LE FEDERALISTE

revue de politique

 

XV année, 1973, Numéro 3-4, Page 134

 

 

LA SECURITE EUROPEENNE
 
 
C’est en décembre dernier, à Helsinki, qu’a débuté la discussion préparatoire pour un traité pour la sécurité européenne. La perspective de ce traité est aujourd’hui accueillie favorablement par de larges couches de l’opinion publique et par presque toutes les forces politiques, parce qu’il correspond à l’aspiration largement répandue vers la détente et le dépassement de la division de l’Europe en deux blocs. A une époque où le danger d’une guerre atomique menace constamment l’humanité, l’aspiration à la paix, ou au moins à une plus grande détente internationale, est une exigence fondamentale.
L’histoire montre que, dans certains cas, les tentatives de détente ne sont rien d’autre que des reculades devant la violence et représentent en fait les premiers pas vers des conflits armés. Les accords de Munich de 1938 sont l’exemple le plus récent de la vanité des tentatives pour contenir par la détente les aspirations expansionnistes d’une puissance impérialiste. La situation internationale est aujourd’hui différente. Les superpuissances, les seules d’où peuvent venir des tentatives effectives pour acquérir l’hégémonie, ne sont pas intéressées aux traités à des fins d’expansion, mais seulement pour stabiliser et définir leur zone d’influence.
La guerre froide entre les deux superpuissances commencée immédiatement après la deuxième guerre mondiale, a concerné tous les Etats européens et empêché le rétablissement de relations normales entre les Etats appartenant à des camps opposés. Il est donc naturel que les Européens aspirent aujourd’hui au rétablissement de relations multilatérales, en se soustrayant à la tutelle étroite des superpuissances. Il est aussi évident, en outre, que cette exigence est particulièrement ressentie en Allemagne qui, plus que tout autre pays, a souffert de la division de l’Europe.
Dans les relations internationales, toutefois, les traités ne garantissent pas du tout la réalisation des aspirations qui les ont fait naître. Les relations internationales dépendent des rapports de force entre les Etats. Si la balance of power est assurée, aucun Etat ne peut plus aspirer à l’hégémonie et à une plus grande zone d’influence. La sécurité européenne ne peut donc être garantie par un accord diplomatique mais dépend de l’évolution que subira dans l’avenir l’équilibre international.
L’équilibre politique international est aujourd’hui en train de connaître une période de transformations profondes. L’apparition de la Chine sur la scène mondiale et le processus avancé d’intégration européenne, qui a permis aux Etats européens d’avoir un rôle plus important dans la politique internationale, ont entraîné la crise de l’équilibre bipolaire et le rapprochement U.S.A.-U.R.S.S., unis par le même désir de maintenir leur contrôle sur leurs zones d’influence respectives.
Pourtant ces tendances ne se sont pas encore affirmées définitivement dans l’équilibre mondial ; les Européens vivent un des rares moments où il est possible de faire de grands choix.
D’un côté, le destin des Européens peut être la conquête de leur unité et de leur liberté par la fondation d’un Etat fédéral européen ; d’un autre côté, le destin des Européens peut être d’accepter leurs divisions et leur subordination aux deux superpuissances. Il est clair que cette subordination aurait une nature différente de celle imposée par la guerre froide, puisque les Etats européens auraient la possibilité de collaborer économiquement (coopération Est-Ouest) et de prendre quelques initiatives diplomatiques d’importance secondaire.
Aujourd’hui, les alternatives possibles empêchent que le projet de traité pour la sécurité européenne ait jusqu’à présent un contenu déterminé. Au cas où les Européens maintiendraient leur division, le traité pour la sécurité européenne se traduirait par une plus grande insécurité internationale. En fait il ne suffira pas d’avoir un traité pour empêcher que se reproduisent des phénomènes comme ce qui s’est passé récemment en Tchécoslovaquie. Il est toujours possible de violer un traité dans le faits tout en en respectant la forme. Il est toujours possible de trouver un Husak qui légitimise l’invasion armée, avec le respect formel de la souveraineté. Si au contraire les Européens optent pour l’unité, la sécurité européenne sera effectivement assurée, parce que garantie par une armée européenne à même de défendre les Européens. L’Europe représenterait le quatrième pôle de puissance dans l’équilibre mondial et ferait certainement augmenter les possibilités de détente puisqu’elle mettrait fin au désordre international alimenté par les micronationalismes irresponsables.
Aujourd’hui on parle bien de sécurité européenne, mais en vérité, le fait même qu’à Helsinki siègent aussi les représentants des U.S.A. et de l’U.R.S.S. démontre que le traité est russo-européo-américain. Naturellement, dans ce cadre, c’est-à-dire en l’absence d’un interlocuteur européen, le véritable pouvoir de décision reste aux mains des superpuissances.
Le premier pas vers la réalisation effective de la sécurité européenne pourrait être aujourd’hui représenté par un accord entre les pays européens pour leur sécurité sans l’intervention des U.S.A. et de l’U.R.S.S. Cet accord pourrait prévoir l’institution d’organismes permanents.
Un semblable projet n’a de sens que dans une perspective d’évolution : dans le contexte international actuel, ce serait simplement une petite O.N.U. dans la plus grande O.N.U. qui existe déjà. Cela pourrait toutefois représenter une étape vers l’institution d’une organisation unitaire de l’Europe, en faisant converger dès aujourd’hui les gouvernements européens vers un objectif commun en vue de la solution finale : la Fédération européenne.
Si les Etats européens devaient commencer à débattre seuls, sans l’U.R.S.S. et les U.S.A., de la défense de l’Europe, il deviendrait immédiatement clair que la seule réponse à ce problème est une armée européenne, et qu’il est impossible d’avoir cette armée sans avoir d’abord un gouvernement européen, qui dirigerait et contrôlerait cette armée selon la volonté du peuple européen.
 
Guido Montani – Dario Velo
(janvier 1973)

 

 

 

 

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