LE FEDERALISTE

revue de politique

 

XV année, 1973, Numéro 3-4, Page 200

 

 

Sanan-Kinsam, Lo sviluppo dei paesi di nuova indipendenza nazionale e il rapporto imperialista, Jaca Book, Milan 1970.
 
 
Ce qui surprend à la lecture du livre « Le développement des pays dont l’indépendance nationale est récente et le rapport impérialiste », c’est l’incapacité de la part de l’auteur, Sanan-Kinsam, de se rendre compte sur le plan de la lutte politique des conséquences de son analyse économique et sociale du sous-développement du Continent noir.
C’est à juste titre que l’attention se porte sur le caractère de dépendance impérialiste de l’économie africaine, qui n’a pas encore réussi à imposer une stratégie autonome de décollage de l’économie, à cause de l’exploitation de ses ressources faite, et dans leur intérêt, par les pays développés. L’industrie extractive, les cultures de café, cacao, banane, canne à sucre, arachides, coton, et le commerce d’exportation de ces mêmes denrées sont dans les mains des grands monopoles internationaux ; mais les bénéfices de ces exportations finissent pour la plus grande partie par alimenter une importation de biens de consommation aptes à satisfaire les besoins d’une bourgeoisie africaine naissante. Tout cela ne déclenche certainement pas le mécanisme de développement du continent, et même l’achat à l’extérieur de biens de consommation ou le dépôt dans les banques suisses du bénéfice des exportations entraîne un appauvrissement. Pratiquement, telle est la thèse centrale de l’auteur, qui se sert d’une intéressante démonstration économique qu’il vaut la peine de discuter.
C’est à juste titre qu’il soutient la thèse de l’absence d’une théorie des échanges internationaux qui dépasse la vieille loi de Ricardo-Mill des échanges comparés et intègre la théorie moderne qui ne tient pas compte de l’influence du niveau des prix internationaux sur le commerce et l’output (ce qui se produit).
 Le fait que la théorie moderne ne voie pas ce dernier problème est à mettre au débit de l’absence d’un mécanisme monétaire international qui remplace le système de l’or désormais périmé.
Bien que nous ne partagions pas la confiance implicite de l’auteur à l’égard du système de l’étalon-or, il faut relever qu’une analyse sur le fonctionnement du nouveau système monétaire international et une critique du système actuel dominé par le dollar aurait été extrêmement intéressante. Un propos de ce type aurait permis de comprendre toute cette partie du propos suivant sur le néomercantilisme, sur les prix des matières premières et sur le danger de l’importation de l’inflation, problème qui n’a été que très brièvement esquissé.
C’est sur les pays industrialisés que Sanan-Kinsam porte justement l’accusation de néomercantilisme. Il montre clairement la difficulté du processus de capitalisation à travers l’épargne privée dans une économie aux limites de la subsistance et comme nt l’épargne pourrait être réalisée seulement par l’Etat à travers une politique fiscale et une politique des prix.
Naturellement, cela n’a pas de sens de parler d’une balance des paiements excédentaire, et l’éventuel excédent devrait, en même temps que l’épargne intérieure, toujours financer les importations de biens d’équipement. En substance, l’auteur propose une politique de déficit de la balance des paiements sous forme d’investissements à long terme dans l’installation de capitaux venant de l’étranger.
Mais les pays industrialisés, comme il le reconnaît, ne sont pas disposés à prendre sur eux ces charges en termes de transfert de capitaux et de modification des rapports des changes à la suite des inévitables répercussions sur leur balance des paiements. Vu cette situation, la solution d’un organisme monétaire international postulée par l’auteur reste un vœu pieux plus qu’un projet réalisable.
En outre, la thérapie d’une balance des paiements excédentaire, suggérée par les pays riches, se heurte à la difficulté évidente causée par un marché international où les prix des matières premières sont sujets à des oscillations importantes.
Les dommages qui en résultent pour l’économie africaine sont immenses. Sous l’impulsion des rapports, encore coloniaux, dans lesquels l’Afrique produit ce que l’Europe et l’Amérique veulent acheter et consomme ce que l’Europe et l’Amérique veulent bien lui vendre, des méthodes de culture extensives se sont répandues, avec le défrichement même de forêts, avec pour résultat l’apparition d’une offre figée par rapport à la demande. (Par exemple, la production de cacao atteint chaque année un certain nombre de tonnes, tandis que le marché mondial change chaque année son quota d’absorption.) Les remèdes restent sans effet, comme les caisses d’intégration, introduites pour faire front aux oscillations des prix internationaux, parce qu’elles sont d’une portée et d’une durée telles qu’elles finissent toujours par l’épuisement des réserves des caisses avant que l’inversion des tendances puisse les ramener aux niveaux précédents. Même les accords avec les pays importateurs ne résolvent pas les problèmes parce qu’il faudrait qu’ils soient acceptés par tous les pays africains. (Les récents évènements sur la fixation du prix du pétrole confirment cette thèse). Par conséquent, une diversification de la production agricole serait souhaitable, de même qu’une nette réduction de l’importation des biens de consommation en faveur des biens d’équipement. L’aide internationale devrait permettre aux pays africains de pratiquer cette politique.
L’auteur ne repousse pas le concept de la division internationale du travail, pourvu que celui-ci tourne à l’avantage de l’humanité toute entière et pas seulement à l’avantage de quelques-uns. Le rapport impérialiste actuel, qui impose à l’Afrique la fourniture de matières premières aux pays industrialisés, finit par gâcher sa raison d’échange puisque, pendant que les prix des matières premières diminuent, ceux des produits finis augmentent. De plus, l’absence d’industries locales empêche la formation de cadres techniques et permet le maintien d’une mentalité paysanne et un chômage croissant de la population active éliminée de l’agriculture par suite des progrès techniques.
C’est ici qu’apparait l’insuffisance que nous faisions remarquer des perspectives de luttes politiques souhaitées par l’auteur. Après avoir souligné comment, sur le plan social, se sont formées en Afrique des classes bourgeoises constituées de bureaucrates, de militaires et de tous ceux qui participent au commerce d’import-export et en bénéficient, à qui s’oppose la masse des paysans exploités, il souligne comment il faut remplacer les actuels régimes de parti unique par une structure beaucoup plus démocratique.
Pour Sanan-Kinsam, le rôle d’avant-garde révolutionnaire ne peut être rempli par les intellectuels du Continent qui ne comprennent pas la culture africaine et voudraient tout simplement mettre en place des modèles valables pour les pays occidentaux où ils ont étudié.
C’est ici que se pose la question de savoir s’il existe aujourd’hui en Afrique, dans la jeunesse, la conscience (de classe) de devoir non seulement restructurer l’économie des pays africains en diversifiant l’agriculture, en modifiant avec le système coopératif de production et de distribution le rapport de propriété, mais aussi d’instaurer une coopération interafricaine de développement économique qui, comme le même auteur le suggère, devrait calquer les formes d’association étroite déjà mises en pratique par le pays de la Communauté Economique Européenne.
Dans une telle mesure, de plus, l’impérialisme international pourrait consentir à cette révolution et en supporter les conséquences en perpétuant les termes actuels du bipolarisme déclinant russo-américain et la division politique de l’Europe.
 
Alfonso Sabatino

 

 

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