IX année, 1967, Numéro 4, Page 183
Max Richard, Après la Révolution de Mai, L’heure du Fédéralisme, Ed. La Fédération, Mouvement Fédéraliste Français, Paris.
Il s’agit d’un très bref opuscule de 16 pages. Dans le quasi silence des fédéralistes, qui montrent une fois encore qu’ils ne sont guère en prise sur l’événement, ces réflexions étaient les bienvenues. Malheureusement elles ne peuvent que décevoir.
Et tout d’abord par un certain langage de sermon (« les foules égarées », « la soif d’infini ou du moins de certitude qui habite toujours les hommes », « une société engoncée dans un matérialisme sans âme », etc…), tout le prêchi-prêcha de l’idéalisme vulgaire qui n’est qu’une façon « noble » de détourner l’attention des problèmes, ou plutôt de les noyer dans des mots qui signifient tout et ne signifient rien. Evidemment, si nous voulons recruter chez les C.R.S. en retraite et les artisans calotins, c’est parfait. Mais si nous adressons à nos fils, à des étudiants ou à des syndicalistes, ou simplement à des personnes qui aient quelque peu l’habitude de séparer le grain de la paille, c’est tout bonnement ridicule.
On relève ensuite que « l’unité française doit rester notre loi suprême », qu’elle doit être « reconnue par tous comme la condition sine qua non de tout progrès ultérieur ». Même si Max Richard oppose cette unité à la division de la France en deux camps, il n’en reste pas moins que c’est là s’exprimer dans un langage pour le moins ambigu et qu’un fédéraliste devrait tenir à honneur de ne jamais employer. Vouloir sauvegarder à tout prix l’unité française, c’est accepter d’emblée que le désordre établi demeure, puisqu’il est fondé sur cette unité et qu’il en entretient soigneusement l’idéologie. Gaullisme et communisme, les deux volets de la réaction, la bien-pensante et la mal-pensante, tiennent à cette unité par dessus tout, et à tous les sens du terme. Les fédéralistes — et Max Richard le sait bien — se battent pour l’homme, hic et nunc, pas pour l’Homme, et ils ne peuvent donc que manifester une méfiance hargneuse envers tous les à priori contraignants et paralysants liés précisément à la majuscule ci-dessus.
Quelle que soit notre opposition raisonnée au communisme, il est indécent de se faire le complice du gaullisme au point de s’associer à la condamnation électoralement si payante de ceux qui, parti et syndicat, ont pris la très grave responsabilité de sauver l’« ordre » menacé. Là encore, c’est détourner l’attention du citoyen : en brandissant l’épouvantail du totalitarisme soviétique, on masque celui, bien plus menaçant, sur le quel peut aisément déboucher un régime dont le chef n’hésite pas à se rendre à Baden-Baden demander l’intervention des blindés.
Dans ces conditions, la fin de l’opuscule apparaît dévalorisée. Les réformes souhaitées se présentent dans un contexte rétrograde qui les dénature. Lorsque le fédéralisme se fait l’allié du conservatisme, il tombe au niveau d’un verbiage aussi insignifiant que rabâcheur.
D’ailleurs, chaque fois que Max Richard parle de l’Etat, c’est de l’Etat français qu’il s’agit, strictement, et cette rénovation qu’il appelle de ses vœux est une affaire essentiellement française ; il donne donc dans la même utopie que tous ceux, « enragés » ou non, qui croient eux aussi à une solution française. Cela aboutit au bien classique coup de chapeau (cf. les programmes de divers partis politiques) : « Cette rénovation française est d’ailleurs inséparable de la construction d’une Europe fédérée… » Non, décidément, cela n’est pas sérieux.
Bernard Lesfargues