V année, 1963, Numéro 3, Page 205
A TITRE D’EXEMPLE
En classant de vieux documents j’ai trouvé, parmi les publications clandestines de la Résistance et parmi celles qui sortirent tout de suite après, un petit opuscule ayant pour titre Il Partito d’Azione (P.d’A.), Cos’è ? Cosa vuole ? (Le Parti d’Action, qu’est-ce que c’est ? que veut-il ?). Auteur : Riccardo Lombardi.[1] Date : Mai 1945. Et entre parenthèses — le tout sur la couverture — Ristampa della prima edizione del dicembre 1943. Les dates avaient alors un attrait spécial et éveillaient un écho immédiat. Elles disaient à elles seules une quantité de choses. Submergé par les souvenirs et pris de curiosité, j’ai feuilleté cette brochure, m’arrêtant au passage sur le petit chapitre intitulé Il programma internazionale, et finissant par lui accorder toute mon attention.
Je constate que Lombardi ne fait aucune allusion aux problèmes traditionnels de politique étrangère. Le problème international se résume pour lui en un seul problème : l’unification politique de l’Europe, considérée comme un premier pas vers l’unité mondiale. Par un exposé aussi bref que clair, il affirme la maturité historique de l’unité européenne, il passe en revue les solutions en principe possibles, il rappelle la nécessité du transfert d’une partie de la souveraineté des Etats nationaux à la Fédération, et finalement il énumère quelques-uns des avantages de la solution fédéraliste du problème européen : la coexistence pacifique des Européens, la fin des revendications territoriales, l’expansion économique, la limitation des armements, la liquidation du colonialisme.
La lecture finie, j’ai pensé qu’il valait la peine de rappeler aux lecteurs du « Fédéraliste » comment l’on pouvait voir si clairement, dès 1943 (et même avant, à vrai dire, car Lombardi ne fut que l’un de ceux qui y virent clair, même s’il fut particulièrement lucide), que, en Europe, l’histoire des rapports diplomatiques entre les Etats était sur le point de finir et que celle de l’unification politique allait commencer ; j’ai voulu rappeler en outre comment, dès cette époque, certains virent avec clarté, tant la nature institutionnelle du problème que les effets positifs qu’aurait sa solution. Et voilà le texte de Lombardi :
(Le programme international). « Pour garantir les conditions nécessaires au progrès économique et social dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, il est indispensable de réaliser l’unité de l’Europe, anneau d’une ultérieure unité mondiale. Le problème de l’unité européenne est aujourd’hui mûr, et il est sur le point d’être résolu, de quelque manière que ce soit ; il est d’importance fondamentale que la solution à laquelle on aboutira soit, parmi les solutions possibles, la plus libérale et la plus progressive. En effet, il est inconcevable qu’après deux guerres, mondiales dans la vie de la même génération, l’Europe puisse persister à maintenir son état de fractionnement médiéval, à être divisée en compartiments étanches par de vieilles frontières économiques et politiques, à être contrainte de trouver un équilibre, et combien instable, dans la politique des armements et dans celle de l’autarcie.
Les solutions possibles, en ce qui concerne l’unité européenne, sont trois :
(1) L’unification de l’Europe sous la domination de la puissance la plus forte au point de vue militaire et économique ; c’est la solution du despotisme, la colonisation de l’Europe (même si c’est d’une Europe qui va vers la prospérité économique), la solution que l’Allemagne hitlérienne a tentée et pour la réalisation de laquelle elle a déchaîné la guerre actuelle : contre elle, toute l’Europe s’est insurgée.
(2) La société des Nations. La tentative a été faite à la fin de la première guerre mondiale et elle a échoué lamentablement, non seulement en raison de la mauvaise volonté des hommes, mais à cause des défauts intrinsèques d’un système qui maintenait inaltérée et illimitée la souveraineté des Etats membres, de sorte que la S.D.N. était dépourvue de tout pouvoir autonome en dehors d’un simple pouvoir de police internationale.
(3) L’unité fédérale des Etats-Unis d’Europe. C’est là la solution vraiment libérale et progressive. L’Europe ne serait pas unifiée suivant le processus de formation des Etats nationaux, c’est-à-dire par la dilatation graduelle des frontières de l’Etat le plus fort, militairement parlant (Prusse, Piémont), ni par l’imposition d’une force en quelque sorte étrangère et qui répugnerait aux différents Etats nationaux, qu’elle soit exercée par l’Allemagne, par la Grande Bretagne ou par la Russie, mais organisée en un système fédéral qui, sauvant ce qui doit être sauvé, c’est-à-dire les caractéristiques nationales et l’originalité culturelle de chaque nation, abolirait graduellement les frontières économiques, éliminerait à la base les conflits intérieurs et unifierait la politique étrangère. La limitation de la souveraineté des différents Etats fédérés signifie que, au-dessus de cette souveraineté, il y aura la souveraineté fédérale, laquelle sera seule pourvue des forces armées nécessaires pour faire observer ses propres décisions, les citoyens jouissant de la double nationalité, de celle de l’Etat auquel ils appartiennent, d’une part, et de la nationalité fédérale d’autre part. Ainsi l’inclusion de zones contestées pour des raisons ethniques, historiques ou militaires parmi les frontières de tel ou de tel Etat, cesserait d’avoir autant d’importance et écarterait à la base l’occasion de conflits la plus fréquente ; des problèmes politiques qui autrement sont insolubles (frontières de la Finlande, Etats baltiques, frontières juliennes, minorités slaves, etc…) trouveraient une position stable garantie par l’autorité fédérale contre les tentatives de dénationalisation ou d’oppression politique ; la suppression, ou tout au moins l’élargissement des frontières économiques, condition vitale pour la reprise économique de l’Europe, se réaliserait progressivement, surmontant les obstacles que constituent les formidables intérêts particuliers drapés dans les idéologies nationales ; la circulation des capitaux et des forces de travail disponibles serait rétablie et vaincue la torpeur mortelle des autarcies économiques ; la constitution d’une armée fédérale de relativement faible importance, étant donné le désarmement total des Etats fédérés, comblerait le gouffre ouvert par les dépenses militaires et qui a englouti le meilleur du travail d’une génération ; la question coloniale serait posée sur le plan moral et humain de l’association des vastes possibilités de travail de l’Europe, en vue de la civilisation des pays arriérés, à leur avantage réciproque, et, grâce au système de la porte ouverte, elle cesserait d’être un instrument d’oppression et d’exploitation pour les pays colonisés et la source de guerres pour les colonisateurs. C’est ainsi que seraient brisés les nationalismes réactionnaires et destructeurs, tandis que l’on conserverait ce qu’il y a de sain, de spontané et de progressif dans l’idée de nationalité.
Enfin la Fédération européenne offre la seule solution cohérente au problème fondamental de la coexistence pacifique en Europe de la communauté nationale allemande, en dehors des rêves comiques d’une restauration des Habsbourgs, et des rêves sinistres d’une destruction du peuple allemand ».
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Très bien. Mais à la fin de la guerre, du point de vue militaire, les Européens ne comptaient plus pour rien en Europe. Seuls les Russes et les Américains comptaient, et les fédéralistes tels que Lombardi plièrent devant leur puissance. En matière de politique internationale il se limitèrent à choisir entre les Américains et les Russes de Staline (comme le fit Lombardi lui-même, même si ce fut à l’abri du rideau de fumée d’un neutralisme purement verbal). Parmi eux personne ne fut partisan de l’Europe. Le moment venu de tenter d’unir l’Europe, ils n’y pensèrent plus. Ils laissèrent, presque sans réagir, le sort de l’Europe entre les mains des Américains et des Russes.
Or la question ne consiste pas à envisager si l’on aurait pu effectivement réussir, en exploitant le problème du règlement européen d’après-guerre, à fonder un premier noyau fédéral. Il nous suffit ici de constater que, dans la partie occidentale, grâce à l’idéalisme américain, cette tentative était possible. Le problème européen était sur le tapis. Il fallait reconstruire les Etats, refaire leurs constitutions et donner une forme nouvelle à leurs rapports réciproques tandis que leur unité de fait s’était déjà imposée sous le protectorat américain. Les partis ne pouvaient pas ne pas prendre position. C’était à eux de choisir entre l’unité et la division. Ils auraient pu dire : il faut reprendre la vie politique sur la base de l’unité, car ce ne serait que de la folie que de reconstituer les institutions qui nous divisent. Mais personne, parmi leurs dirigeants, ne tenta de les amener à ce point. Tous se cramponnèrent aux épaves des vieux pouvoirs nationaux et, sans aucune conscience des possibilités extraordinaires crées par le cataclysme de la guerre, ils reconstruisirent les Etats nationaux comme si c’était la seule chose à faire, comme si c’était tout naturel.
On ne cesse pas de s’étonner de cette inconscience de la part de ceux qui avaient crié en chœur avec Attlee « se fédérer ou mourir ». Mais ne voulaient-ils donc pas l’unité ? Pourquoi alors recommencèrent-ils sur la base de la division ? En se battant pour l’unité fédérale on risquait un échec, c’est certain, et il en va de même pour toutes les luttes des hommes. Mais, si l’on s’était vraiment battu, en faisant appel au peuple, même un échec aurait été fécond. L’âme de la population se serait trouvée, de lors et à jamais, du côté de l’unité de tous les Européens. Personne n’aurait accepté la division en deux sphères d’influence, imposée à l’Europe par les grandes puissances, comme étant une chose normale, à savoir la base stable sur laquelle organiser de façon permanente la vie politique. Personne n’aurait confondu la brutale domination stalinienne avec le socialisme, ni le protectorat américain — tout en reconnaissant sa générosité — avec la démocratie. Tant à l’Est qu’à l’Ouest, la lutte politique aurait suivi une courbe ascendante et non pas descendante, et elle aurait été infiniment plus courageuse, plus noble et plus libre. Et si l’on avait gagné ? Le premier noyau fédéral de l’Europe occidentale (même s’il n’avait été que continental) aurait sans doute possible assumé le rôle de troisième force dans la politique mondiale. Au lieu de constituer le principal terrain de lutte entre les U.S.A. et l’U.R.S.S., le problème européen se serait ainsi posé comme celui de l’adhésion pacifique des autres Etats européens au premier noyau fédéral. C’est ce qui se serait certainement produit, à commencer par le plan Marshall, et à l’occasion d’événements tels que la succession de Staline, la révolution hongroise, etc… De toute façon il est certain que ce noyau fédéral aurait désormais donné naissance à la Fédération européenne véritable, englobant tout ou presque tout le territoire européen.
Mais la lutte pour l’unité européenne n’eut pas lieu. Ceux qui avaient promis de se battre pour l’Europe s’occupèrent exclusivement de la reconstruction des Etats nationaux, c’est-à-dire de la reconstruction de la division du passé. Et si, malgré la cécité des politiciens, le passé ne revint pas, avec tout son cortège de malédictions et de pauvreté, ce fut seulement en raison de la nouvelle situation de pouvoir qui empêcha aux vieux Etats de développer de nouveau, notamment dans le domaine des relations internationales, des véritables politiques nationales. En fait, à cause du déclin des souverainetés nationales, l’unité européenne est en train d’émerger, péniblement, des structures de division. Et que pensent maintenant de l’unité ces politiciens, qui, en 1943, s’étaient déjà rendus compte de la tendance unitaire de l’histoire de l’Europe ? Ils n’ont plus le même point de vue qu’en 1943, alors qu’ils n’étaient pas insérés dans la lutte pour le pouvoir. L’Europe qu’ils voient actuellement est celle dont ils s’occupent, celle qui se révèle au sein de leur optique nationale, attachés qu’ils sont aux pouvoirs nationaux. C’est l’Europe qui subit sans discuter la division en deux sphères d’influence opposées, celle qui a renoncé à sa liberté. C’est l’Europe divisée en Etats nationaux, laquelle permet encore, même si ce n’est que pour des questions mesquines, d’opposer Etat à Etat. Et ils disent ce que cette pauvre Europe leur permet de dire, tel Riccardo Lombardi qui, en 1963, en arriva à affirmer qu’il n’est pas vrai que la Fédération coïncide avec la démocratie et la confédération avec l’anti-démocratie (alors, étant donné que dans les confédérations il n’y a pas de gouvernement du peuple, Lombardi pense que la démocratie ne coïncide pas, avec le gouvernement du peuple ?). Ecoutons-le à vingt ans de distance.[2]
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« Nous nous trouvons en face du vrai, du réel dilemme pour les Européens, dilemme qui n’est pas relatif à la forme institutionnelle de l’Europe, c’est-à-dire au fédéralisme ou au confédéralisme, suivant ce que l’on pensait quand on finissait par identifier le premier avec une position démocratique et le second avec une position non démocratique. L’initiative de de Gaulle met à nu, dans son entière crudité, lui enlevant l’écran quelque peu fictif des formes institutionnelles, le choix entre une Europe démocratique et une Europe autoritaire. Et de ce point de vue je crois que nous ne devons nous faire aucune illusion : comme le rapport de Spinelli l’a mis en relief, dans la partie que je considère comme la plus importante, nous ne devons pas nous imaginer pouvoir mener dignement la bataille pour la démocratie de l’Europe, vu la nouvelle situation qui s’est créée à la suite des récents événements, sans sacrifices et sans risques ; Spinelli a dressé un tableau convainquant de la série de comportements auxquels peuvent être amenés les diplomates, les fonctionnaires, les technocrates, qui se sont constitués, groupés, qui ont établi des traditions et des habitudes, dans les organismes européens, au point de limiter leurs actions de résistance et de contre-attaque à de simples manifestations verbales, sans oser arriver aux conséquences pratiques et politiques réelles — ce qui se traduirait par une soumission à la position qui dans ce cas resterait la seule position conséquente, celle de de Gaulle qui cherche en ce moment à organiser l’Europe autour de lui.
Or je dirais qu’une position qui voudrait réaliser sérieusement la résistance et la contre-attaque devrait assumer les risques nécessaires. Et le premier risque qu’il faut évaluer froidement c’est celui de mettre en danger les réalisations européennes elles mêmes ; malheur à qui partirait du principe que ce qui a été créé en Europe est valable et positif au point qu’il convient de payer n’importe quel prix pour le maintenir ; je crois qu’il s’agit là de la position la plus fausse. Position aussi fausse que celle de qui voudrait contester a priori la réalité des institutions européistes créées jusqu’à ce jour et leur capacité de servir de base de départ. Je crois que ce serait une conséquence de cette première erreur que de nourrir l’illusion que l’on pourrait de quelque façon (alors que de Gaulle et Adenauer mènent leur lutte pour un certain type d’Europe) conduire parallèlement l’action pour le renforcement des institutions européistes existantes et pour leur développement. Il me semble que c’est peut-être le seul point faible du rapport de Spinelli, c’est-à-dire une confiance excessive (qu’il me démente lui-même si mon interprétation est erronée, mais il vaut la peine de discuter à ce sujet) dans la possibilité d’opposer simplement une action ayant pour but un développement supranational des institutions existant déjà — un affaiblissement des pouvoirs du conseil des ministres par rapport au renforcement du pouvoir des commissions supranationales — à l’initiative européenne déclenchée par de Gaulle, qui s’est révélée effective, réelle, appuyée sur des bases d’un réalisme brutal. En pratique une solution de ce genre conduirait tout juste à une abdication réelle parce que les institutions, même si elles existent déjà, ne peuvent pas ne pas suivre leur dynamique effective dans leur cours concret de réalisation et de développement, ne peuvent pas se détacher des forces qui les dominent. Or il ne fait aucun doute qu’en ce moment la position gaulliste et la position d’Adenauer dans les institutions européistes sont très fortes, et que la position des autres pays et des représentations des autres pays, même de ceux dont les gouvernements ont pris officiellement ou prennent une position très ferme à l’égard de l’initiative gaulliste, ne présente pas, au niveau des institutions européistes, la même fermeté ; je répète qu’il s’est formé des habitudes, des comportements, qu’il s’est formé et qu’il se forme des solidarités qu’il faut également courir le risque de briser si l’on veut instaurer une réelle politique opposée à celle de de Gaulle.
Mais attention, je ne dis pas qu’il faille abandonner à leur sort les institutions communautaires qui existent déjà, ou même se désintéresser d’elles, et interrompre l’œuvre de construction communautaire ; je dis que là où une ferme action de résistance à de Gaulle, et la réaction gaulliste à cette résistance, pourrait mettre à l’épreuve ces institutions, il ne faut pas partir de la conviction qu’il est nécessaire de sauvegarder à tout prix ce qui a été fait jusqu’à maintenant. Une telle question préjudicielle conduirait tout droit à la capitulation.
Nous ne pouvons pas supposer en effet que le renforcement pur et simple des institutions actuelles et leur développement puissent constituer une contrepartie valable, une valable alternative à l’action assez cohérente de l’autre partie qui se développe sous la direction de de Gaulle. Déjà, il y a quelques mois, au cours d’une réunion que mon parti, le Parti Socialiste Italien, organisa pour discuter les problèmes de l’Europe, et dont le compte-rendu sera publié sous peu, nous avons mis en évidence le fait que, même indépendamment du succès de l’action gaulliste et de la solution dramatique des pourparlers avec la Grande-Bretagne, une certaine évolution des institutions européistes sur le terrain économique (et ce n’est guère que sur le terrain économique qu’elles jouent) s’annonçait en des termes nettement antidémocratiques. La Communauté Economique Européenne tend institutionnellement à libérer les forces économiques de certains liens de caractère international, mais en même temps elle les affranchit de certains liens que les communautés nationales avaient démocratiquement posés et posent encore ; c’est là un cadre institutionnel fait objectivement sur mesure pour que certaines forces qui dominent sur nos marchés et dans la constitution de notre société obtiennent également sur le plan supranational cette prédominance, et assurent aux organisations européennes une conformation qui coïncide avec leurs intérêts. Il faut donc se placer sur le terrain de la contestation et pour ce faire il ne faut pas se préoccuper du fait que il congelamento (la congélation), si nous voulons employer un mot brutal, que il congelamento du développement, dans le sens politique, des institutions européennes puisse se produire et ceci, par suite de là volonté délibérée des participants non gaullistes de la communauté européenne ».
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Etc… etc… etc… Il faut donc risquer de tout rompre, de se confiner de nouveau dans les cadres nationaux, de suffoquer l’expansion économique, d’appauvrir les travailleurs, d’accentuer une fois encore les contrastes nationaux ? Et à quel profit ? Au profit de quelle alternative européenne ? La voici cette alternative : a) ne pas se limiter à laisser en suspens le problème de la participation de la Grande Bretagne à la Communauté Economique Européenne ; b) ne pas éviter de faire comprendre que, si c’est nécessaire, nous sommes disposés (« nous », ce sont les Italiens, Lombardi pense à l’Europe en italien) à mettre en péril la vie même des institutions européennes qui existent déjà, et ceci dans le but de : c) reconnaître les frontières actuelles de l’Allemagne ; d) renvoyer le problème de l’Europe politique jusqu’à la « solution » du problème allemand, ce qui signifie, pour Lombardi, la réunification de l’Allemagne sur la base de son désarmement et de sa neutralisation (et pourquoi ? tandis qu’une Allemagne réunie, désarmée et neutralisée n’est qu’un rêve, la Fédération résoudrait-elle automatiquement — et pour tous les Etats membres — les problèmes de ce genre, en éliminant leurs armées et en supprimant leurs pouvoirs de politique étrangère) ; e) ne pas intégrer les forces militaires européennes mais plutôt, tout en acceptant l’O.T.A.N., chercher à désarmer l’Europe occidentale au maximum.
Vaut-il la peine de commenter ce fatras d’aspirations velléitaires et de contresens ? Non. Il vaut seulement la peine d’observer qu’à cette décadence morale et intellectuelle ne peuvent échapper en aucune façon tous ceux qui, participant à la politique nationale, ne font et ne voient que ce que leur Etat national leur permet de faire et de voir.
Mario Albertini
[1] Il s’agit, après Nenni, de la personnalité la plus en vue du Parti Socialiste Italien, qui est actuellement au gouvernement en Italie avec les catholiques, les sociaux-démocrates de Saragat et les républicains « historiques ». De formation catholique, R. Lombardi milita dans le Parti d’Action jusqu’à sa disparition, puis il entra au Parti Socialiste. Le Parti d’Action était un parti de bourgeois intellectuels, unis par l’idéologie « liberal-socialista » des frères Rosselli et autres doctrinaires qui attribuaient l’origine et la victoire du fascisme à la décadence du vieux libéralisme et du vieux socialisme, et qui voulaient les remplacer par un parti nouveau, libéral mais populaire, de gauche. Ce parti joua un grand rôle moral et intellectuel dans l’antifascisme et dans la Resistenza, constitua, avec Parri, le premier gouvernement basé sur les forces de la Resistenza, mais ne sut pas s’adapter aux conditions de la politique normale et se détruisit de lui-même peu de temps après. Parmi ses militants locaux beaucoup abandonnèrent la vie politique active. Ses dirigeants nationaux poursuivirent, au contraire, leur activité politique dans d’autres partis.
[2] Il s’agit de la première partie de l’intervention de R. Lombardi à l’onzième « Convegno degli Amici del Mondo » (hebdomadaire des libéraux de gauche) sur le sujet « Que faire pour l’Europe » ? (2-3 février 1963, Rome). Cf. le recueil des rapports et des interventions, Che fare per l’Europa ?, publié sous la direction d’Altiero Spinelli, Edizioni di Comunità, Milano 1963, p. 115 à 127. L’intervention de R. Lombardi a pour titre Savoir contester.