LE FEDERALISTE

revue de politique

 

XIII année, 1971, Numéro 1, Page 27

 

 

Dans l’attente
d’une organisation politique de l’Europe
 
RINALDO OSSOLA
 
 
La Communauté économique européenne a d’importantes réalisations à son actif. Les droits de douane ont été supprimés ; le tarif extérieur commun a été institué ; il y a pleine liberté, ou presque, de circulation des marchandises et, dans une certaine mesure, des personnes et des capitaux. En matière de politiques économiques, la réalisation la plus importante, sinon la plus heureuse, a été la politique agricole commune ; en outre, a été atteint un certain degré de coordination des politiques de programmation à moyen terme, des politiques budgétaires, conjoncturelles et monétaires.
Cet ensemble de réalisations serait apparu dans les années vingt, et même un peu plus près de nous dans les années cinquante, comme un progrès décisif, irréversible vers l’unité économique. Aujourd’hui, c’est un peu moins vrai. De nos jours, le dynamisme des agents économiques a accru le degré d’interdépendance des marchés. Les entreprises multinationales se sont multipliées. Le progrès technologique avance rapidement et les échanges intracommunautaires s’accroissent plus que les échanges mondiaux. Les politiques économiques d’un pays membre de la Communauté ont une influence de plus en plus grande sur l’évolution conjoncturelle des autres pays membres.
Est apparu, s’est développé et a pris de fortes proportions un marché international des capitaux à court et moyen termes, connu sous le nom de marché de l’euro-dollar. Toute cette chaîne de rapports commerciaux, financiers, monétaires a fait en sorte que le degré d’interdépendance des économies est allé au delà des possibilités offertes par le cadre institutionnel actuel.
Aujourd’hui, la C.E.E. pourrait se définir comme une zone de libre-échange avec l’appendice d’une politique agricole commune d’essence autarcique ; une construction relativement fragile, à la merci d’évolutions conjoncturelles divergentes et d’événements qui se produisent à l’extérieur. D’où la nécessité, si l’on veut éviter une régression dangereuse, voire une désagrégation de la Communauté, d’une relance vers une union économique.
La conférence qui a réuni à La Haye les chefs d’Etat et de gouvernement a fourni un cadre politique à cette relance et a contribué à raviver l’intérêt de l’opinion publique pour le problème de l’intégration européenne. On se propose de réaliser avant dix ans une union économique et monétaire, dont les caractéristiques seraient, très synthétiquement : pleine liberté de circulation des personnes, des marchandises, des services, des capitaux ; unification des structures, surtout en matière de société, d’organisation du crédit, des banques, du marché des capitaux ; élaboration commune des politiques budgétaires, fiscales, des revenus, monétaires et conjoncturelles ; mise en commun des réserves monétaires et représentation unique de la Communauté dans les organisations économiques et monétaires internationales ; enfin, parités de change fixées irrévocablement dans le cadre de la Communauté.
Beaucoup jugent que cette réalisation exige une organisation politique de l’Europe, dont les aspects prédominants seraient l’élection d’une Constituante et d’un Parlement européen au suffrage direct, le choix d’un Président et d’un gouvernement européens, l’institution d’organes communautaires auxquels seraient transférées les responsabilités politiques nationales qui ont de l’importance pour l’intégration.
D’autres pensent que ce dessein est utopique, à tout le moins pour cette décennie. Je suis de ceux qui considèrent que, si ce dessein est utopique, l’union économique et monétaire l’est aussi.
Quant aux méthodes pour arriver à l’intégration économique et monétaire, sur lesquelles le comité Werner concentrera son attention dans les prochains mois, je voudrais les synthétiser par cette formule : passer de politiques coordonnées à des politiques unitaires. C’est un saut qualitatif plutôt important. Coordination signifie confrontation, discussion, parfois adaptation de politiques qui ont été élaborées dans le cadre national. Les politiques unitaires sont au contraire le résultat d’une élaboration commune dans le cadre européen. C’est le passage nécessaire et il exige des progrès substantiels dans le domaine de l’unification des structures.
En ce qui concerne les relations entre intégration économique et intégration monétaire, je suis de ceux qui considèrent que la convergence des politiques économiques a une priorité absolue. Cette conception, le Conseil des Communautés économiques européennes l’a faite sienne dès 1968, et les attitudes des autorités italiennes, allemandes et néerlandaises s’en inspirent ; par contre, les autorités françaises et belges sont un peu plus enclines à mettre l’accent sur les progrès à réaliser dans le domaine monétaire. Evidemment, les progrès dans ce domaine sont plus faciles, mais ils présentent l’inconvénient d’être réalisés principalement au niveau des banques centrales, donc en dehors du contrôle des parlements nationaux, et de pouvoir être par conséquent remis en question par les autorités politiques.
A Venise, cette controverse entre « économistes » et « monétaristes » a été réglée amicalement par le président de la conférence des ministres des Finances, le ministre Colombo, par la formule dite du parallélisme, d’après laquelle les progrès dans les domaines économique et monétaire devront être parallèles. En fait, si l’on considère les événements les plus récents, une des droites parallèles a certainement été tracée. Les banques centrales des pays de la Communauté ont, en effet, créé un mécanisme de soutien à court terme qui est, pratiquement, un pool de réserves de l’ordre de 2 milliards de dollars. En même temps, la Commission de la C.E.E. s’apprête à présenter au Conseil une proposition pour l’institution d’un concours financier à moyen terme. A ces progrès dans le domaine monétaire devraient maintenant faire suite d’importantes réalisations dans le domaine de la convergence des politiques économiques avant qu’on puisse progresser plus avant dans l’unification monétaire.
Cela dit, des progrès vers l’unification monétaire ne sont pas exclus même en l’absence d’une convergence des politiques économiques. En premier lieu, on devrait rendre plus cohérents les instruments de politique de la monnaie et du crédit, parce que les notions, les paramètres à partir desquels chacun de nos pays apprécie si une politique monétaire est restrictive, neutre ou expansionniste, ne sont pas actuellement toujours les mêmes et ne sont pas toujours non plus compris réciproquement. En second lieu, on devrait harmoniser les attitudes à prendre dans les organisations monétaires internationales. Je ne puis oublier que ce furent justement les divergences entre les pays de notre Communauté qui retardèrent d’au moins deux ans la conclusion des négociations pour l’institution des droits de tirage spéciaux. Et aujourd’hui, je dois encore constater qu’en présence du problème de l’introduction dans le système monétaire international d’une flexibilité modérée, le plus large éventail d’opinions existe dans le cadre même de la Communauté. Or, il est clair que nous devons absolument surmonter ces divergences et chercher à formuler une philosophie commune.
Le traité de Rome affirme que la politique des taux de change est un problème d’intérêt commun. Et, en réalité, quand on procède à un changement de parité, les pays se consultent entre eux ; il y eut une consultation à l’occasion des changements de la parité du franc français et du mark allemand, même si elle ne fut pas aussi profonde que celle qui était intervenue à l’occasion de la dévaluation de la livre. Cette obligation de consultation ne peut être, toutefois, suffisante entre pays qui progressent vers l’intégration monétaire.
On reconnaît désormais comme un point acquis l’impossibilité d’élargir encore les marges d’oscillation des taux de change dans les relations intracommunautaires, actuellement de 1,5% autour de la parité, parce qu’autrement il y aurait des distorsions dans le fonctionnement de la politique agricole commune et dans les relations commerciales réciproques. Au contraire, les marges de fluctuation des monnaies de la C.E.E. dans les relations réciproques devraient être progressivement restreintes dans la mesure où le permet le degré de convergence des politiques économiques. Sur ce dernier point, s’est répétée la dispute amicale des « économistes » et des « monétaristes ».
Selon ces derniers, le resserrement progressif des marges devrait intervenir « à froid », c’est-à-dire un peu sur le modèle de la réduction par étapes des droits de douane. En outre, l’institution d’un fonds de stabilisation des changes contribuerait à harmoniser les politiques d’intervention sur le marché des changes, en habituant les banques centrales à coopérer constamment entre elles.
Ceux qu’on appelle les « économistes » considèrent au contraire qu’un resserrement progressif des marges « à froid » créerait seulement d’inutiles complications par suite des difficultés qu’il y aurait à concerter les politiques d’intervention dans le cadre de politiques économiques non convergentes. Si l’on avait au contraire atteint un degré suffisant de convergence des politiques économiques, les monnaies communautaires tendraient spontanément à varier toutes ensemble par rapport au dollar et, par conséquent, le resserrement des marges entre elles n’en serait qu’une conséquence logique. En outre, toujours d’après les « économistes », la création d’un fonds de stabilisation des changes s’avérerait en tout cas inutile dans la mesure où, en présence de politiques économiques non convergentes, il serait dans l’impossibilité de fonctionner et, en présence de politiques économiques convergentes, il n’aurait aucune raison d’être.
Un second problème est celui du niveau des parités de change et de ses modifications. On a beaucoup discuté ces derniers temps de ce qu’on appelle des parités mobiles, celles qu’en termes pittoresques et intraduisibles nos amis britanniques appellent crawling pegs. Le gouverneur de la Banque d’Italie s’est fait le porte-parole de l’opinion suivant laquelle de petits et fréquents ajustements de parité pour empêcher l’accumulation de déséquilibres fondamentaux sont parfaitement possibles même dans le cadre communautaire. Et, à l’appui de cette thèse, il a posé ce dilemme : ou bien les prix au sein de la Communauté évoluent parallèlement, et alors il n’y a pas besoin de changer les parités réciproques dans le cadre communautaire ; ou bien des évolutions divergentes se présentent, et alors l’alternative est entre de petites et fréquentes variations des parités réciproques ou, comme par le passé, des variations massives et retardées effectuées après que se soient produites de larges distorsions dans les échanges et les paiements et après que de larges mouvements de capitaux à court terme aient mis en péril la stabilité du système.
Dans de récents documents communautaires, j’ai eu le plaisir de voir reconnaître le principe d’un éventuel ajustement des parités à l’intérieur de la Communauté.
Le paragraphe 8 du communiqué de La Haye dit que « les chefs d’Etat et de gouvernement ont convenu qu’ils veilleraient à faire examiner la possibilité d’instituer un fonds européen de réserve, comme résultat d’une politique économique et monétaire commune ». Même si sa création est placée au terme de l’évolution, qui mènera à un degré élevé de convergence des politiques économiques entre les pays membres, cela n’implique pas qu’ils ne doivent pas en étudier dès maintenant les objectifs, la structure et le fonctionnement. Le professeur Triffin, par ses écrits et certainement par son intervention d’aujourd’hui, nous fournira largement matière à réflexion. Je dois dire que nos orientations et nos réflexions sur le fonds européen de réserve s’inspirent largement des suggestions du professeur Triffin. Nous le voyons, ce fonds européen de réserve, non seulement comme un instrument de l’harmonisation des politiques de réserve des pays membres, mais aussi comme une institution à laquelle pourra se rattacher le soutien à court terme de création récente et, surtout, comme l’instrument de la création d’une monnaie européenne d’intervention.
Le fonds pourrait se réaliser par le dépôt, auprès d’un agent, de réserves et même de monnaies nationales par les pays membres, dépôt qui pourrait commencer avec un faible pourcentage, par exemple, 10% ; en contrepartie, les pays membres seraient crédités en unités de réserve européennes. Ces unités de réserve européennes ne seraient pas un doublon régional des droits de tirage spéciaux (les droits de tirage spéciaux sont une monnaie de réserve détenue uniquement par les banques centrales et qui circule seulement entre banques centrales et autorités monétaires). Dans notre conception, elles auraient aussi la caractéristique de circuler, comme le dollar, non seulement entre les banques centrales, mais aussi entre celles-ci et les banques commerciales ; et même plus tard entre les particuliers. D’abord, elles pourraient être utilisées comme instrument du marché monétaire et, employées comme monnaie d’intervention, elles pourraient aussi devenir une monnaie européenne pour touristes. Je ne crois pas que cette dernière idée ait une importance économique notable (du point de vue économique, je dirais qu’elle a une importance très limitée), mais elle a une grande portée psychologique, parce que si les touristes s’habituent à utiliser un billet ayant un aspect extérieur unique, ils commencent à s’identifier à cette idée d’Europe en formation.
En ce qui concerne les relations monétaires de la Communauté avec l’extérieur, je crois que le problème principal que nous ayons à résoudre est de rendre nos monnaies progressivement indépendantes du dollar. Cet objectif est, selon moi, dans l’intérêt non seulement des Européens, mais aussi des Etats-Unis ; le dialogue entre ces deux espaces économiques serait plus constructif, si l’Europe réussissait à gagner un certain degré d’indépendance. Actuellement le dollar est de plus en plus utilisé dans les échanges et les paiements internationaux ; les dépôts en dollars des non-résidents, c’est-à-dire de ceux qui résident en dehors du territoire des Etats-Unis, sont allés en augmentant progressivement, passant entre 1963 et 1969 de 10 à 50 milliards de dollars ; le marché de l’euro-dollar s’est étendu jusqu’à effleurer le seuil des 40 milliards de dollars. Par contre, l’importance du dollar comme monnaie de réserve a progressivement diminué ; mais, s’il est vrai que les banques centrales détiennent de moins en moins de dollars dans leurs réserves, c’est-à-dire en quantité à peine suffisante pour leurs interventions sur le marché, cela est dû aussi au fait qu’elles comptent de plus en plus sur les facilités de crédit réciproque centrées sur le système fédéral de réserve, qui ont atteint désormais la somme considérable de 11 milliards de dollars.
L’accord sur les principes se transforme, comme il arrive souvent, en désaccord sur les méthodes pour les réaliser.
Dans un récent article du Figaro signé Félix Gaillard, ancien président du Conseil et ministre des Finances de la IVe République, j’ai perçu comme un écho de la conception de Rueff, du retour aux vieilles méthodes de discipline monétaire, c’est-à-dire de la conversion en or des dollars détenus par les banques centrales européennes afin d’obliger les Etats-Unis à promouvoir des politiques économiques austères et correctes ; comme si, ce faisant, on pouvait influencer des politiques économiques inspirées par des préoccupations sociales et des responsabilités mondiales qui dépassent de loin l’importance de l’or qui est à la base de cette construction. Par conséquent, je ne crois que ce soit la méthode la plus constructive pour rendre nos monnaies indépendantes du dollar ; inversement, appuyer et soutenir l’étude de ces projets visant à introduire dans le système monétaire international un certain degré de flexibilité me semble être une voie qu’il est utile de parcourir. Ces études se déroulent actuellement dans le cadre du Fonds monétaire international et du groupe des Dix, et les pays de la Communauté en débattent pour arriver à une position commune. Je crois qu’il est de l’intérêt des pays de la Communauté de promouvoir une modification, que j’estime indispensable pour atteindre ce but, des statuts du Fonds tendant à donner au Fonds lui-même le pouvoir d’autoriser un pays, ou un groupe de pays qui en feraient la demande, à élargir les marges de fluctuation par rapport au dollar. Les pays de la Communauté, pour leur part, devraient s’engager à ne pas élargir les marges d’oscillation de leurs propres monnaies, en ce sens non seulement qu’ils devraient s’abstenir pour le moment de se servir de cette faculté individuellement, mais aussi qu’ils devraient s’abstenir de l’utiliser collectivement, jusqu’à ce qu’ait été constatée la réalisation d’un degré suffisant de convergence des politiques économiques au sein de la Communauté. Une fois cette condition satisfaite, les pays européens pourraient user de cette faculté en laissant varier leurs monnaies toutes ensemble par rapport au dollar. Et la marge de fluctuation pourrait même être supérieure à celle dont on parle couramment. D’autres formes de flexibilité, par lesquelles les pays de la C.E.E. devraient être intéressés, sont la proposition de procéder, en temps opportun, avant que les déséquilibres fondamentaux ne prennent des dimensions excessives, à de petits et fréquents ajustements de parité, qui pourraient leur permettre d’ajuster la position d’ensemble des monnaies européennes par rapport au dollar, ainsi que celle de conférer au F.M.I. le pouvoir d’autoriser l’adoption, par un pays qui désire passer d’une parité à une autre, d’un change fluctuant pour la brève période nécessaire à la variation de parité.
Dans ce débat, il y a un problème qui me préoccupe de plus en plus, même si du point de vue technique les solutions me semblent claires. C’est le problème de la position du dollar, qui d’après certains devrait être exclu de la flexibilité et maintenir inchangée sa parité par rapport à l’or, constituant ainsi, comme monnaie d’intervention, le centre du système monétaire international actuel. Ce raisonnement est techniquement irréprochable en ce qu’une modification du rapport dollar/or conduirait à une série d’adaptations capables de généraliser le mouvement sur le plan mondial et de rendre en définitive inutile la modification de la parité du dollar. Mais, eu égard à la flexibilité, ce qui compte ne me semble pas être les relations entre le dollar et l’or, mais entre le dollar et nos monnaies. Par conséquent, il ne me semble pas juste d’affirmer, comme on l’entend souvent, que si les pays européens procèdent au changement de la parité de leurs monnaies par rapport au dollar, c’est-à-dire réévaluent leurs monnaies, ils feront les frais de l’ajustement, alors que ce devrait être aux Etats-Unis, présumés responsables du mismanagement économique et monétaire, de les supporter. Dans des circonstances données (et ce serait intéressant de faire procéder à des analyses approfondies à ce sujet), que nos monnaies soient réévaluées par rapport au dollar ou que le dollar soit dévalué par rapport aux premières et inversement, je crois que cela n’aurait pas d’incidence notable sur la répartition des charges du processus d’ajustement. Le problème, qui n’est donc pas sur le plan technique difficile à résoudre, ne semble pas être aussi facile sur le plan politique. J’ai en effet constaté des réserves grandissantes, non seulement dans les pays européens mais aussi dans d’autres pays, au sujet de cette position différente du dollar par rapport aux autres monnaies. Il sera donc probablement nécessaire, avant toute décision sur la flexibilité, de procéder à une discussion approfondie de la fonction de l’or et du dollar dans le système.
A propos du problème de l’élargissement de la Communauté, je n’ai pas l’intention de revenir sur les problèmes financiers et monétaires qui se posent en relation avec l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté. Ils concernent soit la balance des paiements de ce pays, soit la position de la livre comme monnaie internationale. Je voudrais toutefois souligner quelques points.
Avant tout, il me semble que, pendant la négociation avec le Royaume-Uni et les autres pays candidats, les problèmes de l’intégration doivent être mis sur le tapis ; autrement dit, on doit dialoguer avec ces pays sur le processus d’intégration dans la prochaine décennie.
En second lieu, en ce qui concerne la balance des paiements du Royaume-Uni, mis à part les charges qui en dériveront dans la première période et qui ont été évaluées en un large éventail de chiffres, je crois que les autorités britanniques sont préoccupées par le fait qu’en entrant dans la Communauté elles peuvent rencontrer des difficultés à changer la parité de leur monnaie au cas où cette modification s’avérerait nécessaire pour faciliter l’adaptation de l’économie anglaise aux conditions du Marché commun. A cette fin, il serait opportun d’admettre la possibilité de petits et fréquents ajustements de la parité de la livre par rapport aux autres monnaies de la Communauté, même pour permettre au Royaume-Uni de bénéficier d’une certaine marge d’élasticité, sans quoi il pourrait avoir beaucoup d’hésitations et juger l’entrée tout à fait inopportune.
Enfin, la position de la livre comme monnaie internationale. Je crois que la livre a perdu depuis longtemps la fonction de monnaie de réserve ; en tout cas, je ne crois pas qu’elle ait tiré de ce statut ce bénéfice qu’on lui associe d’ordinaire, c’est-à-dire la facilité du financement des déficits de la balance des paiements. En effet, si l’on examine l’évolution des balances sterling, on s’aperçoit qu’elles sont restées presque constantes depuis la guerre. En outre, les préoccupations suscitées dans le passé par l’existence des balances sterling de compétence extérieure sont destinées à disparaître, soit parce que la position extérieure du Royaume-Uni a évolué vers la formation d’un excédent consistant, soit parce que l’accord de Bâle de 1968 a fourni un mécanisme efficace pour neutraliser les effets des oscillations des balances sterling du ressort de la zone sur les réserves du Royaume-Uni. A l’échéance de cet accord, je crois que le problème des balances sterling pourra devenir, à certaines conditions précises, un problème d’intérêt communautaire. Et, naturellement, je ne pense pas que la solution doive être cherchée dans leur consolidation, qui ne serait pas réaliste. Mais on pourrait imaginer un système dans lequel d’éventuelles conversions de balances sterling par des pays de la zone auraient lieu contre cette monnaie d’intervention européenne, émise par le fonds de réserve dont j’ai parlé plus haut, que ces pays pourraient détenir une fois que la monnaie européenne serait devenue une monnaie de réserve détenue aussi par des pays tiers. On peut alors imaginer que ces balances rentreraient dans l’actif de ce fonds de réserve et seraient progressivement amorties au cours des ans. Naturellement, ce processus devrait être dans les deux sens, c’est-à-dire qu’il devrait être possible, si les détenteurs d’unités de réserve européennes le désiraient, de les transformer en livres, en dollars ou en d’autres monnaies.

 

 

 

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