XI année, 1969, Numéro 1, Page 24
LES PRIORITES
DU NOUVEAU GOUVERNEMENT ITALIEN
ET L’EUROPE
Dans la situation politique actuelle en Italie, seul un gouvernement qui saurait aborder et résoudre quelques-uns des nombreux problèmes du pays peut renverser la tendance à la décomposition de la volonté politique. C’est pour cette raison que la question des priorités, en d’autres termes la question du choix des problèmes à traiter tout de suite, a pris la place du besoin normal, mais inactuel aujourd’hui, d’un programme de gouvernement pour la législature. Or, les fédéralistes doivent malheureusement constater que, dans la discussion de ces priorités, l’Europe ne figure pas du tout, avec des mesures concrètes et efficaces, même si quelques leaders politiques écrivent des articles dramatiques sur l’Europe comme impératif de l’heure.
Les fédéralistes ont par conséquent le devoir de représenter que plus rien n’est sûr si l’on ne renforce pas l’Europe politiquement. Il n’y a pas d’autre moyen de parer les bordées reçues tant de l’extérieur que des pays mêmes de la Communauté et qui peuvent altérer radicalement les données politiques, économiques et sociales de la politique italienne. A intervalles réguliers, se répètent de grands événements de ce genre, qui font venir le mot d’Europe à la bouche de tous les hommes politiques. Mais, avec une égale régularité, l’Europe n’occupe aucun rang dans l’échelle des priorités imposées par les partis pour la formation et l’action des gouvernements. Cette voie est celle du désastre.
En août, la crise tchécoslovaque a remis en question toutes les données de la politique étrangère et a modifié de façon irréversible la situation du communisme en Occident. En l’absence d’une riposte européenne, on s’est raccroché au phantasme de l’unité atlantique ou bien on est allé à la dérive. Ces jours derniers, la crise du franc a accentué de nouveau celle de la livre, laissant entrevoir celle du dollar, qui serait catastrophique. Mais en l’absence de riposte européenne, cette crise a remis en action le nationalisme gaulliste et a fait faire un pas en avant au nationalisme allemand, en montrant quelle est la consistance de l’unité atlantique.
A côté de ces événements, les problèmes internes pâlissent. Ces problèmes sont décisifs pour l’avenir des Italiens, mais leurs solutions sont en fait retardées par les crises de la détente et du système économique international ; et ils seraient emportés, de toute façon, si ces crises prenaient, ce qui est possible faute d’une présence efficace de l’Europe dans la politique mondiale, de graves proportions. C’est pour cette raison que les fédéralistes, sûrs d’interpréter plus profondément que les sommets des partis les sentiments de l’opinion publique italienne, demandent fermement que ce qui peut être fait sur-le-champ par le gouvernement italien pour relancer l’Europe soit porté au premier rang dans l’échelle des priorités du nouveau gouvernement.
Dans le cadre d’une politique européenne qui tient bon sur le renforcement et l’élargissement de la Communauté, ce qui peut être fait sur-le-champ de concret et d’efficace, c’est l’élection unilatérale des délégués italiens au Parlement européen pour faire participer la population italienne à la construction de l’Europe et aux grands choix de la politique mondiale et pour montrer aux autres gouvernements de la Communauté la voie de la reconnaissance de ce droit à leurs peuples.
Comme on sait, les fédéralistes présenteront bientôt au Parlement italien une proposition de loi d’initiative populaire pour cette élection européenne. Tandis que l’action fédéraliste progresse grâce à la faveur populaire et à la collaboration des syndicalistes et des hommes politiques proches du peuple par leur position de base dans la vie administrative et économique du pays, une résistance timide, antieuropéenne plus par peur du nouveau que par conviction profonde, se retranche derrière un faux argument juridique. Des voix sans visage cherchent à faire accroire que l’art. 138 du Traité de la C.E.E. interdirait une élection unilatérale. L’argumentation est juridiquement fausse. L’article 138 n’exclut aucune modalité de cette possibilité qui correspond au contraire parfaitement à l’esprit tant de !’article lui-même que du Traité parce qu’elle constitue un pas en avant vers l’élection générale du Parlement européen qu’il prévoit. Et elle est fausse politiquement. On sait que le Conseil de ministres de la Communauté a accueilli, par un acte officiel, la déclaration française de refus du vote à la majorité. Cette violation manifeste de la lettre et de l’esprit du Traité n’a pas empêché la Communauté de se maintenir. A la lumière de ce précédent, qui pourrait affirmer, sans mentir impudemment, qu’une élection unilatérale italienne ferait reculer, politiquement, la Communauté ?
Les retards et les précautions ne sont plus de mise. Il faut aborder sur-le-champ les problèmes les plus graves. Il faut s’attaquer sur-le-champ à la crise de l’Europe — comme, sur le plan national, à la crise de l’Université — en prenant des mesures concrètes en vue de résultats concrets. L’Europe et l’Université, c’est l’avenir. Ce n’est qu’en rouvrant la voie de l’avenir qu’on peut arrêter le processus de décomposition de la volonté politique et reprendre un chemin évolutif.
Mario Albertini
(décembre 1968)