LE FEDERALISTE

revue de politique

 

IX année, 1967, Numéro 1, Page 39

 

 

A propos du langage politique allemand*
 
 
LETTRE DE M. PETER FISCHER
 
 
Il y a longtemps que je ne me sens pas d’accord avec la terminologie fédéraliste, et c’est à son propos que je fais les réflexions suivantes. Je suis heureux, que notre ami Francesco Rossolillo ait touché les problèmes se rapportant au langage utilisé par la propagande fédéraliste. Pour plus de clarté et pour éviter les malentendus, je vais, dans les pages qui suivent, répliquer longuement à nos amis italiens. Afin que le lecteur puisse comprendre cette analyse, je le prie de se reporter au texte en question que je vais suivre pas à pas.
Je partage l’opinion de Rossolillo que les difficultés linguistiques, si graves soient-elles, ne constituent pas des obstacles insurmontables si l’on est d’accord sur le fond. Je n’hésite d’ailleurs pas à reconnaître que nous sommes effectivement d’accord là-dessus, si nous ne le sommes pas sur la confusion entre le fond et la méthode pour réaliser nos convictions politico-philosophiques. L’auteur a identifié le fond et le langage utilisé pour mettre en lumière les thèses et les convictions. Il faut séparer nettement le fond de ces convictions politico-philosophiques et leur application, c’est-à-dire leur explication et leur mise en œuvre. Réaliser ses convictions philosophiques, c’est à mon avis une question politique, non philosophique ; par conséquent ce n’est pas une question fondamentale, mais secondaire. Naturellement, le langage utilisé donne ses traits de caractère à un mouvement tel que le nôtre, mais la substance en reste indépendante. Bien que je n’estime pas que la question mise au point soit fondamentale, je consens qu’elle soit décisive pour notre attitude politique et l’efficacité de notre action.
Entrons cependant dans les détails. Si l’on a discuté consciencieusement les documents allemands du Recensement Volontaire du Peuple Fédéral Européen, je me demande pourquoi ils ont pu susciter notre critique, à nous Allemands ; si on les a discutés à fond, mais exclusivement entre Italiens, cela ne m’étonne pas du tout. J’apprécie le fait que quelques uns de nos bons amis italiens, et avant tous l’auteur lui-même, parlent très bien l’allemand, mais cela ne les exempte pas de soumettre les documents au contrôle des Allemands, afin de parvenir à des formules qui ne violent pas la grammaire ni ne blessent l’oreille et évitent des allusions indésirables, des méprises et des ressentiments. L’auteur nous assure qu’il n’y a pratiquement — je cite ses mots — « aucun terme crucial de notre propagande qui n’ait été mis en discussion tour à tour par l’un ou l’autre de nos amis (allemands) ». Pourquoi, lui demanderai-je, les auraient-ils mis en discussion s’il n’y avait rien à critiquer ? Ceux qui les critiquent ne le font pas pour le plaisir, mais parce qu’ils prennent ces questions au sérieux, et nos amis italiens feraient bien de prendre également ces critiques au sérieux et de les peser consciencieusement.
J’en viens aux exemples. Rossolillo nous dit que nous jugeons inacceptables toutes les expressions qui font apparaître les traits militants du M.F.E. Oui, d’accord. Puis il dit que les termes en question ont, à nos oreilles, « un son violent et révolutionnaire » : oui. Mais il est dans l’erreur lorsqu’il dit que ces termes suscitent « l’épouvante ou le rire » de ceux qui les lisent : ils suscitent un certain mépris, ils font penser à ces gens qui se servaient d’un langage semblable, communistes ou nazis, ou encore pis, ils entraînent un certain soupçon qui fait que le public nous confond avec eux. La pratique nous en a fourni maints exemples. Aujourd’hui les idéaux de « l’homme de la rue » — jamais je ne prendrai cette expression au sérieux, mais utilisons-la puisqu’on la comprend — se tournent plutôt vers les chevaux-vapeur de sa nouvelle voiture que vers le bienêtre futur de la société dans laquelle il vit. Il ne correspond pas à l’attitude politique et au degré d’idéalisme du citoyen allemand moyen d’utiliser un langage révolutionnaire et militant. Le lecteur ne doit pas entendre ces mots comme un conformisme inconditionnel, mais saura qu’une espèce de non-conformisme perdant tout contact avec la masse, c’est-à-dire avec l’« homme de la rue », risque d’être aussi dangereux que le conformisme. C’est un fait pur et simple que l’« homme de la rue » ne sent pas l’unification de l’Europe comme un besoin urgent. Les sondages de certains instituts d’opinion publique l’ont prouvé, tandis que notre Recensement n’a pas encore prouvé, selon moi, le contraire. D’autres sondages des mêmes instituts ont démontré que plus de 70% de la population allemande méconnaît de façon décourageante les faits politiques. C’est un fait dont nous devons nous rendre compte si nous faisons de la propagande. Ce sera plutôt le but de notre propagande de donner des informations, de montrer encore et toujours la nécessité d’une Fédération européenne et la voie pour l’atteindre, que de parler d’une espèce de révolution européenne. C’est à mon avis la tâche suprême de notre propagande. Il va de soi qu’une propagande faisant montre de trop de retenue manquerait de l’efficacité nécessaire. Une propagande qui renoncerait à l’enthousiasme ne serait pas une vraie propagande. Ce à quoi j’aboutis en matière de propagande fédéraliste, c’est à un mariage de raison entre la sobriété des informations et la force de conviction qui fait que les gens pensent, eux aussi, à une Fédération européenne, et la demandent.
Le doute méthodologique : Personne n’a demandé de faire transparaître des doutes méthodologiques dans toutes les affirmations fédéralistes. Il serait absurde de faire de la propagande tout en disant aux gens que nos thèses sont aussi bien improbables que probables. Je suis d’accord avec l’auteur que le doute méthodologique a une signification fondamentale s’il s’agit d’affirmations ou de discussions de caractère théorique. S’il s’agit de propagande, le doute méthodologique est plus nuisible qu’il ne sert à démontrer la validité et l’efficacité de nos affirmations.
Les conflits sociaux : Personne ne nie qu’il y ait des conflits sociaux, ou mieux, des différences sociales dans la Bundesrepublik (République Fédérale d’Allemagne). Et personne n’a jamais dit qu’il n’y ait plus d’Arbeiter (travailleurs). La division en « classes sociales » telles qu’on les utilise dans l’idéologie marxiste était valable au siècle passé, peut-être jusqu’à la première Guerre mondiale. Aujourd’hui une telle division est tout à fait dépassée. Il n’y a plus une classe ouvrière exploitée par les classes supérieures, étant donné que les ouvriers sont conscients de leurs pouvoirs accumulés dans les syndicats. Aujourd’hui un ouvrier gagne parfois plus qu’un professeur de lycée dont la qualification est beaucoup plus grande. Economiquement il y a, en premier lieu, la classe moyenne à laquelle appartient presque toute la population. Il faut mettre à part certaines couches sociales : les pauvres, qui n’ont pas assez pour participer au progrès social et économique ; les petits rentiers et d’autres qui, quelles qu’en soient les raisons, dépendent des aumônes sociales ; et les riches, qui vivent dans l’abondance.
Il est évident, par contre, que le point de vue économique n’est pas suffisant pour donner une répartition intelligible et valable d’une société. Les critères culturels et d’éducation pris en considération, nous trouvons en effet une image différente ; on a la situation que Ralf Dahrendorf a décrite en des termes tout à fait justes et auxquels je souscris sans hésiter. Je me demande cependant quelles sont les conséquences à en tirer ; personne ne peut nier que les possibilités légales d’arriver à une meilleure éducation scolaire ou même universitaire sont ouvertes aux enfants d’ouvriers, à eux aussi. Naturellement, on ne peut pas se contenter de donner des possibilités légales sans prodiguer aux ouvriers les conseils leur permettant d’en user. C’est dans cette intention qu’on a commencé à mettre en place des autorités de l’Etat chargées de s’en occuper — aussi lentement, bien sûr, que toutes les autorités. Les grandes usines accordent des aides parfois généreuses aux ouvriers qui veulent se perfectionner dans leur métier, elles leur accordent aussi des bourses leur permettant de faire des études. Actuellement il est beaucoup question de vacances d’études (Bildungsurlaub) dont on ne voit pas clairement comment elles seront réalisées, mais cela se fera presque inévitablement. En somme, les possibilités sont là, même si elles ne sont pas encore suffisantes ; il faut les utiliser ; et il faut informer les ouvriers et leur permettre de se saisir des avantages que leur donnerait une meilleure éducation, fût-elle scolaire, académique ou professionnelle.
Il y aurait beaucoup de choses à dire pour démontrer que, par exemple, la répartition entre deux groupes aux mentalités différentes entre lesquelles selon Dahrendorf (halbierte Gesellschaft, société divisée), s’ouvre un véritable abîme, n’est correcte que dans une certaine mesure et qu’il s’agit, nécessairement, d’une généralisation valable seulement dans un certain nombre de cas. Cessons de discuter les thèses de Dahrendorf et tirons-en les conclusions que 1) on ne peut pas parler raisonnablement d’une division en classes dans la République Fédérale et 2) qu’il y a sûrement des différences sociales et mentales qui, étant donné l’hétérogénéité de la société, existeront toujours sous une forme ou sous l’autre et ne céderont jamais à une égalité sociale complète (laquelle, en outre, ne serait pas du tout désirable).
La raison pour laquelle nous avons refusé l’expression Fortschritt der Arbeiter (progrès des ouvriers) est beaucoup plus simple que l’auteur de l’article ne nous l’a fait croire : la notion d’Arbeitnehmer (preneur de travail) n’englobe pas seulement les ouvriers, mais aussi les employés, et au premier rang ceux de l’Etat, auxquels il faut également faire des progrès.
Les termes désignant les grandes valeurs publiques telles que la paix, la liberté, la justice, la démocratie, la vérité et, enfin, l’unification de l’humanité, ne sont pas considérés par nous avec méfiance. Ce serait vraiment absurde de le supposer. En outre, je demande à Rossolillo s’il n’a pas pensé en parlant de méfiance, qu’il faudrait une attitude totalement anti-démocratique, nihiliste, sceptique et pessimiste pour se montrer méfiant vis-à-vis de ces notions ? Ne s’est-il pas rendu compte que cela ne cadre pas d’être à la fois fédéraliste et antidémocrate, nihiliste, etc…, et que ce serait diffamer les fédéralistes allemands que de supposer qu’ils pourraient adopter une telle attitude ?
C’est en effet du contraire de cette attitude que nous sommes animés. L’histoire de notre pays, pendant ses années les plus déplorables, nous a enseigné la nécessité de réfléchir constamment à ces notions-là et d’y attacher le plus grand sérieux. C’est ici qu’il faut appliquer le doute méthodologique. Pour nous ces notions ne sont pas du tout rhétoriques ni vides de sens. Nous voyons par contre les problèmes qu’elles soulèvent. En faisant un tour d’horizon dans l’histoire ou dans la politique actuelle nous nous trouvons dans l’obligation de constater qu’il est très facile d’en dénaturer le sens. Peut-on appeler « paix » ce qui n’est que la coexistence ou l’équilibre de la terreur ? Est-il d’ailleurs théoriquement possible de maintenir le monde dans une paix qui soit vraiment la paix, et non celle des cimetières ? La liberté : peut-on réaliser en société la liberté absolue ? N’est-elle pas plutôt la voie moyenne entre la liberté individuelle et les exigences de la société (« La liberté de l’un trouve ses limites dans la liberté des autres ») ? Ne risque-t-elle pas constamment d’être violée par les nécessités du jour ? Que faut-il penser en constatant que l’ensemble des lois ne constitue pas la justice et que la légalité est différente de la légitimité ? La démocratie n’est-elle pas le fleuve le plus difficilement navigable pour le navire de l’Etat ? La vérité enfin : depuis 25 siècles les philosophes et toute l’humanité se posent ce problème. Les affirmations fédéralistes, cependant, ont maintes fois provoqué l’impression que l’on peut apprendre à l’école, c’est-à-dire donner une réponse simple et valable pour tous les âges à ce qu’on entend par ces notions-là. C’est dire que le doute méthodologique n’est pas seulement utile, mais nécessaire.
Quelles sont les conséquences pratiques à en tirer ? Confrontés à la nécessité de faire de la propagande, et après avoir fait la part nécessaire au doute méthodologique, nous devons intimement nous rendre compte de la responsabilité que représente la tâche de faire de la propagande : si non c’est de la démagogie. Il faut appliquer les résultats obtenus par le moyen du doute méthodologique, s’il y en a ; ou — par exemple le doute méthodologique appliqué à la notion de vérité, ce qui est la philosophie — il faut donner sa définition propre, ou il faut le laisser de côté. Bien entendu, le doute méthodologique n’a rien à voir avec la propagande, mais si on ne veut pas que la propagande se transforme en démagogie, il faut que le résultat s’en ressente.
Langage politique et action politique : Le rapport entre ces deux termes n’est pas à mon avis direct, mais plus ou moins indirect.
Il ne m’intéresse pas du tout de savoir si ce que nous faisons s’appelle Kampf (lutte) ou Arbeit (travail), ou je ne sais quoi encore. Je ne vois aucune nécessité inéluctable d’appliquer à nos activités des expressions empruntées à l’arsenal des révolutions de 1789 à 1917, langage complètement dépassé et qui est toujours allé de pair avec une idéologie ou un conglomérat d’idées philosophiques, pseudo-philosophiques, nationalistes ou restauratrices, et après 1917 fascistes, racistes, ou les deux : nazis. S’il a fallu mentionner tous ces termes, on reconnaîtra au moins en ce moment dans quelle mesure notre terminologie est corrompue par les événements historiques. Ce n’est pas notre faute ; la seule faute que nous ayons commise en ce contexte était de l’utiliser. Si le fédéralisme est une chose tout à fait nouvelle (il est) et s’il n’est pas une idéologie nouvelle — je ne suis pas sûr qu’il soit une idéologie nouvelle, dans la série de celles que l’humanité a eu le bonheur d’éprouver —, il ne devrait pas se servir du langage utilisé par les vieilles idéologies, mais en créer un nouveau approprié à son caractère et à ses perspectives. Ce langage est celui de la discussion sobre et exacte ; l’engagement sans conditions pour nos idéaux et les sentiments de ceux qui paient de leur personne prêteront à la discussion la passion, l’emphase et l’élan qui sont, si je puis dire, le sel dans le potage. C’est aussi ce langage qui répondra aux difficultés de l’unification européenne. (Personne n’a retenu que l’intégration européenne soit un chemin simple et aisé. Aucun de ceux qui se sont occupés des problèmes qu’elle soulève ne saurait dire que le processus d’unification constitue « une voie d’accompagnement sans secousses » qui, presque automatiquement, et après un certain temps, nous mènerait à la Fédération européenne. Personne ne serait assez naïf pour le croire).
Ce que je refuse, c’est une espèce de propagande qui ne sait pas se détourner de la démagogie, et ce sont des phrases rhétoriques ou non, sur les idéaux les plus sérieux non seulement de notre organisation, mais de toute l’humanité. Après tant d’avanies qu’ont souffertes ces mêmes idéaux non seulement ici, en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays, ils ne vont pas du tout de soi, ils exigent d’être précisés et concrétisés. Parler continuellement de liberté, d’humanité, etc…, sans dire ce qu’on entend par là, cela revient à vider les mots de leur contenu et à les rendre rhétoriques. On en pourrait énumérer maints exemples dans l’histoire qui suffiraient à le prouver ; mais il n’y a pas à reculer bien loin dans le passé.
(Je renonce à donner des exemples, et je me refuse à discuter si le fédéralisme a ou non le caractère d’une idéologie ; c’est un sujet qui devrait bien être traité ici dans Le Fédéraliste).
Jusque-là j’ai mis en évidence ce qui, selon moi, est essentiel. J’ajoute quelques notes et observations marginales.
1) « Il ne faut pas surestimer les succès du N.P.D. ». Voilà ce que j’écrivais il y a quelques mois. Aujourd’hui je ne dirai pas davantage qu’il faut surestimer son importance, de peur de lui faire un cadeau auquel il ne s’attend pas, mais par ses derniers succès électoraux en Hesse et en Bavière, il est devenu une force que nous devons combattre sans répit. En effet une lutte sans conditions s’impose, et je promets que mes amis berlinois et moi-même, à partir du moment où le N.P.D. prendra pied à Berlin, nous nous présenterons pour démontrer que le fédéralisme est la seule et vraie alternative au nationalisme, leur antagoniste le plus sévère. Par des démonstrations et par des manifestations fédéralistes, nous prouverons au public le danger qu’il y a à remplacer la pensée par l’émotion, le travail sérieux pour notre avenir commun par la rétrospective irrationnelle et par des ressentiments, et nous démontrerons le danger qu’il y a à réchauffer le passé au lieu de le surmonter en se rendant compte des raisons pour lesquelles il était aussi désastreux. Tirant les vrais conséquences du passé, nous prouverons qu’il vaut mieux utiliser le présent pour construire un meilleur futur commun.
Il eût mieux valu se passer de la provocation que représente le N.P.D., mais nous l’acceptons volontiers car elle nous donne la chance de prouver la supériorité de notre conception.
2) Rossolillo a lu le « Spiegel » du 25 avril 1966 (qui est en effet l’hebdomadaire le plus important de l’Allemagne, sans qu’on doive le considérer d’un autre côté comme la Bible). Or « Pour un nouveau Rapallo ? » est peut-être l’article le plus mauvais qu’Augstein ait jamais écrit. Je ne perdrai pas mon temps à commenter longuement la phrase citée par Rossolillo, je me contenterai de dire que si M. Augstein a écrit beaucoup d’excellentes choses, il en a aussi écrit qui étaient tout simplement fausses.
3) Je lis que « ces remarques ne veulent pas être des accusations » envers nous. Fédéralistes que nous sommes, cela ne nous aurait pas touchés, de toute façon. Mais, Dieu merci, l’auteur nous considère fédéralistes, bien qu’il dise que « la très grande majorité (d’entre nous) n’est entrée dans le fédéralisme que depuis peu » et qu’elle «  n’a pas encore pu se rendre compte du caractère de notre entreprise… ». Ici je me défends énergiquement contre la disqualification que ces lignes contiennent ; nous nous sommes très bien rendu compte du caractère du M.F.E. et nous avons sérieusement réfléchi sur sa philosophie, sur ses actions et sur les problèmes de l’intégration européenne tels qu’ils se posent aujourd’hui. En tenant compte des différences dans la situation politique entre la France, l’Italie et l’Allemagne, notre pensée a évolué parfois à quelque distance de celle de nos amis italiens ; nous ne sommes pas tant les disciples de nos maîtres que nous adoptions toujours leurs exégèses du fédéralisme, qui me semblent parfois avoir pris le caractère d’une doctrine —, et je proteste contre le fait d’essayer de disqualifier l’interlocuteur avec lequel on prétend discuter.
4) J’ai tenu à décrire notre point de vue sur les grandes valeurs. Ces affirmations me permettent de repousser aisément les accusations concernant notre prétendu « émoussement de la sensibilité par rapport aux valeurs de la paix, de la liberté, etc. » qui nous empêcherait de pratiquer des méthodes justes dans notre travail fédéraliste. La supposition étant fausse, la conclusion l’est aussi. Je souscrirais volontiers à chacune des phrases de Rossolillo, sauf qu’elles ne nous concernent pas.
5) Ce que l’auteur indique sur le climat politique de l’Allemagne me semble juste en général. Ce sont de fortes tendances que la Beruhigungsideologie, la politische Kirchhofsruhe, l’oligarchie des grands partis, la Sehnsucht nach Synthese (nostalgie de synthèse), l’aversion pour le conflit politique et le cartel de la peur (Kartell der Angst). On aurait sans doute tort de dire que ces tendances sont typiquement allemandes, car il faut éviter les généralisations intolérables. Mais elles existent.
6) L’auteur retient que le communisme est hors-la-loi en Allemagne parce qu’antinational. D’abord le communisme n’est pas explicitement antinational, mais, en outre, ce n’est certainement pas ce motif qui fait que la plupart des Allemands repoussent le communisme. Le vrai motif, c’est qu’il est antidémocratique. La mise hors-la-loi du parti communiste en République Fédérale n’est généralement pas considérée comme naturelle, et pas pour le motif de l’antinationalisme. Nous tous, nous connaissons bien la raison de sa mise hors-la-loi. Il manquerait de logique d’admettre un parti qui veut expressément abattre la constitution démocratique. Il ne manque pas de voix pour demander la réadmission du parti communiste, et cela pour des motifs divers dont quelques-uns ne sont pas de caractère démocratique, mais tactique.
7) On me permettra quelques remarques sur le premier recensement à Berlin. Nous avons, semble-t-il, pris l’habitude d’appeler « grand succès » ce qui est peut-être un succès initial, mais que doivent suivre d’autres plus grands et plus impressionnants. Les manifestations telles que nous avons pu les voir à Turin ou dans d’autres villes d’Italie s’approchent de ce qui impressionne le public.
8) On dit à propos de la fiche du Recensement que son texte n’a pas été pensé pour aujourd’hui, mais pour demain. Bien, mais pourquoi a-t-on choisi pour ce texte d’après-demain un langage d’avant-hier ?
9) On m’a fait réfléchir à une chose qui me semble bien vraie : Il y a beaucoup d’expressions qui nous semblent corrompues, mais pas aux gens simples (je le dis sans préjugé de classe !). Ils les trouveront tout à fait normales. Mais cela veut-il dire quand même qu’il n’y a rien de corrompu dedans ? Je pense que non : les expressions dont nous parlons, les grandes valeurs qui déterminent notre attitude humaine et fédéraliste ne peuvent pas être corrompues. Mais le langage qui les utilise sans les préciser en vient à les vider de sens, à les rendre rhétoriques et, enfin, à les corrompre. Voilà pourquoi je les utilise avec prudence. Et pourquoi j’écris ces pages.
10) Vous aurez remarqué que nous avons toujours parlé du langage du M.F.E. et, particulièrement, de ce qui concerne le langage de la propagande du M.F.E. en allemand, mais nous avons très peu parlé du langage politique en Allemagne sans considération du M.F.E. Il mériterait bien un analyse spéciale.
 
Peter Fischer


* Il s’agit de deux réponses à l’article de Francesco Rossolillo « A propos du langage politique en Allemagne » paru dans Le Fédéraliste, 1965, n. 3-4.

 

 

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