VIII année, 1966, Numéro 2-3-4, Page 213
Documents du XIème Congrès
du Mouvement Fédéraliste Européen*
RESOLUTION DE POLITIQUE GENERALE
Le Congrès du M.F.E., réuni à Turin du 30 octobre au 1er novembre 1966, a examiné avec inquiétude l’évolution de la situation européenne et mondiale. L’Euratom et la C.E.CA. sont menacés de dislocation ou d’inertie totale. Pourtant la mise au point d’une politique énergétique globale est essentielle pour l’avenir des six pays de la Communauté et la crise de la sidérurgie, venant s’ajouter à celle du charbon, rend indispensable une planification de la production de base dans un cadre communautaire.
C’est seulement dans le secteur agricole que la C.E.E. est parvenue à jeter les bases d’une politique économique commune. Mais elle a dû accepter une juxtaposition des protectionnismes rivaux qui aggravera les difficultés des pays tiers, notamment de certains pays en voie de développement.
Avant la fin de la période transitoire du Marché commun, telle qu’elle a été prévue par le traité, l’intégration européenne est sur le point d’entrer dans une nouvelle phase. Celle-ci aboutira soit à la fondation d’un gouvernement européen soit à la transformation de la Communauté économique en une simple zone de libre échange dominée par de grands intérêts incontrôlés.
La date du 1er juillet 1968 marquera la fin des marchés nationaux et le début d’une économie européenne intégrée. Mais, étant donné la relation entre les prix agricoles, la politique des transports et de la monnaie, le tarif extérieur commun, la politique commerciale et le contrôle européen des revenus douaniers, l’union économique ne pourra pas fonctionner normalement sans des décisions fondamentales sur ces divers points. Par conséquent, une forte pression de fait s’exercera en ce sens. Les compétences économiques souveraines des Etats deviendront autant d’obstacles. Un gouvernement européen, dès à présent nécessaire, deviendra possible. Une situation objectivement très favorable se présentera pour la création d’une authentique Fédération européenne.
Le nationalisme qui, grâce à la détente et à la prospérité, a relevé la tête et a gagné partout du terrain, ne peut plus s’opposer valablement à cette évolution par le retour aux protectionnismes nationaux. La solution de facilité sera dès lors pour les Etats nationaux de glisser vers une union douanière, voire une zone de libre échange plus ou moins invertébrée, et excluant les perspectives de communauté politique.
Quant à la Grande-Bretagne, elle fait actuellement une expérience qu’expliquent son passé impérial et le rôle monétaire international de la livre.
En raison de sa situation géographique, de son importance économique et de ses traditions démocratiques, son adhésion à l’Europe en formation est souhaitable.
Toutefois, cette adhésion ne sera possible que lorsque la Grande-Bretagne aura accepté, dans une déclaration d’intention, non seulement les stipulations formelles des traités, y compris la politique agricole commune, mais encore les finalités d’union politique qui comportent en premier lieu l’élection d’une assemblée élue au suffrage universel direct et doivent conduire à un gouvernement fédéral européen. Sans cela l’entrée de la Grande-Bretagne ne pourrait qu’aboutir au renforcement des tendances dislocatrices qui agissent au sein de la Communauté européenne.
La C.E.E. est ainsi menacée de perpétuelles remises en cause de ce qui pouvait être tenu pour acquis et de complète dénaturation de son objet. Si l’union économique ne se poursuivait pas, il en résulterait une aggravation du retard scientifique et technologique de nos pays et en fin de compte une colonisation politique et économique de fait, quelles que soient les vaines fanfaronnades nationalistes et les manifestations de xénophobie hargneuse propres à tous les colonisés.
La crise de l’O.T.A.N. accroît les difficultés. Tout « partnership » implique l’égalité des partenaires. Seule la fédération européenne pourrait constituer un partenaire valable des Etats-Unis et pourrait agir dans le sens d’une liquidation ordonnée des vestiges de la guerre froide. Faute de cette fédération, l’O.T.A.N. ne pourra que se transformer sans cesse davantage en une zone d’influence américaine, et cela par notre propre faute.
Dans cette perspective, le problème allemand risque de devenir insoluble, le peuple allemand, privé de perspectives fédérales européennes, restant dominé par le mythe d’une réunification actuellement impossible et par les nostalgies de l’irrédentisme.
Aucune vie démocratique ne peut se développer si nos institutions nationales se révèlent de plus en plus incapables de prendre des décisions adéquates au niveau objectivement nécessaire. Une crise de régime et même de civilisation accompagne inévitablement notre sujétion internationale. Elle rend vaines toutes nos tentatives d’élaborer une nouvelle société répondant aux besoins de notre siècle et capable d’accélérer la libéralisation pacifique des régimes de l’Est ainsi que de favoriser le développement ordonné du tiers monde.
Les autonomies régionales n’ont aucune chance de s’affirmer dans des Etats-nations portés à défendre leur souveraineté illusoire et n’acceptant aucune contestation interne qui leur paraîtrait de nature à les affaiblir et à les humilier.
A défaut d’une Europe fédérée, les minorités ethniques, en particulier, n’ont guère de possibilité de faire valoir pacifiquement leurs droits et d’accéder à leur plein développement dans le cadre d’une indispensable solidarité organisée.
Ainsi l’alternative est claire : la fédération européenne ou la servitude, la participation démocratique ou l’arbitraire technocratique. Sans gouvernement européen, pas d’indépendance, développement compromis, crise de la démocratie à l’intérieur, impuissance à l’extérieur.
L’approche de la fin de la période transitoire de la C.E.E. et l’expiration du traité de l’Atlantique nord en 1969 imposent un choix urgent.
Il n’est pas d’autre moyen que la création du pouvoir politique européen pour :
1) participer au processus de la détente, du désarmement, du développement économique du tiers monde ;
2) combler le retard dans le développement scientifique et technologique qui s’aggrave, chaque jour davantage entre l’Europe et l’Amérique du nord ;
3) réaliser une programmation européenne démocratique capable d’assurer l’expansion économique, la justice sociale et un harmonieux développement régional ;
4) déclencher un processus d’extension du premier noyau fédéral à toute l’Europe ;
5) permettre le libre épanouissement des minorités ethniques et la transformation dans le sens fédéraliste des structures administratives, économiques et sociales.
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Pour favoriser le processus constituant de l’Europe fédérale et ne pas être orientés malgré eux vers des objectifs nationaux, les fédéralistes devront :
— en France, participer à la lutte menée par l’opposition démocratique, en soulignant à chaque occasion que c’est un pouvoir politique européen qui seul pourra fournir une solution à la crise permanente de la démocratie ;
— en Allemagne, collaborer au renouveau de la politique allemande, mais en rejetant l’illusoire et dangereuse politique de réunification dans le cadre d’un Etat national et en liant la solution du problème allemand à celui de la fédération et de l’organisation pacifique de l’Europe tout entière ;
— en Italie, en collaborant notamment au renouveau du socialisme et de la politique des catholiques, en démontrant l’impossibilité d’atteindre les objectifs définis par ces forces politiques dans le cadre national ;
— dans les autres pays, en tendant toujours à montrer qu’il est impossible de triompher des réactionnaires dans le cadre national.
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Les fédéralistes décident de renforcer tous leurs moyens d’action, notamment :
— Le Recensement afin de multiplier le nombre des militants et de regrouper les citoyens européens ;
— Le Front démocratique pour une Europe fédérale, pour grouper les cadres conscients au niveau européen dans des perspectives fédéralistes.
Ils décident d’œuvrer en vue d’aboutir à la réunion d’une Convention des Institutions européennes, chargée d’élaborer les grandes lignes d’une Constitution fédérale et de définir de manière permanente la politique générale qui devrait être suivie par la Fédération européenne pour se développer harmonieusement et assumer son rôle essentiel en faveur de la paix et de la solidarité active de tous les peuples de la terre.