XIII année, 1971, Numéro 3-4, Page 135
Le Mouvement Fédéraliste Européen
BUTS, MOYENS ET APERÇU HISTORIQUE
Les buts
« Le Mouvement fédéraliste européen a pour but la lutte pour la création d’une Fédération européenne — comme étape vers la fédération mondiale — à laquelle seront transférés les pouvoirs souverains nécessaires à la sauvegarde des intérêts communs des citoyens des Etats européens. Cette Fédération européenne devra garantir les libertés fondamentales — y compris le droit d’opposition — et disposer de pouvoirs fédéraux effectifs concernant la politique économique, financière et sociale générale, les échanges internationaux, la monnaie, la politique extérieure et la défense ». Les statuts formulent ainsi l’objectif politique du Mouvement et sa signification historique ultime : la Fédération européenne comme unité des Européens et comme étape vers l’unité fédérale de tous les hommes, autrement dit vers la paix véritable.
La signification historique actuelle que le Mouvement attribue à la Fédération européenne — sa nécessité comme solution de la crise des Etats nationaux, la méthode pour la fonder et les objectifs politico-sociaux qu’elle permettra d’atteindre — résulte évidemment, en plus des statuts, des documents qui ont marqué la naissance du Mouvement, pendant la Résistance, et des résolutions de ses Congrès, c’est-à-dire des actes fondamentaux de sa lutte.
La Fédération européenne comme moyen d’améliorer l’équilibre mondial. — En 1947 (1er Congrès, Montreux), le Mouvement affirmait déjà qu’il convenait de rendre à l’Europe « la fierté de sa légitime indépendance » et en 1948 (IIe Congrès, Rome) que « seule une Europe fédérée sera capable de suivre une politique d’indépendance à l’égard des autres puissances mondiales. Elle seule peut constituer la tierce puissance qui est essentielle pour le maintien de la paix ». En 1962 (IXe Congrès, Lyon), le Mouvement précisa que « la contradiction sans cesse croissante entre l’interdépendance matérielle des peuples et leur prétention à la souveraineté nationale conduit le monde à l’anarchie économique, au chaos politique et menace l’existence même d’une civilisation organisée ». Enfin, en 1964 (Xe Congrès, Montreux), en ce qui concerne les rapports avec les U.S.A., il affirma que « de quelque manière qu’on envisage la collaboration entre l’Europe et les Etats-Unis, communauté ou partnership, on ne pourra trouver aucune solution valable en dehors de la Fédération européenne ».
La Fédération européenne comme moyen de renouvellement démocratique. — Il s’agit d’une affirmation constante, déjà parfaitement claire aux rédacteurs des premiers documents fédéralistes durant la Résistance : « Le Mouvement pour la Fédération européenne entend s’appuyer sur les mouvements nationaux qui luttent pour la justice économique et sociale, contre l’oppression politique, pour la manifestation libre et pacifique de leur génie national spécifique. Mais alors que les partis démocrates, socialistes, communistes pensent souvent que ces objectifs doivent d’abord être atteints dans chaque pays séparément et qu’en fin de compte surgira une situation internationale dans laquelle tous les peuples pourront fraterniser, le Mouvement pour la Fédération européenne met en garde contre cette illusion. L’ordre de ces objectifs est exactement l’inverse. Dans le cadre d’une Europe divisée en Etats souverains, ces mouvements ne peuvent qu’avorter ou dégénérer ; ils ne peuvent se développer dans un sens progressif que dans une Europe fédérée. La Fédération européenne est donc le premier des objectifs que doivent se fixer les patriotes, démocrates, socialistes et communistes ». (Déclaration du Comité français pour la Fédération européenne, 1944).
La Fédération européenne comme moyen de transformation de la société. — L’affirmation de ce principe, étant donné la difficulté de son élaboration théorique, a été lente et discutée. Toutefois, avec l’adoption de la Charte fédéraliste (Xe Congrès, Montreux), le Mouvement a choisi son orientation comme le montre le passage suivant sur la propriété : « Le fédéralisme tend à généraliser la propriété en y faisant accéder les non-possédants ; à la purifier en supprimant les rentes parasitaires et les profits abusifs ; à la différencier en propriété privée et en propriété sociale, sous toutes ses formes : communale, coopérative, syndicale, régionale,… Ainsi la propriété cessera d’être un moyen d’exploitation, et, partant, un pouvoir d’oppression d’autant plus redoutable qu’il reste souvent occulte et camouflé ».
La fondation de la Fédération européenne. — Suivant le M.F.E., la méthode nécessaire pour fonder la Fédération européenne est celle de la Constituante. Une motion dans ce sens fut votée au IIIe Congrès (Strasbourg, 1950) : « Le IIIe Congrès… réaffirme que, pour réaliser cette Fédération, il est nécessaire de faire entre ces Etats un pacte d’union fédérale qui institue un gouvernement, un parlement, une cour suprême et des organes économiques et sociaux représentatifs, et transfère à cette autorité certains attributs de souveraineté nationale concernant la politique extérieure, la défense, l’unification progressive des économies, les finances, la protection des droits de l’homme et des communautés. Il constate que pour parvenir à cette fin il est indispensable que les Etats disposés à s’unir par un lien fédéral s’engagent à convoquer une assemblée fédérale constituante européenne, composée de représentants des peuples et non des gouvernements et chargée de voter un pacte d’union fédérale européenne, qui entrera en vigueur quand il aura été accepté par un nombre minimum de pays indiqué dans le pacte lui-même, et qui restera ouvert à l’acceptation des autres Etats ».
Cette position du M.F.E. a été considérée comme utopique par toutes les forces politiques et sociales, et a été critiquée aussi par les mouvements européistes, mais le principe en est inattaquable. Refuser la méthode constituante signifie exclure le peuple de la construction de l’Europe. D’autre part, c’est un fait que les structures de la vie économique et sociale sont mises en discussion de plus en plus radicalement parce qu’elles ne permettent ni une participation sérieuse des citoyens à la formation des décisions politiques et économiques, ni des décisions adaptées aux problèmes que pose l’évolution historique. Ce fait, par nature, est d’ordre constitutionnel. Donc, il est vrai que l’Europe a cette alternative : une phase historique constituante (à tous les niveaux, de la commune à l’Europe) ou la mort historique.
Le M.F.E. a précisé aussi qu’il n’est pas nécessaire de commencer par une Fédération de toute l’Europe, impossible dans l’équilibre mondial actuel, mais qu’il faut se battre pour un premier noyau fédéral, capable de s’étendre par la suite à toute l’Europe. Déjà dans la résolution politique approuvée au IIe Congrès (Rome, 1948), on peut lire, en effet, au quatrième point : « [le Mouvement] affirme qu’en réclamant la constitution immédiate d’une fédération entre les pays qui dès aujourd’hui peuvent s’associer, il ne renonce pas du tout à voir les autres pays qui appartiennent géographiquement et historiquement à l’Europe, s’unir à cette fédération… ».
Les moyens
Les capacités. — Il n’est pas facile de préciser le rôle du M.F.E. — c’est-à-dire ses capacités d’action — parce qu’il se différencie radicalement des modèles normaux d’organisation politique : les partis et les groupes de pression. A la différence des groupes de pression, qui cherchent seulement des avantages particuliers pour des groupes particuliers sans modifier nécessairement l’organisation des pouvoirs constitués, le M.F.E. exerce une initiative politique autonome : celle de la fondation de l’Etat fédéral. Mais, à la différence des partis, qui dans certaines limites élaborent en leur sein, et mènent à bonne fin tout seuls, leurs initiatives, le M.F.E. n’est pas en mesure d’atteindre tout seul son objectif. Pour fonder l’Etat fédéral, est nécessaire en effet le concours de presque toute la population, et donc aussi des partis, des syndicats et de toutes les autres organisations par lesquelles elle s’exprime.
Le M.F.E. est donc un mouvement au sens propre du mot. Plus précisément la partie organisée, destinée à se réduire ou à s’agrandir suivant les situations, d’une convergence historique de forces politiques et sociales sur un terrain nouveau, le terrain européen. Cette convergence a son origine dans ce fait nouveau de l’histoire européenne : la société civile perd son caractère exclusivement national et prend, à côté du caractère national, un caractère européen.
Les mouvements ne se manifestent jamais sous la même forme parce que leur nature dépend des caractères, chaque fois différents, des transitions historiques. Celle qui concerne le M.F.E. comporte, sur le plan du processus politique, le passage d’un système d’Etats nationaux fermés à un Etat fédéral ouvert. En tant que telle, elle exige :
1) Au sommet, une structure et une capacité supranationales. La convergence des forces politiques et sociales sur le terrain européen est freinée par le caractère national de la lutte politique, qui ne permet pas aux partis d’exercer efficacement l’initiative européenne. Cette initiative ne peut se manifester complètement qu’avec une organisation, comme le M.F.E., qui élabore sa politique au niveau supranational, à la différence des forces politiques et des groupes de pression qui l’élaborent au niveau national.
2) A la base : a) la structure et la capacité d’un ensemble (coordonné) de centres de culture politique et sociale à caractère militant. En général, on ne peut pas exprimer la conscience d’une transition historique sans la connaissance du sens nouveau de l’histoire. En particulier nous ne pouvons pas nous battre pour la Fédération européenne sans lutter contre les Etats nationaux exclusifs, c’est-à-dire sans une théorie générale du fédéralisme et sans une critique des aspects faux de l’idée nationale ; b) la structure et la capacité d’un ensemble (coordonné) de centres d’agitation de l’opinion publique. Ne pouvant pas participer aux élections, pour ne pas subir la division imposée par la lutte politique nationale, le M.F.E. ne peut pas se servir de l’appareil électoral de l’Etat pour entrer en contact avec la population, et c’est pourquoi il doit y pourvoir lui-même par des actions d’encadrement de la population au niveau européen ; c) la capacité d’un ensemble (coordonné) de charnières de l’unité démocratique européenne. Pour unir les forces démocratiques dans l’intention de construire l’Europe, un plus petit commun dénominateur européen est nécessaire, que seul le M.F.E. peut fournir. Il va de soi que cette capacité de charnière est minimale quand la possibilité de fonder la fédération est lointaine, maximale quand elle est proche.
En fait, le M.F.E., qui constitue la position avancée du fédéralisme organisé, a atteint en 1959, par un statut supranational, la capacité supranationale, et seulement dans quelques villes les capacités de centre de culture, de centre d’agitation de l’opinion publique et de charnière de l’unité démocratique européenne. En ce qui concerne la capacité supranationale, il faut retenir qu’elle se distingue nettement de celle des Internationales des partis, qui choisissent leurs dirigeants et leur politique au niveau national, en se bornant à des rencontres périodiques des chefs des partis des différentes nations, alors que le M.F.E. est la seule organisation politique, et la première historiquement, qui choisit ses dirigeants et sa politique au niveau supranational par un congrès supranational.
Les organes. — Les organes du M.F.E. ne demandent pas une description particulière parce qu’ils sont semblables à ceux de toutes les organisations démocratiques, hormis leur caractère pluraliste et supranational. Les niveaux d’organisation sont au nombre de quatre : la commune, la région, la nation et l’Europe (pour le fonctionnement des organes respectifs, consulter les statuts).
Aperçu historique
De lointains précurseurs du M.F.E. sont les hommes qui, au XIXe siècle déjà, comme Cattaneo, Frantz, Mazzini, Proudhon, Saint-Simon, ont élaboré des idées fédéralistes et parlé de l’unité européenne. Mais il s’agissait de l’indication d’une fin ultime, pas encore d’un véritable objectif politique.
Un pas en avant, sur le seul plan théorique, fut accompli par des hommes comme Luigi Einaudi, qui ne se bornèrent pas à mettre en lumière la nécessité de la Fédération européenne, mais critiquèrent durement les fausses solutions du type de la Société des Nations.
Les premières actions politiques en faveur de l’unité européenne, menées avec l’appui d’un mouvement d’opinion, n’apparurent qu’entre les deux guerres mondiales, par le canal de deux organisations : Paneuropa sur le continent et Federal Union en Grande-Bretagne. La première, fondée en 1922 par le comte Coudenhove-Kalergi, battit le rappel des nobles, des diplomates et des intellectuels européens et poussa Briand à formuler, le 4 septembre 1929, devant la Société des Nations, un projet d’union fédérale européenne. La seconde, promue par Beveridge en 1938, rassembla des hommes comme L. Robbins, B. Wootton et Lord Lothian, qui appliquèrent le fédéralisme à la situation de l’Europe comme condition préalable indispensable du développement positif du libéralisme et du socialisme. Sans ces prémisses historiques ne s’expliquerait pas la proposition de Churchill à la France, qui était sur le point de céder sous les armées allemandes, d’unir les deux Etats sous un seul Parlement et avec une seule citoyenneté.
Ces premières tentatives, l’écroulement des Etats européens sous le coup porté par Hitler, et la bestialité de la guerre, qui fit penser au dépassement de l’égoïsme national et à la solidarité européenne, conduisirent, durant la Résistance, à la naissance des mouvements fédéralistes. Il y avait l’espérance diffuse que la fin de la guerre permettrait de reconstruire dans l’unité ce que la division avait détruit et qu’il fallait par conséquent, sans attendre la fin des hostilités, se préparer à la partie. A Milan naquit le 27 août 1943 le Movimento Federalista Europeo, à Lyon, en 1944, le Comité français pour la Fédération européenne tandis que d’autres groupes se constituaient un peu partout.
Quelques années plus tôt, dans le Manifeste de Ventotene (élaboré par A. Spinelli avec la collaboration d’E. Rossi, antifascistes en captivité à Ventotene) avaient été formulés deux principes fondamentaux de la lutte pour l’Europe : a) l’imputation à l’Etat national de la dégénération politique et sociale (« Si la lutte restait demain renfermée dans le cadre national traditionnel, il serait très difficile d’échapper aux vieilles apories »), b) l’identification de la nouvelle ligne de division entre progrès et réaction, entre ceux qui conçoivent « comme fin essentielle de la lutte l’ancien but, c’est-à-dire la conquête du pouvoir politique national », et ceux qui conçoivent « comme tâche centrale la création d’un solide Etat international ».
Les traités de paix, avec le partage de l’Europe et l’omniprésence des troupes américaines ou soviétiques, frustrèrent l’espérance d’une solution immédiate. Dans les années 1945-47, les différents mouvements cherchèrent à fixer leur physionomie politique et administrative. En France, ils étaient essentiellement de culture proudhonienne et pensèrent au fédéralisme comme forme de réorganisation intégrale de la société ; en Italie, ils étaient hamiltoniens (sur les traces de la pensée de Hamilton, génie théorique et pratique de la fondation de la première fédération de l’histoire, la fédération américaine) et leurs mots d’ordre étaient « constituante européenne » et « unité d’organisation de tous les fédéralistes » ; en Allemagne, ils étaient plus liés à la réalité politique immédiate. C’est dans cette période que se forma l’Union européenne des fédéralistes (U.E.F.). En août 1946, des dirigeants des différents mouvements fédéralistes se rencontrèrent à Hertenstein et le 6 novembre à Bâle. Le 12 avril 1947, une conférence réunit les représentants régulièrement délégués par les différents mouvements et, du 27 au 31 août, l’U.E.F. tint son premier congrès à Montreux, avec la participation de 27 mouvements (19 de la seule France) et de plusieurs délégations de réfugiés politiques de pays de l’Europe orientale et d’Espagne. La structure d’organisation de l’U.E.F. resta à mi-chemin entre la conception internationale et la conception supranationale. L’orientation qui prévalut au début fut celle du fédéralisme intégral des Français.
En 1948, avec le Plan Marshall, s’ouvre un nouveau cycle de la politique mondiale. Le problème de l’unité européenne se pose pour la première fois en termes concrets aux seize pays appartenant à la partie de l’Europe désormais clairement placée sous la protection économique et militaire américaine. C’est dans ce climat qu’est institué le Conseil de l’Europe, avec la mission, qui s’est révélée illusoire, d’élaborer les plans de réalisation de l’Union européenne. Le groupe italien de l’U.E.F. pensait alors que la tâche des fédéralistes était d’éclaircir les idées aux européistes agissant dans la politique nationale, de préciser la forme de l’unité européenne et la manière de l’obtenir, et de mobiliser sur ces thèmes l’opinion publique. Mais l’U.E.F., encore trop incertaine et subdivisée en trop de mouvements, ne parvint pas à exercer une influence profonde sur l’européisme officieux, qui fonda en 1948 le Mouvement européen (réunion d’associations européistes, y compris l’U.E.F., de représentants des forces politiques nationales et, ultérieurement, syndicales).
C’est sur cette base politique que prit forme le processus d’intégration européenne proprement dit. Le problème de la participation de l’Allemagne occidentale à la vie politique et économique de l’Occident fit apparaître la plate-forme à Six, sur laquelle se fondèrent la C.E.C.A. (Communauté européenne du charbon et de l’acier, 1950) et le projet de la C.E.D. (Communauté européenne de défense, 1951-54).
La Fédération européenne devint un objectif historique concret, encore que non immédiat. On reconnut le réalisme historique des fédéralistes, qui purent ainsi exercer une influence effective sur le processus des décisions. Cela induisit l’U.E.F. à s’aligner de plus en plus sur les positions du groupe italien (assemblée extraordinaire de Paris, 1949, IIIe Congrès, Strasbourg, 1950, et IVe Congrès, Aix-la-Chapelle, 1952), en conséquence de quoi Fédération, expression d’une large part du fédéralisme intégral français, abandonna l’U.E.F.
Après la chute de la C.E.D. (1954), dans le climat de cuisante désillusion des européistes par suite du faible engagement européen des gouvernements, un groupe de fédéralistes de l’U.E.F. décida d’entreprendre une politique d’opposition radicale aux Etats nationaux et à leurs gouvernements (VIIe Congrès, Luxembourg, 1956). Le nouveau cours des choses se manifesta par le Congrès du Peuple européen (C.P.E.), qui proposait aux citoyens européens de revendiquer, par des actions directes, leur légitime pouvoir constituant.
Pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, une action politique de base se développa de façon unitaire, supranationale, dans plusieurs pays européens. Seule une petite fraction du peuple européen suivit les mots d’ordre des fédéralistes. Toutefois, cette action souligna un point essentiel de la stratégie européenne, aujourd’hui universellement reconnu (impossibilité du passage automatique de l’intégration économique à l’intégration politique) et jeta les bases de la transformation supranationale de l’U.E.F. Ces aspects du nouveau cours des choses, à cause aussi de certaines radicalisations polémiques, ne furent pas acceptés par les mouvements hollandais et allemand, qui se détachèrent de l’U.E.F. et fondèrent en 1956 l’Action européenne des fédéralistes (A.E.F.). Pour sa part, l’U.E.F. se transforma en l’actuel M.F.E. supranational (VIIIe Congrès, Strasbourg, 1959).
Avec le Xe Congrès (Montreux, 1964) et ses développements (approbation de la Charte fédéraliste, Recensement volontaire du Peuple fédéral européen pour le contact direct avec les citoyens, Front démocratique pour une Europe fédérale pour les rapports avec les forces politiques et sociales) le M.F.E. a fait les premiers pas concrets vers une synthèse de l’inspiration hamiltonienne et de l’inspiration proudhonienne et a atteint une unité interne suffisante. Après le Congrès de Montreux, le M.F.E. a en outre repris les contacts avec les fédéralistes de l’A.E.F., et en particulier avec Europa Union l’organisation des fédéralistes allemands. Avec la participation du M.F.E. à l’Action Europe (annuelle), promue par Europa Union s’est instauré un climat de confiance réciproque qui fait croire à la possibilité et à la proximité d’une réunification générale de tous les fédéralistes européens.
Dans le même temps, l’européisme d’inspiration gouvernementale se berça de l’illusion d’avoir résolu le problème de l’unification européenne par la C.E.E. (Marché commun). Le M.F.E. paya cher son opposition radicale à cet européisme. Mais il réussit à tenir bon avec une poignée d’irréductibles, et à se trouver ainsi dans la position juste au moment juste.
Il était prévisible, bien que l’illusion d’avoir trouvé la voie juste eût aveuglé non seulement les partis, mais aussi les grands centres d’information, que la fin de la période transitoire du Marché commun (1968) poserait des problèmes politiques et économiques nouveaux. Pour les aborder à temps, le M.F.E. entra par avance dans la bataille sur un point décisif du front européen : celui du droit de vote européen des citoyens pour obliger les gouvernements nationaux à mobiliser le peuple européen, et pour libérer ainsi la volonté politique indispensable pour mener la construction de l’Europe à bonne fin (1967).
Cette bataille, encore en cours dans plusieurs pays, a réinséré le M.F.E. dans l’espace politique. Elle se trouve actuellement à un stade très avancé en Italie grâce à une série de circonstances favorables de caractère politique (engagement fédéraliste décisif du Conseil italien du Mouvement européen) et juridique (art. 71 de la Constitution, qui a permis la présentation d’une proposition de loi d’initiative populaire pour une élection européenne en Italie).
Sur le plan de l’action des gouvernements, l’évolution a été plus lente. Toutefois, les problèmes politiques et économiques posés par la fin de la période transitoire du Marché commun ont en fait contraint les gouvernements à une nouvelle relance européenne (conférence de La Haye, 1969) et à l’engagement de réaliser au cours des dix prochaines années l’union économique et monétaire. D’autre part, le changement de l’attitude française à l’égard de la Grande-Bretagne a ouvert la voie à l’élargissement de la Communauté.
Mais le problème de fond n’a pas encore été abordé. Pour des raisons internes (stade atteint par l’unification européenne et nécessité corrélative d’une monnaie européenne et d’une politique économique européenne) et internationales (position de l’Europe dans le monde), l’Europe a désormais besoin d’un gouvernement européen. Le fait est reconnu même par les hommes d’Etat : Pompidou a lancé une idée de gouvernement européen, Brandt l’a reprise. Malheureusement, il ne s’agit pas encore d’un gouvernement démocratique et efficace, avec des ministres européens, mais seulement d’une réunion permanente de ministres nationaux. Mais le problème est posé. C’est aux citoyens, aux forces politiques et sociales qu’il appartient de le résoudre de la seule manière juste et efficace : la manière démocratique. Le M.F.E., par sa lutte pour le droit de vote européen, s’est mis, et entend rester, au service de ceux qui veulent vraiment une Europe nouvelle.
ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
Une bibliographie complète est impossible. L’intégration européenne est un processus en cours, le M.F.E. n’est pas autre chose qu’un élément de ce processus. Nous nous bornons par conséquent à indiquer quelques ouvrages sur la théorie générale du fédéralisme et sur la critique de l’Etat national, sur l’expérience fédéraliste entre les deux guerres mondiales et sur le fédéralisme européen militant, qui peuvent servir d’aiguillon pour le facteur primaire, et irremplaçable, de la lutte pour la Fédération européenne : une expérience personnelle tendue vers la connaissance du sens de l’histoire contemporaine et le dépassement pratique de ses contradictions.
I. — Théorie générale du fédéralisme et critique de l’Etat national : E. Kant Vers la paix perpétuelle (trad. fr., P.U.F., 1958) et « Idée d’une histoire universelle… », dans Kant, la philosophie de l’histoire (opuscules), Aubier, Paris, 1947 ; A. Hamilton, J. Jay et J. Madison, Le Fédéraliste (trad. fr., L.G.D.J., Paris, 1957) ; Lord Lothian, Pacifism is not enough, Oxford University Press, Londres, 1935 ; K.C. Wheare, Federal Government, Oxford University Press, Londres, 1963 ; M. Mouskhely, La théorie juridique de l’Etat fédéral, Paris, 1931 ; R.R. Bowie et C.J. Friedrich, Etudes sur le fédéralisme (trad. fr., L.G.D.J., Paris, 1960) ; M. Albertini, Qu’est-ce que le fédéralisme ? préface de G. Vedel, S.E.D.E.L, Paris, 1963 ; P.-J. Proudhon, Œuvres complètes, éd. J.L. Puech et T. Ruyssen, 15 vol., Paris, 1923-1959 ; Boyd C. Shafer, Le nationalisme : mythe et réalité (trad. fr., Payot, Paris, 1964) ; M. Albertini, Lo Stato nazionale, Giuffrè, Milan, 1960 ; M. Albertini, « L’idée de nation », dans L’idée de nation, « Annales de Philosophie politique », n. 8, P.U.F., Paris, 1969.
II. — Expérience fédéraliste entre les deux guerres mondiales : L. Robbins, L’économie planifiée et l’ordre international (trad. fr., Librairie de Médicis, Paris, 1938) ; Studies in Federal Planning (recueil d’essais d’auteurs libéraux et socialistes publié par P. Ransome), MacMillan, Londres, 1943 ; L. Einaudi, La guerra e l’unità europea, Comunità, Milan, 1948 ; L. Einaudi, Il buongoverno (anthologie publiée par E. Rossi), Laterza, Bari, 1955 (dans ces recueils d’essais, de nombreux textes sont antérieurs à la seconde guerre mondiale, mais les essais postérieurs tiennent le même langage).
III. — Le fédéralisme européen militant : A. Spinelli, « Il Manifesto di Ventotene », dansProblemi della Federazione europea, Roma, 1944 (édition clandestine, réimpr., Centre de presse du M.F.E., Bologne, 1970) ; A. Spinelli, Dagli Stati sovrani agli Stati Uniti d’Europa, La Nuova Italia, Florence, 1950 ; A. Spinelli, « Il modello costituzionale americano e i tentativi di unità europea », dans La nascita degli Stati Uniti d’America, Comunità, Milan, 1957 ; A. Spinelli, L’Europa non cade dal cielo, Il Mulino, Bologne, 1960 ; A. Marc, L’Europe pour quoi faire ? (édité par le C.I.F.E.), Paris, 1962 ; C.J. Friedrich, « Vers le pouvoir constituant du Peuple européen » (conférence, Rome, 1955), dans M. Albertini, Qu’est-ce que le fédéralisme ? (op. cit., Paris, 1963) ; M. Albertini, L’integrazione europea e altri saggi, Il Federalista, Pavie, 1965 ; J.-P. Gouzy, Les pionniers de l’Europe communautaire, Centre de recherches européennes, Lausanne, 1968. On peut aussi consulter les bulletins de l’U.E.F., du M.F.E., de l’A.E.F. et les revues L’Europe en formation et Le Fédéraliste.