LE FEDERALISTE

revue de politique

 

XI année, 1969, Numéro 1, Page 33

 

  

Poesia catalana di protesta, a cura di Giuseppe Tavani, ed. Laterza, Bari, 1968
 
 
Un Français ne peut qu’envier les Italiens d’avoir des éditeurs aussi attentifs aux voix qui nous parviennent de Catalogne. Depuis l’excellente anthologie publiée en 1962 chez Bompiani, en passant par diverses traductions, de Salvador Espriu en particulier, à ce recueil procuré par Giuseppe Tavani, on peut se faire une idée valable de la face poétique d’une littérature que le franquisme semble n’avoir étouffée pendant quelques années que pour lui permettre de ressurgir avec plus de vigueur encore.
Dans son introduction, en quelques pages d’une rare densité, G. Tavani situe excellemment la littérature catalane. Il montre son nouveau départ après la victoire fasciste qui fut aussi « la victoire du centralisme castillan sous sa forme la plus violente et la plus virulente ». Il dit enfin quels critères il a adoptés dans le choix des textes : « ce poètes sont tous vivants et, à l’exception des deux très grands Espriu et Pere Quart, tous jeunes et très jeunes… Ils représentent la poésie la plus collectivement et polémiquement contestataire ».
Ayant admis ce que tout choix anthologique a de subjectif ou de carrément arbitraire, on pourra tout de même regretter l’absence de quelques noms : celui de Núria Sales par exemple, et davantage encore celui de Jordi Pere Cerdà, ce qui aurait évité de faire à Josep Gouzy l’honneur de représenter à lui seul la Catalogne « française ». Quand on sait d’autre part l’importance prise en Catalogne par la chanson protestataire et les liens étroits que celle-ci entretient avec la plus authentique poésie, on pense qu’un nom au moins s’imposait : de toute évidence celui de Raimon.
Quelles que soient ces réserves, il n’en reste pas moins que G. Tavani nous a donné un livre émouvant, un beau témoignage pour une voix essentielle dans le chœur de la culture européenne.
Et pour bien montrer comment, et tout naturellement, les Catalans s’insèrent dans l’Europe, voici traduit en français un poème de Salvador Espriu. Il porte en catalan le titre : M’han demanat que parli de la meva Europa.
 
ON M’A DEMANDE DE PARLER
DE MON EUROPE
 
Je suis d’une petite terre
sans fleuves pour de vrai, sauvent assoiffée de pluie,
pauvre en arbres, privée ou presque de forêts,
manquant de plaines, excessive en montagnes,
s’étendant au Levant le long de la vieille mer
qui établit le difficile et sanglant dialogue
de trois continents.
Des palmiers que, les yeux clos,
je vois toujours immobiles sous la brise
ferment mon pays au Midi.
Au Nord, des marais. Et vers le Couchant
il est d’autres terres annonçant le désert,
les nobles, sèches, spirituelles terres sœurs
que j’aime tant.
De hautes cimes partagent ma patrie entre deux Etats,
mais une même langue est encore
parlée de chaque côté,
et dans de claires îles enfoncées dans l’antique mer,
et dans une contrée, insulaire aussi, plus lointaine,
qui dépend aujourd’hui d’un troisième pouvoir.
Qu’elle est variée ma petite terre
et comme elle a dû souffrir, pendant des siècles et des millénaires,
de la violence de divers peuples,
des après guerres civiles allumées sur son territoire
et au delà de la palmeraie et des palus,
du plateau desséché et des vagues !
Car elle le sait bien, notre longue douleur,
que toute guerre se déchaînant entre les hommes,
n’est qu’une guerre civile
qui nous porte à tous la souffrance et la tristesse,
la destruction et la mort.
C’est pourquoi maintenant si profonde est notre espérance
— dans mon rêve, réalité déjà contemplée —
de nous intégrer, dans un temps que nous devinons proche,
en respectant notre histoire et notre langue,
dans une unité supérieure qui porte le nom,
ouvert, si beau, de cette fille d’Agénor,
qu’un sage regard vit prodigieusement passer
de la côte phénicienne aux plages de la Crète.
Quand viendra ce jour, nous aurons fait le premier
et ineffaçable pas vers la suprême
union et égalité entre tous les hommes.
Et peut-être alors nous sera-t-il permis d’entreprendre,
sans classes sociales ni haines religieuses,
sans indifférences cruelles et injustes pour la couleur de la peau,
notre pérégrination à traves l’espace,
vers la lumière imaginée,
et de suivre sans crainte les mystérieuses
voies intérieures de Dieu, du néant,
les infinis et libres et en même temps
nécessaires chemins véritables de la bonté.
Que notre espoir ne soit pas déçu,
que notre confiance ne soit pas bernée :
c’est ce que très humblement nous demandons.
 
Bernard Lesfargues

 

 

 

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