VII année, 1965, Numéro 2, Page 145
Janos Szokoloczy-Syllaba, Les organisations professionnelles françaises et le Marché commun, Paris, A. Colin, 1965, XIII-373 pp.
« Cette étude a pour objet de décrire l’évolution des attitudes des organisations professionnelles industrielles en France à l’égard du Marché commun et, en général, de l’intégration européenne. En étudiant ce processus essentiellement dynamique, nous avons eu constamment présents à l’esprit trois groupes de questions fondamentales qui constituaient le fil conducteur de nos investigations :
— Quel était le contenu objectif de ces attitudes ? Dans quel sens ces attitudes ont-elles évolué ? Quelles sont les étapes principales de cette évolution ? Où se situe le tournant décisif ?
— Quelles sont les causes de la transformation des attitudes ? Quel est l’ordre hiérarchique des facteurs qui ont précipité cette métamorphose ?
— Quelles activités le Marché commun a-t-il provoquées au sein des groupes patronaux ? Comment ces derniers ont-ils réagi au « stimulus » que représentait la création d’un vaste marché concurrentiel ?
(…) Cette concentration sur le problème du changement nous paraît se justifier, entre autres raisons, par la transformation profonde que le Marché commun a incontestablement opérée dans la mentalité patronale française. Peu exportatrices, repliées sur le marché intérieur, les industries françaises — sauf quelques rares exceptions — étaient traditionnellement opposées au libre-échange et leur pression sur l’Etat s’exerçait, tout compte fait, dans le sens d’un protectionnisme accru. Aujourd’hui, elles sont sensibles aux avantages de la libre concurrence (…). Quelle que soit l’opinion que l’on est amené à porter sur l’opportunité politique ou économique du Marché commun, force est de reconnaître son influence salutaire sur l’évolution de la mentalité patronale en France » (pp. 1-2).
L’auteur met clairement en évidence une triple série de limitations de l’étude menée par lui. La première est d’ordre temporel, ses recherches couvrant la période qui va de la Conférence des ministres des Affaires étrangères des six pays de la C.E.C.A., tenue à Messine en juin 1955, jusqu’à l’été de 1961. La seconde concerne l’extension du champ de recherches, qui se limite à quatre secteurs (coton, laine, constructions électriques et automobiles), afin de rendre possible une analyse plus approfondie. La troisième consiste dans le parti-pris, de caractère méthodologique, de rapporter objectivement les positions prises par les groupes patronaux, sans se préoccuper du caractère scientifique de leurs affirmations.
La première partie de ce travail contient quatre études de cas ; chacune d’elles est consacrée à l’un des secteurs mentionnés plus haut. Dans la seconde partie l’auteur, procédant à une tentative de synthèse des conclusions générales qui se dégagent de l’analyse préalablement menée, fait remarquer en particulier que « nos études de cas sur les attitudes des fédérations industrielles françaises à l’égard de l’intégration européenne révèlent toutes une incontestable évolution des esprits vers une position plus favorable que celle adoptée initialement. La cadence de cette évolution est, bien entendu, plus ou moins rapide suivant les secteurs, la distance parcourue entre le point de départ et le point d’arrivée plus ou moins longue selon le cas, mais le fait du changement nous paraît à l’abri de toute contestation : après une phase d’hésitation ou d’opposition de durée variée, tous les groupes patronaux considérés ont fini par se rallier ouvertement à la cause du Marché commun. La tendance est donc celle de l’européanisation des esprits » (p. 283).
Cette conclusion nous fait clairement comprendre l’importance du livre en question qui, grâce à une rigoureuse analyse scientifique, balaie le terrain d’une quantité importante de préjugés. L’importance pratique (de même qu’une vérification empirique des conclusions auxquelles est parvenu l’auteur) du phénomène mis en évidence dans ce volume est apparue à l’occasion de la crise récente de la Communauté Economique Européenne : la position du gouvernement français a dû tenir compte des positions prises par les syndicats patronaux (en même temps que les syndicats ouvriers et agricoles) pour la défense du Marché commun.
Alberto Majocchi