LE FEDERALISTE

revue de politique

 

IV année, 1962, Numéro 2, Page 201

 

 

The Institute for Studies in Federalism, Essays in Federalism, Claremont Men’s College, 1961, 220 p.

 
 
L’ordre constitutionnel substantiel des Etats-Unis d’Amérique a subi des changements profonds depuis l’époque de leur fondation jusqu’à nos jours, mais le changement qui est peut-être le plus grave et le plus net est celui qui intéresse directement leur structure fédérale. Tandis que trente ans après Philadelphie, le juge Story éprouvait encore le besoin d’affirmer que l’Union était un véritable Etat, aujourd’hui on en est arrivé à l’extrême opposé et de fait, sinon encore de nom, les Etats fédérés sont en train de perdre peu à peu leur physionomie d’Etats. Leurs compétences nominales se réduisent continuellement et leurs compétences effectives se réduisent encore davantage.
Le trend qui culmine avec la centralisation actuelle commença au début de notre siècle et procéda à une allure de plus en plus rapide avec trois pointes qui coïncident avec les deux guerres mondiales et avec le New Deal.
Deux causes fondamentales ont déterminé ce processus de concentration. La première est constituée par le débordement de l’économie (tout au moins dans ses secteurs en expansion) hors des frontières de chaque Etat, débordement dû au progrès technique, à l’augmentation de la production et des dimensions des entreprises qui en est la conséquence, et à l’amélioration des moyens de communication. Les Etats ne se trouvèrent plus en mesure d’exercer sur l’économie le contrôle qu’ils pouvaient exercer sur elle au siècle précédent ; et comme il devait subsister forcément un certain degré de contrôle, et que ce contrôle devenait même de plus en plus nécessaire, les compétences relatives furent progressivement transférées au gouvernement de Washington.
Mais une poussée de ce genre n’aurait certes pas suffi, à elle seule, à produire une situation telle que la situation actuelle. Une fédération fondée actuellement dans une zone économiquement avancée, même si n’intervenaient pas d’autres facteurs que ceux concernant la nature des rapports de production, devrait sans aucun doute avoir plus de pouvoirs au centre, dans le domaine économique, que n’en avait la Fédération Américaine, au cours des 130 premières années de son existence. Mais les Etats, même si le progrès technique les privait (comme il le ferait inévitablement) de presque toutes les possibilités de contrôler l’économie, conserveraient également dans de nombreux autres domaines (écoles, droit privé et pénal, radio, télévision, etc…) une importance considérable. Et comme l’importance objective d’une institution politique attire l’approbation et le loyalisme des citoyens, et que approbation et loyalisme signifient pouvoir, on peut en conclure que la seule donnée des dimensions du marché n’explique qu’en partie la perte de pouvoir presque totale des Etats-membres de la Fédération Américaine.
En fait on ne peut pas comprendre la situation actuelle des Etats-Unis, si l’on ne tient compte de la donnée que constitue la tension internationale. Dans notre siècle, en raison du passage progressif du système européen au système mondial des Etats, (avec la révolution dans les armements et dans les moyens de communication, due au progrès technique) les Etats-Unis ont perdu le caractère d’île politique qui leur avait permis de ne presque pas avoir de politique extérieure et de politique de défense jusqu’à l’explosion de la première guerre mondiale. Aujourd’hui en particulier, tant pour le gouvernement de Washington que pour les gouvernements des Etats et que pour les citoyens eux-mêmes, lesquels par leur loyalisme et leur appui donnent la victoire au pouvoir central ou à ceux des Etats, le problème fondamental est celui de la défense, et il a la priorité sur tous les autres parce qu’une guerre éventuelle détruirait toute réalisation, rendrait vain tout projet.
Et la défense constitue justement le premier devoir du pouvoir central, c’est pourquoi l’importance énorme qu’a assumé ce problème accentue dans la même mesure l’importance, donc le pouvoir, des organismes qui en sont chargés.
Tels sont les facteurs qui sont en train de pousser les Etats-Unis à assumer la structure classique de l’Etat centralisé, avec une caste militaire de plus en plus importante et un appareil bureaucratique complexe et lourd.
L’essai de Harold F. MacClelland ayant pour titre Financing Decentralisation contenu dans le volume de l’Institute for Studies in Federalism que nous prenons ici en considération, s’occupe justement de la diminution progressive de l’autonomie des Etats-membres de la Fédération Américaine et en général des organisations locales, considérée sous le point de vue particulier de l’autonomie financière, des conséquences de ce trend sur le plan politique et des moyens les plus efficaces pour arrêter ce processus.
La perte de l’autonomie financière de la part des Etats et des organismes locaux dans les Etats-Unis, est l’un des signes les plus évidents de l’involution en cours, et elle assume des proportions de jour en jour plus inquiétantes. La forme typique sous laquelle se manifeste l’ingérence fédérale croissante dans les affaires des Etats-membres et des organismes locaux, est celle des grants-in-aid, subventions que le gouvernement central accorde aux Etats pour subvenir à leurs nécessités financières, étant donné que leurs entrées normales sont tout-à-fait insuffisantes à couvrir leurs besoins.
Il s’agit d’un système de financement qui implique de très graves conséquences politiques, du fait que la concession de cette aide est subordonnée à l’exécution d’un plan de dépenses publiques établi par les départements compétents du gouvernement de Washington qui, à travers des fonctionnaires à lui, en surveille la réalisation. Le perte de l’autonomie financière signifie donc du même coup la perte de l’autonomie politique, car un nombre de décisions de plus en plus élevé est enlevé à la compétence des Etats et des organisations locales qui se transforment peu à peu en circonscriptions administratives du gouvernement central.
En ce qui concerne les remèdes, McClelland reconnaît qu’il est impossible de rééquilibrer les bilans des Etats et des organismes locaux tant en faisant appel à une diminution des dépenses qu’en cherchant à augmenter les entrées : il voit seulement une possibilité d’atténuer les conséquences politiques d’un état de choses financier qu’il considère comme substantiellement impossible à modifier : l’adoption des block grants, c’est-à-dire la concession de subsides financiers dont l’emploi ne soit pas soumis à des engagements, ou ne le soit que dans ses grandes lignes.
L’essai de McClelland a certains mérites dont le principal est celui de reconnaître de façon lucide la décadence du fédéralisme dans les Etats-Unis, phénomène que la plupart des Américains compétents ne voit pas ou refuse de voir sous sa juste lumière encore aujourd’hui. Mais l’essai en question se révèle limité : il n’identifie pas les causes profondes de la perte d’importance, donc d’autonomie, des Etats et il n’est par conséquent en mesure de suggérer que des remèdes interlocutoires dont il reconnaît d’ailleurs lui-même qu’ils sont impuissants à arrêter le trend en cours. En effet il est illusoire d’espérer éliminer les conséquences politiques de la perte d’autonomie financière des Etats, si l’on n’élimine pas cette perte même, et l’on ne peut espérer restituer aux Etats leur autonomie financière sans agir sur les causes profondes qui l’ont déterminée.
Le volume de l’Institute for Studies in Federalism contient également des essais de George C. Benson, de Martin Diamond, de William S. Stokes et de Procter Thomson, qui ne vont toutefois pas au-delà de purs exercices académiques.
 
Francesco Rossolillo

 

 

 

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