive, l’Afrique accourt, l’Asie s’interroge et la puissante U.R.S.S. s’inquiète car l’un des dogmes importants du catéchisme léniniste s’écroule, celui de la contradiction interne des pays capitalistes qui devait les conduire à leur perte.

La discipline des pays de l’Europe des Six, librement consentie sur le plan économique, replace l’Europe à la tête des meilleurs rendements et de la productivité mondiale, assure le plein emploi de sa main d’œuvre, lui fait faire des progrès sociaux rapides et apporte un démenti flagrant à la supériorité des thèses collectivistes et soviétiques dont l’intégration, pourtant forcée, des pays soumis à son influence, s’avère beaucoup plus difficile.

Au moment où nous écrivons ce rapport, nous ne savons pas encore si des ordres seront donnés aux ministres intéressés pour qu’ils fassent preuve de compréhension et de patience envers leurs collègues dans les ultimes négociations qui vont se dérouler ces jours-ci, pour le passage à la deuxième période du Marché commun le 1er janvier 1962. Nous devons demander à tous ces ministres nationaux de ne pas perdre de vue le but à atteindre et de ne pas s’obstiner sur des positions juridiques.

Dans ces discussions, les hommes de la Communauté européenne sont seuls à faire entendre, dans des débats épuisants, la voix de l’Europe. On comprend pourquoi on voulait les réduire à un rôle purement technique. Mais qu’a fait notre Mouvement pour les soutenir ? Quel cri d’alarme a-t-il poussé ? Quelles démarches a-t-il faites, auprès de la presse, plus intéressée par le Katanga et Goa ? Quelle pression a-t-il faite sur ces Ministres ? Quelle belle occasion perdue ! Mais notre majorité ne se soucie pas de ces problèmes.

Ce serait une catastrophe psychologique, peut-être pas irrémédiable, mais certainement lourde de conséquence, si l’un des gouvernements, après avoir accepté l’accélération du Marché commun au cours de sa première période, demandait à user de la faculté que lui accorde le traité de Rome, de retarder le passage à sa deuxième période, sous le mauvais prétexte que l’un des partenaires n’a pas encore atteint l’intégralité des objectifs qui lui avaient été assignés par ce traité. Il faut reconnaître que la France est le pays qui s’est approché le plus près de ces objectifs, et son gouvernement actuel aurait beau jeu de s’en autoriser pour se montrer exigeant. Cependant nous restons sur ce point assez optimistes pour penser qu’aucun des Six Gouvernements ne voudra prendre la lourde responsabilité de donner un tel coup d’arrêt au Marché commun, au moment où celui-ci fait l’admiration du monde et redonne à l’Europe le sens d’un dynamisme qu’elle avait perdu dans ses ruines.

S’il est évident que des pays, comme l’Allemagne principalement, ont des difficultés réelles à adapter leur agriculture et de ce fait, une partie de leurs échanges internationaux, à un régime commun et que la majorité des autres éprouvent aussi des difficultés sur un point ou sur un autre, il faut que nous fassions preuve de compréhension et que, devant un calendrier d’engagements précis et progressifs, rigoureusement contrôlés et appliqués, nous acceptions le passage à la deuxième période. Nous aurons chemin faisant besoin de la même compréhension et il est utile d’être créancier de ses amis dans ce domaine. Pour nous Européens qui avons définitivement admis que l’intérêt de l’Europe doit primer celui de la Nation, comme celui de la Nation a primé celui de la Région, dans l’intérêt bien compris de tous, il faut faire admettre à nos gouvernements que personne n’a intérêt à mettre l’une quelconque des économies nationales en difficulté, sans avoir à en redouter rapidement les répercussions, car nous sommes déjà dans un marché de 170.000.000 de consommateurs.

A ce tableau positif sur le plan économique, il faut malheureusement opposer un tableau désastreux sur le plan politique. La cause réside dans les pressions que subissent la plupart des gouvernements de la Communauté européenne de la part des milieux nationalistes conservateurs impénitents qui refusent pour des raisons sentimentales parfois, mais souvent sordides et à courte vue, de laisser leur pays s’engager résolument dans la voie de la construction politique de l’Europe. Parmi ces gouvernements, il en est un, le gouvernement français, qui n’a besoin d’aucune pression pour s’opposer à cette construction. Ses deux principaux représentants ont fait et renouvelé des déclarations suffisamment précises pour que nous n’ayons plus d’illusions à nous faire sur ce point.

Nous devons particulièrement déplorer, comme un des coups les plus sensibles portés à la construction politique européenne, que notre gouvernement ait cru devoir lancer, la malencontreuse idée de l’Europe des patries, exprimée par ces « deux mots » irrémédiablement contraires, mais que la pression des événements a quand même contraint à associer pour ne pas heurter de front ce courant.

C’est plus revendiquer une responsabilité qu’un honneur de constater que la France joue un rôle moteur dans la construction de l’Europe et que, lorsqu’elle s’arrête de proposer une marche en avant, un silence règne dans les cinq autres capitales. Notre responsabilité dans le coup porté à la confiance dans l’édification de l’Europe politique, par cette notion d’Europe des Patries, n’en est que plus lourde.

Cette attitude est d’autant plus grave qu’elle est appliquée en toutes circonstances, dans les grandes décisions comme dans les petites et qu’aucune occasion n’échappe pour en poursuivre la mise en place. Tous les grands discours, toutes les prises de position, considérés comme officiels, s’adressant au public ou aux Chambres, n’ont cessé de réaffirmer que la préoccupation essentielle était le renforcement de la nation, le maintien de sa souveraineté intégrale et que la division de l’Europe Occidentale en nations définitivement établies, avec toutes leurs caractéristiques et leurs imperméabilités, était un dogme que reposait sur des principes naturels, humains, philosophiques, d’une telle puissance et d’une telle vérité que prétendre y toucher serait une folie pure et vouloir précipiter chacune de nos nations dans la ruine et la décadence. Il est difficile d’être plus éloigné des thèses que nous préconisons, mais c’est un fait sur lequel il faut compter et qu’il faut efficacement combattre.

Partant du même point de vue, notre gouvernement refuse de mettre en commun les premières connaissances acquises dans le domaine nucléaire et poursuit la réalisation d’une défense atomique nationale illusoire et même dangereuse au prix d’un effort financier disproportionné avec nos moyens. Cet argent inutilement dépensé fait gravement défaut dans d’autres domaines où nous prenons un retard qui sera difficile à rattraper.

Il en est de même en matière d’intégration militaire, ou pour la définition d’une politique commune. Nous refusons toute intégration et prétendons conserver intacte une souveraineté aujourd’hui vide de sens, n’en ayant même plus les apparences, tellement les nations sont aujourd’hui de gré ou de force interdépendantes.

Il est regrettable que l’attitude du gouvernement français ne provoque pas de sérieuses protestations de la part des autres gouvernements. On pourrait même parfois croire qu’elle les aide en leur évitant d’avoir à prendre des décisions importantes.

Les gouvernements européens n’ont pas encore assimilé la notion de communauté d’intérêt et ils continuent à défendre des positions particulières, nationalistes, concurrentielles, refusant de voir qu’en agissant ainsi ils se privent de tous les avantages que leur apporterait une Communauté puissante.

De toutes ces constatations nous devons, pour notre Mouvement, retenir que le nationalisme agressif et chauvin reste encore un obstacle qu’il faut réduire.

Il faut utiliser à cette fin toutes les occasions offertes. Nous devons refuser de nous associer à toutes les manifestations, commémorations, jours anniversaires qui rappellent inutilement des faits qui ont ensanglanté notre histoire commune. Il faut intervenir auprès de toutes les Radios-Télévisions européennes, réprouver les programmes qui persistent à diffuser des événements qui entretiennent la haine sous le fallacieux prétexte d’en perpétuer le souvenir. Il faut insister, pour que les programmes créent une ambiance favorable à la construction européenne.

Nous devons soutenir que, dans la phase constructive, le rôle de la France est de se montrer généreuse et d’aller de l’avant, même au détriment momentané de quelques intérêts mineurs ; elle en tirera ensuite le bénéfice moral et aura ouvert la voie à une évolution créatrice.

Parmi les éléments positifs qui jouent en faveur de l’Europe, il faut souligner l’importance prise par les Communautés européennes et par l’Assemblée parlementaire européenne.

Si les dirigeants du C.P.E. également membres de notre Mouvement, ont élevé des critiques sévères à l’encontre des Communautés, dont le rôle purement économique trahissait à leurs yeux la formation de l’Europe qu’ils désiraient immédiatement, nous avons toujours, de notre côté, appuyé, partout où on le pouvait, et dans la mesure de nos moyens, le remarquable effort qu’elles ont fait.

Qui oserait encore contredire que sans les Communautés on ne parlerait plus ni d’Europe économique, ni d’Europe politique depuis longtemps. Elles ont assumé un rôle difficile et ingrat. Dans leur sein, des éléments prennent la vocation européenne et œuvrent ensuite pour faire comprendre à leur propre nation la nécessaire évolution européenne. C’est une tâche ardue et pleine de périls et ceux qui ont le plus courageusement défendu l’Europe contre la Nation, après avoir fourni un travail harassant, risquent d’être récompensés par un congédiement de représailles.

C’est parce que les Communautés existent, avec tous leurs services, leurs techniciens et leur état d’esprit, que l’Europe impose sa présence réelle dans la vie des nations, dans les délibérations gouvernementales, dans l’élaboration d’une nouvelle politique économique européenne. Dans tous les débats, elles s’imposent par leurs connaissances, par les solutions qu’elles préconisent et si elles ne se heurtaient pas constamment à la mauvaise volonté des ministres, l’intégration européenne serait aujourd’hui presque terminée.

La diplomatie éclairée et la ténacité des Communautés en ont fait le partenaire obligatoire de toutes les grandes conférences économiques occidentales. Dans les jours qui s’écoulent actuellement, elle doit redoubler encore d’efforts, afin que les heurts des conceptions nationalistes impénitentes ne fassent pas obstacle au passage du Marché commun à sa deuxième période.

C’est aux Communautés que l’on doit, par l’action sur les cadres africains, par les stages qu’elles leur ont permis de faire pour s’initier aux choses européennes, de voir aujourd’hui tous les nouveaux Etats africains francophones, dès leur indépendance, demander leur association à la C.E.E., reprenant ainsi, avec un rare bonheur, sans néo-colonialisme, des relations que la France seule était dans l’obligation d’abandonner. Grâce aux Communautés, la France ne sera pas complètement absente de la vie nouvelle qui s’ouvre devant ces jeunes Etats.

Si tout n’est pas parfait dans les Communautés, il faut en chercher la cause dans les traités qui ne leur ont pas assez donné de pouvoirs, dans l’attitude des gouvernements nationaux qui les briment. Pourquoi leur faire le reproche de n’être qu’économiques ? — Elles préparent inéluctablement l’Europe politique dont les Etats-Nations devront bien un jour se rendre compte qu’elle leur est devenue indispensable.

L’Assemblée parlementaire européenne joue aussi un rôle important. Composée de parlementaires désignés par les Etats-Nations, mais élus chez eux par le suffrage universel, son influence grandit. Comme dans les Communautés, leur travail en commun leur donne un esprit européen, au nom duquel ensuite, ils luttent pour voir leurs prérogatives augmenter et pour arracher aux souverainetés nationales sclérosées les premiers éléments d’une souveraineté Européenne supranationale.

Si nous sommes tous d’accord sur cet inventaire de l’évolution Européenne à ce jour, il est facile de déterminer notre attitude dans les principales questions d’actualité nous intéressant directement.

II. — Attitudes et positions du M.F.E. — Notre Mouvement doit concourir à l’élaboration d’une authentique et grande politique européenne. Parce que nous sommes libres de nous exprimer, que nous n’avons pas la lourde tâche de la négociation et de la transaction et que notre action n’est pas freinée par le poids des réalités, il nous est possible de formuler, devant tous les problèmes de l’actualité, la solution théorique qu’un vrai fédéraliste européen doit donner. Ces solutions, il faut ensuite les faire connaître et pour cela notre Mouvement doit reprendre une audience qu’il a perdue.

Pour cette formulation, nous devons être exigeants et nous en tenir strictement à nos principes, conformes au but à atteindre sur lequel il n’y a pas entre nous, du moins nous l’espérons, de divergences. Mais nous devons aussi indiquer l’attitude transitoire, mais progressive, qu’une Fédération Européenne prendrait, si elle était déjà née et dotée de ses institutions ; alors intervient aussitôt la notion du possible et du réalisable et les solutions telles que nous les voyons doivent servir de guide à ceux qui ont la redoutable mission de faire l’histoire de chaque jour.

S’il est nécessaire qu’un mouvement très militant soit au-delà de ce qui est immédiatement possible, il est inutile et inefficace de demeurer obstinément dans l’irréalisable. S’il est nécessaire que ce même mouvement néglige dans son programme théorique un certain nombre d’obstacles évidents, il est indispensable que dans son action journalière il tienne compte de ces obstacles, ne serait-ce que pour les vaincre avec les moyens appropriés.

Notre Mouvement n’est pas conçu pour une action éthérée, au profit d’intellectuels passionnés qui décrochent volontairement des réalités avec lesquelles ils ne souffrent aucune compromission et qui préfèrent attendre, dans un fier isolement l’heure, qui risque de ne pas venir, où l’Europe suffisamment faite par les autres, n’aura même plus besoin d’eux.

Ces quelques idées gouvernent à nos yeux, l’attitude que nous devons prendre devant les principaux problèmes que nous allons énumérer.

Réunification de l’Allemagne. — L’Allemagne de l’Est est un territoire européen. Le nier est un non-sens. Demander aux Allemands de l’Est de renoncer à revenir dans la Mère patrie alors qu’ils tentent encore tous les jours, au péril de leur vie, de franchir un mur inhumain, est inadmissible. Demander aux Allemands de l’Ouest de renoncer à la réunification, tant pour tout ce que cela représente pour eux sur tous les plans, que pour la position politique inévitable qu’ils doivent prendre est insoutenable. La question allemande restera donc posée jusqu’à sa solution définitive, même lointaine, la réunification.

C’est là qu’en Européens nous devons intervenir pour faire comprendre aux plus impatients que toute solution brutale doit être écartée, que l’Allemagne ne peut chercher la solution dans son détachement de l’Ouest, dans sa neutralisation sans perdre en même temps sa liberté et sans amener rapidement l’U.R.S.S. sur le Rhin, avec tout ce que cela signifie pour tout le monde.

Pour couper court à la campagne déclenchée contre l’Allemagne revancharde, il faut qu’elle cesse en même temps que les autres nations des Six d’être un Etat indépendant, jouissant de sa diplomatie et de son armée et qu’intégrée dans une Fédération Européenne, cette campagne manque de base, à moins d’englober toute l’Europe dans le qualificatif « revanchard ».

Alors, le ministre des Affaires étrangères de l’Europe face à la Russie aura la puissance, les moyens diplomatiques et économiques suffisants. Il pourra disposer de garanties et de contreparties utiles dans cette négociation. Il aura derrière lui le Fédéralisme Européen avec sa force d’attraction sur tout l’Est Européen ! ce n’est pas un des moindres atouts pour se faire entendre. Nous devons nous opposer à tout plan Rapacki ou autre visant à neutraliser une partie du territoire européen. L’Allemagne doit donc sacrifier momentanément quelques intérêts économiques pour arriver à cette Fédération politique européenne. D’ici là, il lui faut prendre patience et rester indissolublement attachée à l’Europe, sous peine de se perdre, intégralement. La réunification de l’Allemagne passe par l’Europe.

L’Espagne. — Notre Mouvement doit par tous les moyens possibles faire connaître aux Espagnols l’effort d’unification qui se fait à leur porte et les y associer, sans se mêler plus avant de leur politique intérieure. Tous les échos qui nous viennent d’au-delà des Pyrénées nous disent suffisamment quelle espérance représente pour eux la construction européenne et la possibilité d’y prendre place un jour. Le peuple espagnol n’est pas encore suffisamment informé de ce qu’est l’Europe, pour donner un sens plus précis à cette aspiration. Il faut que notre documentation puisse entrer librement en Espagne, sans compromettre. Il faut que ceux qui luttent pour convaincre que le destin de l’Espagne est de rentrer dans l’Europe active, ne soient pas jetés en prison. L’heure des martyrs pour l’Europe n’a pas encore sonné à l’horloge espagnole et nous avons besoin de militants.

L’Angleterre. — C’est indiscutablement une très grande victoire pour l’Europe que de voir l’Angleterre, pour la première fois dans toute son histoire, se sentir suffisamment européenne pour prendre avec le continent des accords d’intégration définitifs. Il faut que le succès extérieur du Marché commun soit retentissant et que la vie d’une nation seule devienne réellement difficile pour en arriver là. L’Angleterre se trouvait à la croisée des chemins, elle a choisi. Je crois la décision sincère, mais l’évolution européenne du peuple anglais est très en retard sur la nôtre et peu facilitée par son insularisme naturel. L’arrivée de l’Angleterre ne peut pas passer inaperçue et ses propres engagements pèseront sur les destinées de l’Europe.

Notre devoir est de réserver le meilleur accueil à cette nouvelle arrivée, mais de veiller jalousement, jusque et y compris la rupture des négociations, malgré le chantage à la division de l’Europe, à ce que le Marché commun reste lui-même avec sa vocation politique et son intégration totale définitive et ne devienne pas une vaste zone de libre échange, sans esprit communautaire et sans volonté de construire une Fédération politique. Si l’Angleterre trouve le bond à faire trop difficile, il lui sera toujours loisible de choisir l’association au Marché commun, dans laquelle on peut régler à sa convenance la contrepartie aux efforts qu’elle est prête à consentir. Il y a des purgatoires auxquels on est condamné pour ne pas avoir vu à temps le chemin de son destin.

Une position identique doit être prise avec les autres pays de l’A.E.L.E., bien que l’entrée du Danemark dans le Marché commun ne pose aucune question particulièrement grave et que celle de la Suisse devra être facilitée au maximum.

Les U.S.A. — Les U.S.A. ont depuis le début encouragé l’Europe dans son effort d’unification qui leur est sympathique, car il leur rappelle le processus par lequel ils ont construit leur propre fédération.

Ils ont également immédiatement compris que les pays de l’Europe Occidentale, s’ils restaient isolés, ne pourraient longtemps résister à la pression soviétique et ils ont courageusement accepté de voir se créer une force économique aussi puissante que la leur, plutôt que d’assister à la disparition progressive des Etats de la vieille Europe.

Dans la phase d’opposition menée par l’Angleterre, à la tête de la grande Zone de libre échange, puis de l’A.E.L.E., ils ont toujours joué la carte de la communauté européenne, et cette attitude est une des causes de la décision prise par l’Angleterre d’adhérer au Marché commun.

Certains Européens ont pu laisser croire que l’Europe pourrait se dresser en face de l’Amérique. Il ne peut rien en être. L’Europe est occidentale et sera toujours en étroites relations avec le monde occidental, mais elle peut être un moyen de compréhension entre les mondes qui s’opposent actuellement et sa puissance peut éviter des actes désespérés ou irréfléchis.

Une Fédération Européenne déchargera les U.S.A. d’une partie de la responsabilité de la politique qu’ils assument seuls actuellement. Elle pourra alléger leurs engagements sur notre continent dans la mesure où elle représentera une force capable de résister aux folles entreprises.

Notre Mouvement doit appuyer ou provoquer les prises de position qui s’inspireront de cette attitude.

La puissance militaire de l’Europe intégrée jouerait un rôle important dans l’O.T.A.N. dont elle ne peut être détachée.

Enfin, l’Europe doit se préparer, dans un mouvement de libération des échanges, à affronter la concurrence américaine sur notre territoire et sur le sien.

L’U.R.S.S. — L’Europe n’est pas une machine de guerre anticommuniste. S’en servir dans ce sens est bien mal la comprendre. Il est évident que la construction économique de l’Europe et à plus forte raison encore sa construction politique faussent le plan d’expansion des Soviets. L’Europe démontre que son économie est restée jeune, qu’elle est capable d’évoluer et de s’adapter aux conditions qui paraissaient impossibles.

L’Europe est mieux placée que quiconque pour régler avec l’U.R.S.S. les nombreux problèmes qui se posent sur le continent européen et notamment le problème allemand.

Plus l’emprise soviétique s’étendra sur le monde, plus son unité deviendra fragile. Elle règne par la pression sur les territoires qui sont à la portée de l’Armée rouge. Pour les autres, c’est une autre affaire.

Le pouvoir d’attraction que l’Europe exercera inévitablement, pacifiquement, sur les pays satellites, amènera à composition les dirigeants réalistes du Kremlin. Notre Europe balkanisée d’aujourd’hui ne peut pas jouer ce rôle. Tant que nous resterons dans la division diplomatique que nous avions en 1939, rien ne changera. Quand le ministre des Affaires étrangères de la Fédération européenne rencontrera son collègue soviétique, il n’est pas difficile de supposer qu’on entendra enfin un autre langage.

L’Europe entend défendre sa culture, sa liberté, telles qu’elle les conçoit. L’Europe veut faire la démonstration que le bonheur de l’Homme est un idéal qui peut enthousiasmer les foules, plus que celui de la toute puissance de l’Etat. Dans la compétition économique qui s’annonce entre des systèmes qui vont vouloir faire la preuve qu’ils sont les mieux adaptés pour faire le bonheur des humains, l’Europe a des atouts majeurs qu’elle veut jouer. Il y a deux mille ans qu’elle apporte au monde la lumière et l’espérance ; en s’unissant elle en ravive les sources.

Notre Mouvement ne doit pas s’engager dans des combats qui ne sont pas les siens, ni soutenir ou combattre des idéologies politiques déterminées. Sa mission essentielle est de construire une Europe qui puisse, sur tous les problèmes qui précèdent, affirmer une position authentiquement européenne, appuyée sur un Fédéralisme et un Humanisme sans défaillance.

L’Afrique. —Il faut être bien persuadé que l’Afrique est plus indispensable à l’Europe que l’Europe ne l’est à l’Afrique. Cependant les nouveaux Etats africains francophones et bientôt, nous l’espérons, les anglophones, ont compris ce que l’Europe était pour eux et ont spontanément recherché son concours. Grâce à la façon dont la France a su, dans la grande majorité des cas, sortir de l’ère coloniale, ces pays que nous avons formés, éduqués, restent à nos côtés. Mais ils se réjouissent particulièrement de la construction de l’Europe qui leur apporte une puissance financière, technique, humaine que la France seule n’avait plus.

De plus, le dialogue avec l’Europe ne pose pas les mêmes problèmes qu’avec l’ancien pays colonisateur et sur le plan psychologique au moins, les rapports en sont facilités.

La réussite de la mission des Communautés dans ce domaine est grande. Une nouvelle formule d’association doit être trouvée, aussi étroite que possible. Cependant une « Eurafrique » où tous les Etats africains et européens seraient fondus sur le même pied me paraît exclue, ces jeunes Etats ne voulant pas si tôt reperdre une partie de l’indépendance qu’ils viennent de reprendre.

Quand la paix sera enfin revenue, la place d’une Algérie ou d’une Fédération mograbine, est toute indiquée auprès de la Communauté européenne, qui pourra probablement seule, rendre à ces territoires éprouvés la confiance et la prospérité.

Notre Mouvement doit prendre une position ferme dans ce domaine, évitant soigneusement tout néocolonialisme et respectant l’indépendance et la légitime fierté de ces jeunes Etats. Il doit leur montrer que l’Europe est la terre la moins raciale, la plus apte à achever leur développement et à les aider dans tous les domaines.

Nous nous excusons de cet exposé des grandes questions internationales, mais il nous a paru indispensable que le Congrès se prononce sur chacune d’elles de façon à ce que les travaux du Comité central qui sera élu aient un fil directeur. Notre Mouvement ne peut être plus longtemps absent de toutes ces discussions et si nous prétendons avoir une opinion sur elles, il faut la faire connaître, ou alors le Congrès devra dire que ces problèmes d’actualité à travers lesquels l’Europe, chaque jour, se fait ou se défait, ne l’intéressent pas, et qu’il préfère, en toute sincérité, rester sur les hauteurs inaccessibles des projets lointains qui enjambent les réalités et font qu’on s’en remet à d’autres du soin de bâtir la maison.

III. — Nos moyens d’action. — Il est de nos membres qui ont une fâcheuse tendance à l’activisme. De nos jours, ce mot n’a pas besoin de définition complémentaire et si son étymologie est insuffisante, sa réalité est particulièrement détonante.

C’est bien mal comprendre le problème aujourd’hui que d’utiliser pour vaincre une réalité qui résiste, quelles que soient d’ailleurs les formes de cette résistance, des moyens brutaux, d’avoir recours au scandale systématique, de prendre des airs révolutionnaires, de jeter l’anathème sur telle ou telle institution, de qualifier de termes injustes des hommes qui luttent dans la réalité et d’englober dans une même réprobation tous les hommes qui appartiennent à une même assemblée, à un même mouvement, ou à toute autre formation, officielle ou non. Cette vision simpliste des problèmes dénote un manque absolu de connaissance du milieu dans lequel l’action doit se développer et conduit à une série d’erreurs qui, en fin de compte, ont voué notre Mouvement à l’inefficacité et lui ont souvent fait prendre une attitude qui ne lui est pas avantageuse.

Si l’histoire abonde en faits dans lesquels une action vigoureuse, révolutionnaire, sanglante même, a été couronnée de succès, combien d’autres se sont soldés par un lamentable échec ; avant de s’engager, il faut s’assurer que les conditions du succès sont réunies.

Toute action violente, si elle est prématurée, déflore et dénature l’idée. Ne tombant pas sur un terrain suffisamment préparé, elle provoque des réactions également brutales que l’adversaire utilise. L’action échoue et compromet l’idée. Pour s’être trop pressé, on a tout perdu.

Cette action provoque toujours une griserie verbale qui conduit à la surenchère. Nous ne savons quels excès certains se proposent de commettre. Tout ceci ne peut que nuire à notre Mouvement et à l’idée européenne, dont les peuples d’Europe ne conçoivent pas aujourd’hui qu’elle puisse prendre le pouvoir par la force.

Si dans une réunion publique et même dans un Congrès, des suggestions de cette nature peuvent enthousiasmer les auditeurs, surtout quand elles sont faites avec l’éloquence nécessaire, il faut se rendre compte de leur inefficacité. Parce que ce gargarisme n’a aucune possibilité pratique, parce que à l’échelon de nos sections et de nos militants il est inexécutable, il ne sert à rien, sinon à provoquer le découragement, l’inaction, et à constater, une fois de plus, qu’une excellente occasion de faire des choses possibles a été manquée. A l’extrême, on pourrait presque soutenir que l’anesthésie volontaire d’un mouvement ne trouverait pas de meilleur moyen.

Pour nous et par l’exemple que peut donner l’activité constante de notre région et par les résultats positifs que l’on a recueillis dans tous les domaines, notre ligne de conduite a obtenu des résultats tangibles et durables. Elle n’est pas seule à pouvoir s’enorgueillir de tels résultats. Toutes le régions qui ont utilisé la même méthode dans le même état d’esprit, ont été également satisfaites. Tandis que depuis plusieurs années, notre Mouvement à l’échelon national et international n’à joué qu’un rôle minime dans la construction de l’Europe, bien qu’ayant à sa disposition la plus forte structure et le plus grand nombre de militants.

Notre action reste celle du damier, être partout sur toutes les cases parmi les meilleurs. Puisque nous sommes sûrs de la valeur de notre idée, nous pouvons la confronter partout. Puisque nous sommes aussi des fédéralistes, nous pouvons nous adapter à tous les milieux dont nous respectons l’autonomie et le comportement. Ceci demande de tous nos militants non pas l’effort sporadique d’une action d’éclat qui demande un mois de préparation, ne dure qu’un jour et comme un feu de bengale vous fait ensuite retomber dans des ténèbres plus profondes, mais l’effort de chaque instant dans la famille, dans la profession, partout où l’occasion peut être saisie d’expliquer ce qu’est la construction de l’Europe, ce qu’elle apporte, ce qu’elle sauve.

Nous n’avons cessé de répéter, au cours de nos Comités, qu’il y avait là deux visions opposées de l’action possible correspondant à deux tempéraments, ce qui freine notre action.

La révolution européenne a besoin du consentement profond des peuples européens, de toutes leurs classes ; elle est trop grosse de conséquences pour la vie de chacun, pour que chacun n’y soit associé au moins tacitement. Elle met en cause trop d’habitudes de penser et d’agir pour que les cadres politiques, spirituels et économiques des peuples ne s’en fassent pas les promoteurs ou au moins les soutiens. Faut-il encore qu’ils en soient instruits et convaincus.

Quand grâce à cette action profonde, les conditions seront réunies, l’action violente peut un jour devenir nécessaire. Ce jour là, nous serons aussi avec ceux qui donneront à l’histoire la chiquenaude nécessaire à son basculement. D’ici là, il y a mieux à faire.

Il est possible qu’un jour l’Europe ait aussi ses martyrs, mais ce doit être de vrais martyrs de l’idéologie et non des condamnés de droit commun.

Nous avions pourtant cru qu’une solution résidait dans la coexistence de deux actions différentes, celle du C.P.E.…, celle du M.F.E.…

Le C.P.E. dont nous ne critiquons pas du tout les thèses qui ont leur valeur, ni le moyen des élections primaires, qui peuvent être utiles surtout si elles sont faites dans l’état d’esprit et avec les moyens de Vernon, avait la possibilité, étant donné la forme très particulière de ses structures et de son action, de prendre à son compte tout ce que nous considérons comme excessif, prématuré ou inaccessible à la compréhension publique.

Le M.F.E. d’allure plus modérée restait dans le domaine du « maximum du possible », ainsi que nous l’avons déjà défini ; le M.F.E. préparait les infrastructures, le C.P.E. lançait, quand les conditions de succès étaient assurées, ses élections primaires derrière lesquelles le M.F.E. exploitait les résultats obtenus. C’était probablement trop simple et l’action interne du C.P.E. n’a eu de cesse d’absorber le M.F.E. malgré nos nombreuses et parfois vives protestations. A notre avis le Comité central du M.F.E. ne devait comprendre que quelques membres du C.P.E.

A moins que des propositions constructives soient faites par les responsables du C.P.E. comme cela a paru s’amorcer dans la dernière séance du Comité central pour mettre fin à cette dualité, il sera nécessaire que le Congrès se prononce clairement car les conséquences de cet état de choses sont graves pour la vie de notre mouvement.

De plus, il est un axe de progression de notre Mouvement sur lequel il est impossible de transiger, car il constitue notre ligne de force et de pénétration de même que notre originalité ! c’est le Fédéralisme. Or, le C.P.E. n’est pas fédéraliste.

Le Fédéralisme est un principe constitutionnel, mais c’est aussi et plus encore une philosophie, une manière d’être, un art de vivre en société.

Etre fédéraliste, c’est respecter les autonomies acquises quels qu’en soient les niveaux, c’est respecter la pensée des autres, dans la forme dans laquelle ils l’expriment, s’ils sont de bonne foi, c’est être très tolérant, c’est refuser de vouloir aligner tous les peuples sur un seul, c’est admettre que chaque peuple a son tempérament et ses moyens d’expression, c’est refuser d’enfermer tous les peuples d’Europe dans le faux vocable de peuple européen.

Etre fédéraliste, c’est encore bien tracer les domaines respectifs de chacun et les respecter, pour commencer à l’intérieur même de notre Mouvement ; c’est reconnaître à la région l’autonomie à laquelle elle peut légitimement prétendre et lui laisser prendre les attitudes qui relèvent de sa seule compétence ; c’est ne pas éliminer complétement l’échelon national qui, dans une Fédération, est un élément constitutif de la hiérarchie nécessaire.

Or, le C.P.E. est essentiellement centraliste. Toute sa doctrine vise à l’élection d’un Congrès du Peuple Européen. Ses dirigeants ont une vision uniquement centraliste. Ils ont imprimé au M.F.E. une structure et une direction centraliste unitaire. Il suffit d’ailleurs de lire nos statuts pour s’en convaincre.

Notre troisième base sur laquelle il n’y a aucun désaccord réside dans la volonté d’être et de rester un mouvement démocratique, avec tout ce que cela implique comme contrôles et disciplines.

De ce qui précède, on peut alors très aisément déduire quelles doivent être notre action et notre ligne de conduite avec les autres mouvements et organisations.

D’abord et pour être clair sur ce plan, nous ne devons pas être un parti politique. Nous n’en avons aucune des caractéristiques ni aucune des possibilités.

Notre fonction est de construire l’Europe politique qui aura alors toutes ses tendances, toutes ses philosophies, toutes ses confessions. Elles se débattront alors au sein des assemblées élues et feront valoir leurs mérites respectifs. Nous n’avons à prendre part pour aucune d’elles, car nous les représentons toutes et elles sont toutes représentées chez nous.

Nous ériger en parti politique comme certains nous y pousseraient volontiers, c’est immédiatement s’aliéner toutes possibilités d’action dans les autres partis que deviennent des concurrents, c’est avoir la volonté de monopoliser l’idée européenne ; c’est rendre impossible toute action réelle car, autant nous sommes unis sur les buts que nous nous sommes fixés, autant nous divergeons obligatoirement sur toutes les autres questions secondaires sur lesquelles pourtant un parti politique doit prendre position (question scolaire, privilège des bouilleurs de cru, problèmes budgétaires, etc…).

Nous devons regrouper tous ceux qui veulent militer pour la construction d’une Fédération européenne, où qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, où que leurs efforts par ailleurs se portent. Ceci est simple pour nous parce que nous sommes des fédéralistes. Notre réussite c’est d’avoir partout des fédéralistes européens convaincus, non pas pour noyauter, ni surveiller, mais seulement pour instruire et faire converger tous les mouvement spécialisés vers cette idée centrale : la Fédération européenne.

Nous n’avons pas non plus à nous intéresser plus particulièrement à telles ou telle forme de la pensée politique.

Nous n’avons pas à associer notre mouvement à telle formation politique. Nous devons être partout et nous avons besoin de tous, le triomphe de l’idéal fédéral européen ne peut être celui d’une fraction politique quelconque, mais celui de tous les représentants légitimes des peuples fédérés. La droite, le centre gauche, la gauche nous sont également indispensables et si l’extrême gauche n’est pas avec nous c’est qu’elle trahit sa mission.

Nous devons, dans toutes les élections générales, municipales, cantonales, nationales, nous présenter avec, en plus de l’étiquette que nous aurons choisie, celle de fédéraliste européen, chaque parti devant avoir à cœur de compter dans ses élus, des fédéralistes européens.

Il nous faut aussi déterminer notre action auprès des milieux parlementaires.

La même tendance dans notre mouvement pense pouvoir les ignorer, sinon les combattre, sous le prétexte que les parlementaires sont attachés à l’Etat-Nation et qu’on ne peut compter sur eux pour passer à la Fédération.

Cette position nous parait inexacte. Si on suit attentivement les débats des assemblées de tous les pays de la Communauté et particulièrement en France on peut être convaincu que les parlementaires sont, dans la très grande majorité des partis, très favorables à l’Europe, et qu’ils ne manquent pas une occasion de le dire.

D’autre part, soit avec le système de la constituante dont nous avons fait prématurément un cheval de bataille, soit par le pacte fédéral, le consentement nécessaire à la naissance d’une fédération européenne passera par les chambres ; l’appui des parlementaires est donc déterminant et s’il en est qui résistent nous ne devons rien négliger pour les convaincre. Ils sont les seuls soutiens de l’idée européenne auprès du gouvernement actuel et la construction européenne ferait des progrès si les parlementaires se décidaient à en faire la condition première de leurs votes et pour le M.R.P. de sa participation. Nous regrettons que ce parti, qui a tant fait pour l’Europe, n’ait pas mis cette question en tête de ses préoccupations.

Le M.F.E. doit être une force politique européenne autonome et indépendante des partis ou formations politiques nationaux, parce que nous sommes sur un autre plan et que nous formons le premier élément des forces qui dans l’avenir agiront sur le plan européen.

Le M.F.E. n’est qu’un moyen ; le but c’est la Fédération européenne. Il ne faut jamais prendre l’un pour l’autre.

Ceci étant, nous devons alors unir nos efforts dans une intelligente émulation, sans esprit de clocher ou de concurrence avec ceux des mouvements et organisations, qui, en même temps que nous, luttent pour le même idéal, même si les voies qu’ils choisissent ne sont pas les nôtres. Unir sans unifier, c’est être fédéraliste.

Je citerai en tête le C.I.F.E. qui sous la direction sage, énergique et éclairée d’Alexandre Marc, assisté de M. Jean-Pierre Gouzy à qui nous sommes heureux de rendre ici hommage, est une des plus utiles réalisations et le moyen de propagande le plus efficace. Son succès croissant est d’ailleurs la meilleure preuve et la plus belle récompense des efforts qu’on faits tous ses animateurs. Ceux qui ont suivi un stage ont pu apprécier la qualité de l’enseignement qui y est donné par de nombreux professeurs qualifiés et dévoués, dans un enthousiasme qu’Alexandre Marc sait porter jusqu’au pathétique. Le M.F.E. doit par tous les moyens aider le C.I.F.E. Chaque section doit faire des sacrifices pour envoyer ses principaux membres à un stage. Elle retrouvera des militants compétents et ardents, ce qui facilitera ensuite grandement sa tâche. Tous les responsables des sections devraient avoir participé à un stage au moins.

La Journée européenne des Ecoles, quoique organisée sur un plan plus vaste que celui de la Communauté européenne est un moyen de propagande exceptionnel pour les idées européennes. Avec la couverture officielle du gouvernement, tous les établissements publics sont invités à faire composer leurs élèves sur des thèmes européens. La prochaine composition aura lieu le 29 Janvier prochain. Nous avons pu constater, d’année en année, le nombre croissant des élèves participant à cette composition facultative et la qualité croissante des devoirs rendus. Par ce moyen, des dizaines de milliers d’élèves sont, le même jour, confrontés avec l’idée européenne. Le M.F.E. doit prendre contact avec les inspecteurs d’Académie, les établissements d’enseignement, les professeurs, faire des conférences, distribuer de la documentation pour faire de cette composition un véritable test qui a la valeur d’un vote. Nous préparons ainsi la jeunesse de demain à prendre une position positive sur la construction européenne.

Le Conseil des Communes d’Europe a pris une grande importance et son action auprès des municipalités est déterminante pour les amener sur le plan européen. Le C.C.E. favorise les jumelages entre villes de la Communauté européenne. Des milliers de communes adhèrent dans toute l’Europe à cette organisation, ce qui a créé entre élus locaux des rapports utiles. Son dernier congrès de Cannes a obtenu un réel succès. Notre Mouvement peut faciliter sa tâche en créant des sections dans les villes adhérentes. Dans les villes qui n’ont pas encore adhéré au C.C.E. et où nous avons des sections, c’est un moyen facile pour entrer en relation avec la municipalité. Quant aux jumelages, moyen sur lequel nous reviendrons, il est pratiquement indispensable de le faire en commun avec le C.C.E.

L’Association Européenne des Enseignants qui ne groupe que les professeurs et autres titulaires de fonctions dans l’enseignement à tous les niveaux recrute facilement ses membres du fait de leur commune appartenance à la grande famille des pédagogues. Il est à peine besoin de souligner l’importance de son action pour la diffusion de l’idée européenne auprès des élèves. Leur concours est obligatoire pour la réussite de la Journée des Ecoles. Leur influence sur le milieu estudiantin est importante. L’A.E.D.E. compte déjà de nombreux membres du M.F.E. Nos sections doivent se préoccuper de la création ou de l’existence d’une section active de l’A.E.D.E. et travailler avec elle dans sa spécialité. La double appartenance A.E.D.E.-M.F.E. facilite bien souvent les choses.

Pour ne pas allonger trop ce rapport, nous n’avons cité que les principaux groupes, avec lesquels le M.F.E. doit collaborer sans réserve, mais il en existe d’autres encore qui se sont spécialisés à une profession ou à un état, étudiants, anciens élèves etc… Le M.F.E. par son fédéralisme militant est le mieux placé pour travailler avec tous, pour les aider, pour conjuguer leurs efforts.

Quand nos sections ont quelques difficultés à démarrer, ont-elles songé à cette mission de contact et d’organisation des manifestations communes à tous les européens de bonne volonté ?

Nous ne devons pas passer sous silence, l’existence d’une famille importante d’Européens groupés sous le titre de l’Action Européenne Fédéraliste et qui rassemble un mouvement français, le principal mouvement hollandais et le très important mouvement allemand Europa Union. Il y a peu de probabilités actuelles pour que notre ancienne unité se refasse, mais si certains amours-propres faisaient place à l’intérêt commun, des relations suivies pourraient être reprises et certaines manifestations qui ont besoin, pour avoir plus de force, du concours des Européens de toutes obédiences pourraient être organisées ensemble.

Enfin, il y a le Mouvement Européen avec lequel nos relations traversent une crise grave. Il est certain que la réunion de Luxembourg du 11 novembre 1960 a été regrettable et que la direction du Mouvement Européen de l’époque a mérité des, critiques justifiées sur tous les plans. Je crois qu’aujourd’hui la cause est entendue. Il est non moins certain que le Congrès de Bruxelles n’a pas fait preuve de la vigueur nécessaire et que les thèses européennes en faveur de l’intégration des Six ont été très édulcorées par la vision d’une plus grande Europe, beaucoup moins structurée. Il faut aussi reconnaître que le Mouvement vit sur des principes de cooptation, hors de toute règle démocratique et que l’inamovibilité paraît en être la règle de conduite. Pas d’assemblée, pas de Congrès, pas de moyen d’expression et de pensée, tout cela n’était pas fait pour nous retenir.

Par surcroît, le Mouvement Européen, qui jusqu’à présent ne groupait que des mouvements ou organisations, se lance maintenant par une réforme profonde de ses statuts, qu’il veut démocratiques, dans l’adhésion individuelle, ajoutant ainsi un mouvement de plus à ceux qui sollicitent l’opinion et les adhérents. Nous croyons qu’il fait là fausse route et que son rôle était de rester le fédérateur des autres, le lien indispensable à la coordination de l’actions européenne militante, la plate-forme d’où pouvaient partir des mots d’ordre généraux. Jusqu’à ce jour les autres mouvements avaient une présentation assez marquée et s’adressaient à des milieux différents. Le Mouvement Européen pense avoir la vocation de s’adresser à tout le monde, ce qui ne facilitera pas les choses.

Quoiqu’il en soit, nous pensons que le Comité central qui, à Turin, le 2 juillet 1961, a décidé la suspension de nos relations avec le Mouvement Européen sur le plan international, tout en laissant aux échelons national et régional de soin d’agir selon les circonstances, n’a pas été bien inspiré.

Si nous sommes d’accord sur la nécessité de nous faire entendre partout, de faire connaître nos positions et notre point de vue, c’est d’abord au Mouvement Européen, qu’il faut le faire. C’est là qu’il faut s’opposer à une certaine forme d’Europe que d’autres peuvent préconiser ; c’est là qu’il faut tâcher de rallier le plus grand nombre possible d’Européens à notre vision de la construction européenne. Comment ferons-nous si nous n’y sommes pas ? Quel fâcheux exemple pour les mauvais esprit et pour le public !

Enfin, au moment où le Mouvement Européen paraît vouloir prendre une allure démocratique, en organisant des congrès sur le plan régional et national, où M. Maurice Faure accepte la présidence du Comité international et M. René Mayer celle du Comité français, partir serait un manque de courtoisie envers deux éminentes personnalités qui ont tant combattu pour la cause européenne.

Le Mouvement Européen nous ayant toujours laissé la plus grande liberté pour agir à notre guise, quelles que soient nos positions, que gagnerons-nous dans cette dissidence et en quoi servira-telle la cause de l’Europe ! La Région de Provence s’efforcera au cours du Congrès d’empêcher notre Mouvement de commettre cette erreur.

Enfin, il existe à côté de nous deux mouvement marqués politiquement. Le premier, la Gauche Européenne, avec lequel nous avons beaucoup d’affinités et de points communs ; nos rapports devraient être plus étroits encore et il devrait être facile d’organiser des manifestations communes.

Le deuxième, les Nouvelles Equipes Internationales ; on peut conclure de même.

IV. — Activité des sections locales. — Outre l’activité qui découle des relations et contacts préconisés dans les lignes qui précèdent, les sections locales ont à leur disposition une gamme assez étendue de moyens d’action pratiques. Nous espérons que notre Congrès voudra bien prendre les résolutions nécessaires pour que le Comité central se sente autorisé à préconiser ces moyens, réputés mineurs pour certains, mais que nous considérons comme essentiels dans la propagation de notre idéal.

La création ou la participation active aux Maisons de l’Europe. Le jumelage entre villes allemandes, italiennes, bénéluxiennes et françaises, est l’occasion de cérémonies officielles et de manifestations européennes qu’il faut développer au maximum. Les conférences avec projections de films documentaires, les causeries dans les groupes spécialisés, syndicats, associations etc… Les voyages en groupe. Les échanges familiaux. La participation aux foires locales avec stand et distribution de la documentation mise à notre disposition par les Communautés.

Les symboles, campagne d’insignes, drapeaux et hymne européen, disques, cartes, plaques auto, vignettes pour magasins etc… Rien ne doit être négligé dans ce domaine et le public doit être atteint partout.

C’est par l’ardeur que nos militants mettront à cette diffusion qu’ils attireront l’attention de trop nombreux indifférents.

Je souhaite que les thèses que nous avons soutenues ici soient « entendues ». Elles ne sont pas très adaptées aux effets oratoires, elles n’enflamment pas les sens, mais elles sont sérieuses. Nous pouvons espérer qu’elles parleront au cœur et à l’intelligence des militants qui pourront dans leur dialogue personnel, face aux réalités, discerner le type d’action que sert le plus efficacement notre idéal commun : la Fédération européenne.

 

 

 

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