LE FEDERALISTE

revue de politique

 

XIII année, 1971, Numéro 1, Page 4

 

 

La scène monétaire internationale
aujourd’hui et demain*
 
ROBERT TRIFFIN
 
 
La scène monétaire internationale, dans la première moitié de 1970, contraste nettement avec celle de 1969 et des années précédentes. De nouveaux changements, plus révolutionnaires encore, sont à attendre des années, et même des mois, à venir.
 
I
Les ouragans qui ont ébranlé les marchés de l’or et des changes à plusieurs reprises ces cinq dernières années, et particulièrement en 1969, ont soudain molli. Le cours de l’or et les taux de change de toutes les devises importantes oscillent désormais depuis des mois au voisinage de leurs parités officielles.
Comment faut-il l’expliquer ? Et cela va-t-il durer ? Le calme qui prévaut actuellement sur les marchés de l’or et des changes est le résultat de trois événements dont les deux premiers reflètent — paradoxalement — l’échec plutôt que le succès des politiques officielles.
1. Le premier est la fermeture, le 18 mars 1968, du pool de l’or dont la formation, en 1961, avait été saluée comme une grande réalisation en fait de coopération monétaire internationale. Le marché de l’or à deux étages qui l’a remplacé a réussi, au delà de toute attente, à étouffer, et même à renverser, la spéculation sauvage à la hausse déchaînée par la dévaluation de la livre. Au lieu de monter à une allure vertigineuse — comme beaucoup le prédisaient avec confiance — jusqu’à 70 ou même 100 dollars l’once, les cours de l’or sur le marché privé n’ont jamais dépassé 45 dollars l’once. Ils sont retombés progressivement à environ 35 dollars l’once au printemps, et auraient même pu baisser davantage si les banques centrales et le Fonds monétaire international (F.M.I.) n’avaient pas annoncé leur intention d’empêcher un glissement des cours de l’or au-dessous de sa parité officielle.
2. Le deuxième échec des politiques officielles — extrêmement positif encore une fois — fut le réajustement tardif des principaux taux de change : la livre en novembre 1967, le franc en août 1969 et le mark en octobre de la même année. Le marché de l’or à deux étages n’a pas, en vérité, tué la spéculation à la baisse sur la livre, le franc et d’autres devises. Il l’a simplement réorientée du marché privé de l’or vers les marchés des changes. Les spéculateurs, attirés auparavant vers l’or, soit par des considérations de sécurité, soit par l’espoir d’une soudaine flambée des cours, ne considéraient pas le franc, le sterling, ou même le dollar, comme le meilleur succédané de l’or, de l’un ou l’autre de ces points de vue. Ils reportèrent leurs espérances de spéculation sur les devises qui avaient le plus de chances de rester stables ou de prendre de la valeur, particulièrement le mark.
Néanmoins, la spéculation sur le marché des changes diminua elle aussi, à la suite des réajustements des taux de change du franc et du mark à la fin de l’été et au début de l’automne de l’année dernière. Les réserves monétaires épuisées de la Grande-Bretagne, de la France et des Etats-Unis bénéficièrent, dans les mois suivants, de l’énorme reflux de fonds antérieurement attirés par la spéculation sur le mark.
3. Le troisième événement contribuant à l’affaiblissement de la spéculation sur le marché contraste nettement avec les deux premiers. La ratification et l’entrée en vigueur de l’accord sur les droits de tirage spéciaux (D.T.S.) marque un succès sans précédent des politiques officielles. Le système des D.T.S. constitue un pas révolutionnaire en fait de coopération internationale et un présage du meilleur augure pour la réforme tant attendue de notre système monétaire international, anachronique et anarchique. Ce devrait être le germe d’un processus rationnel de création de réserves, ajustant l’offre de liquidités aux besoins d’une économie mondiale en expansion, au lieu de l’abandonner — comme dans le passé — aux hasards : 1) de la production d’or à l’Ouest ; 2) des ventes d’or par l’U.R.S.S. ; 3) de l’absorption d’or par l’industrie, les joailliers, les dentistes, les thésaurisateurs et les spéculateurs ; 4) des excédents ou des déficits des balances des paiements des Etats-Unis et du Royaume-Uni ; 5) de l’empressement des autres banques centrales à financer ces déficits en accumulant des dollars et du sterling, ou de leur désir de liquider soudainement, au risque d’une crise majeure et de l’écroulement du système, les balances dollars et sterling accumulées depuis bien des années.
Cependant, les effets bénéfiques du système des D.T.S. ne peuvent pas être recueillis en un jour. La familiarité avec le nouveau système, la confiance qu’on y mettra, devront être nourries sur une période de plusieurs années. Quelques faiblesses évidentes de l’allocation actuelle des D.T.S. devront être corrigées : les D.T.S. devraient être utilisés pour aider à financer des objectifs acceptés en commun plutôt qu’à souscrire aveuglément — comme c’est actuellement le cas — aux politiques nationales des pays participants les plus riches, sans tenir compte de leur impact, scélérat ou avantageux, sur la cohésion et l’harmonie politiques, économiques, financières et monétaires internationales. Last but not least, le système devrait être complété par un compte international de conversion capable de régler la situation périlleuse héritée de l’ancien système de réserves, c’est-à-dire des balances or, dollars et sterling qui comptent encore aujourd’hui pour près de 90% du pool mondial de réserves.
Ces réformes nécessaires de l’accord sur les D.T.S. ont à plusieurs reprises reçu le soutien du Joint Economic Subcommittee du Congress on International Exchange and Payments et devraient être mises, le plus tôt possible, à l’ordre du jour de négociations monétaires internationales. Faute de quoi, le système monétaire mondial pourrait être repris, demain comme hier, dans le tourbillon de nouvelles crises déclenchées par les déséquilibres des balances des paiements des pays à monnaies de réserve, c’est-à-dire en premier lieu les Etats-Unis, dont la monnaie nationale est utilisée aujourd’hui, de facto et même de jure, comme monnaie internationale d’intervention, de règlements et de réserve par la plupart des autres pays dans le monde.
 
II
Le profane — on le comprend — est décontenancé, de nos jours, par les renversements bizarres et la nature contradictoire des principaux indicateurs utilisés pour diagnostiquer le bon ou mauvais état de santé de la balance des paiements américaine :
1. Le solde créditeur de notre balance commerciale et celui de nos paiements courants (enregistrant les services, les remises de fonds et les pensions aussi bien que les exportations et les importations de marchandises) se sont en général détériorés sérieusement l’un et l’autre, de 6 à 7 milliards de dollars de 1964 à 1969 : le premier est tombé de 6,8 milliards en 1964 à 0,6 misérable milliard en 1969 et le second de 7,8 milliards à seulement 0,9 milliard.
2. Notre balance des règlements officiels — ce qu’on appelle le « déficit Bernstein » — cependant, s’est déplacée dans une direction exactement opposée, d’un déficit de 3,4 milliards de dollars à un excédent de 2,7 milliards en 1969, soit une amélioration de 6 milliards.
3. D’autre part, la traditionnelle balance « liquidités » du Survey of Current Business a atteint l’an dernier un déficit record de 7,1 milliards de dollars, c’est-à-dire plus de deux fois les déficits moyens des années antérieures depuis 1960.
Bien qu’aucun indicateur simple de la « balance globale » ne puisse remplacer une analyse détaillée et complète des transactions internationales sous-jacentes, les chiffres donnés par de récents articles du Federal Reserve Bulletin sur la balance des paiements offrent une indication plus raisonnable et plus cohérente des tendances généralement observables. Combinant nos gains et nos pertes d’avoirs bruts de réserve avec nos emprunts nets tant aux banques commerciales qu’aux banques centrales et autres autorités officielles et avec les avances et liquidations publiques, ils estiment que notre « déficit global » a atteint 6,4 milliards de dollars en 1969, contre 3 milliards par an en 1960-64, 2,7 milliards en 1965-67 et 2 milliards en 1968 (lignes III du tableau I).
 
TABLEAU I
LA BALANCE DES PAIEMENTS DES ETATS-UNIS 1960-1969
(en milliards de dollars)
 
 
 
Moyenne 1960-64
Moyenne
1965-67
1964
1967
1968
1969
I.
Solde créditeur des paiements
courants
5.2
4.8
7.8
4.0
1.4
0.9
 
A. Civils
7.6
7.5
9.9
7.1
4.5
4.3
 
B. Militaires
–2.4
–2.7
–2.1
–3.1
–3.1
–3.4
II
Exportations de capitaux américains, erreurs et omissions
9.0
9.2
11.4
10.9
10.0
11.8
 
A. Capitaux publics, avances exclues
3.5
3.9
4.2
4.2
4.2
3.8
 
B. Capitaux privés
4.5
4.6
6.6
5.7
5.2
5.0
 
C. Erreurs et omissions
1.0
0.7
1.1
1.0
0.6
3.0
III
Excédent de II sur I financé par :
–3.9
–4-4
–3.6
–6.9
–8.7
–10.8
 
A. Capitaux étrangers, B exclu
–0.9
–1.7
–0.5
–2.2
–6.7
–4.4
 
B. Solde débiteur de règlements
–3.0
–2.7
–3.2
–4.7
–2.0
–6.4
 
   1. Avances et liquidations publiques
–0.4
0.1
–0.1
–0.3
0.1
 
    2. Banques commerciales
–0.5
–1.4
–1.5
–1.3
–3.4
–9.3
 
    3. Diminution des réserves
–2.1
–1.5
–1.6
–3.4
0.8
1.5
 
        a) doit
–1.2
–0.9
–1.4
–3.4
0.8
1.5
 
        b) avoir
–1.0
–0.6
–0.2
–0.1
0.9
1.2
 
             (dont or)
(–0.8)
 (–1.1)
(-0.1)
(–1.2)
(–1.2)
(1.0)
Rappels
 
 
 
 
 
 
 
1. Solde débiteur des liquidités
–2.9
–2.1
–2.8
–3.5
0.2
–7.1
 
2. Entrées de capitaux étrangers (III – B3b)
–2.9
–3.8
–3.4
–6.9
–9.5
–12.0
 
Sources :   Survey of Current Business et Federal Reserve Bulletin.
 
Pourtant, ce déficit « global », double ou triple de ceux des années antérieures, semble nous inquiéter deux fois moins seulement que sous les administrations Kennedy et Johnson. Pourquoi ?
1. En partie, parce que nous nous sommes enfin aperçus que nous pouvions devenir de moins en moins liquides, sans perdre notre solvabilité : notre « valeur nette » internationale a continué de croître d’un bout à l’autre des années 1950-1967 à un taux annuel de 0,4 milliard de dollars dans la décennie cinquante, de 2,9 milliards en 1960-64 et de 2,4 milliards en 1965-67. Ce taux annuel d’accroissement est tombé brusquement à zéro en 1967-1968 et a pu devenir négatif mais seulement modérément d’environ 0,9 milliard par an, en 1969 (voir tableau II).
2. Quant à notre problème de liquidité, il semble beaucoup moins menaçant — au moins pour le moment et pour l’avenir immédiat — étant donné le colmatage de nos fuites d’or, évident depuis la fin des interventions officielles sur le marché privé de l’or en mars 1968. Les autorités monétaires étrangères sont toujours autorisées légalement à demander la conversion en or de leurs balances dollars, mais de moins en moins portées à le faire, pour quantités de raisons, que nous discuterons plus loin. En outre, si leur retenue actuelle devait cesser, nous savons, comme elles, que la conséquence pratique de demandes massives de conversions en or serait un colmatage de jure de la fuite d’or grâce à une suspension formelle, par le Trésor, de leur libre droit aux paiements en or. Le dollar deviendrait légalement inconvertible en or — sauf à notre propre discrétion — comme en fait il l’est déjà largement aujourd’hui grâce à des gentleman agreements) ou à des accords tacites avec nos principaux créanciers.
3. Finalement, l’accord sur les D.T.S., comme il fonctionne à présent, nous assure comme allocation annuelle pas moins de 2.350 millions de dollars sur les trois années 1970-72, c’est-à-dire presque 800 millions par an. C’est peut-être une petite somme en comparaison de nos déficits courants, mais ce n’est pas négligeable du tout.
 
TABLEAU II
POSITION INTERNATIONALE DES ETATS-UNIS EN MATIERE D’INVESTISSEMENTS : 1949-1969
(en milliards de dollars)
 
 
 
Fin de
 
 
1949
1959
1964
1967
1968
1969
I
Transactions en capital du secteur monétaire
21.0
6.2
–7.2
–15.6
–17.3
–23.8
 
A. Doit
–5.0
–15.3
–23.9
–30.4
–33.0
–40.8
 
     1. Aux banques commerciales
–1.8
–4.7
–7.3
–11.1
–14.5
–23-7
 
     2. Aux institutions monétaires centrales
–3.2
–10.1
–15.8
–18.3
–17.5
–16.1
 
     3. Au F.M.I.
–0.5
–0.8
–1.0
–1.0
1.0
 
B. Réserves monétaires brutes
26.0
21.5
16.7
14.8
15.7
17.0
 
     1. Devises étrangères
0.4
2.3
3.5
2.8
 
     2. Positions sur le F.M.I
1.5
2.0
0.8
0.4
1.3
2.3
 
     3. Or
24.6
19.5
15.5
12.1
10.9
11.9
II
Autres transactions en capital
18.1
36.9
64.9
80.6
82.3
87.9
 
A. Avoirs et investissements américains à l’étranger
27.9
60.7
97.9
119.9
130.5
138.3
 
     1.  Investissements directs
10.7
29.8
44.4
59.5
64.8
69.8
 
     2. Autres investissements
17.2
30.9
53.5
60.4
65.7
68.5
 
B. Avoirs et investissements étrangers aux Etats-Unis
–9.8
–23.8
–33.0
–39.3
–48.1
–50.4
 
     1. Investissements directs
–2.5
–6.6
–8.4
–9.9
–10.8
–12.1
 
     2. Autres investissements
–6.3
–17.2
–24.6
–29.4
–37.3
–38.3
III
Total (I + II) : « valeur nette »
39.2
43.1
57.7
65.0
65.0
64.1
IV
Taux annuel de variation de la « valeur nette » depuis la dernière année indiquée
0.4
2.9
2.4
0.9
Sources : Survey of Current Business et, pour les estimations révisées de 1968 et les prévisions pour 1969, tableau 3 de « Balance des paiements et position des Etats-Unis en matière d’investissements », Federal Reserve Bulletin, Avril 1970, p. 325.
 
Malgré tout, nos fonctionnaires — en particulier au Trésor — sont profondément conscients de la nécessité de rétablir un excédent de nos paiements courants d’une dimension proportionnée aux responsabilités politiques, économiques et financières universelles d’une grande puissance mondiale et du pays le plus riche et le plus capitaliste du monde. En vérité, nous continuons aujourd’hui à assumer des responsabilités grâce à de grosses exportations de capital américain — principalement des investissements directs et l’aide à l’étranger — à un taux annuel d’environ 10 milliards de dollars ou plus, soit un peu plus d’1% de notre produit national brut.
En fait, aucun poste de notre balance des paiements n’est aussi stable, aussi régulier, d’une année sur l’autre, que ces exportations brutes de capitaux américains. La ligne II du tableau 1 enregistre leur croissance d’une moyenne annuelle de 9 milliards de dollars au début des années soixante à un intervalle de 10,0 à 11,8 milliards en 1964 et dans les années 1967-69.[1] Cette stabilité est solidement fondée sur les facteurs politiques, non moins qu’économiques et financiers, qui rendraient vraiment très difficile l’interruption d’un jour à l’autre de nos programmes d’aide à l’étranger ou l’opposition au développement des établissements et des opérations de nos entreprises à l’étranger.[2]
Ces exportations de fonds américains n’ont donc pas été atteintes par la quasi-disparition des soldes créditeurs de nos paiements courants et de notre balance commerciale. Tandis que nos exportations de marchandises continuaient de croître à un taux annuel de 7% de 1965 à 1969, nos importations ont augmenté pendant la même période de 14% par an. Cette détérioration de nos paiements courants est certainement imputable, le plus souvent, au maintien de la dépense globale à un niveau excédant largement notre capacité maximale de production à plein emploi. Cet excès de demande eut inévitablement pour résultat une hausse des prix intérieurs et une réduction du solde créditeur de nos paiements courants à niveau anormalement bas, trop bas pour financer les exportations de capital qu’on peut attendre de nous.[3] Le solde créditeur de nos paiements courants souffre par conséquent d’un double handicap : une petite portion de notre excès de dépenses se déverse directement à l’étranger et notre compétitivité se détériore, en raison de la hausse rapide de nos prix et de nos salaires, par rapport à celle d’autres pays. Nos prix d’exportation ont augmenté de 14% de 1964 au troisième trimestre de l’année dernière, contre approximativement 3 à 4%, en moyenne, dans les pays industriels d’Europe, le Royaume-Uni et le Japon, et même moins dans la plupart des autres pays.[4]
La stabilité des exportations américaines de capitaux jointe à la brusque réduction du solde créditeur de nos paiements courants signifie inévitablement que l’excès grandissant des premières sur le second a dû être financé par des importations croissantes de capitaux de l’étranger et/ou des pertes de réserves monétaires. Le tableau I enregistre à la ligne III l’impressionnante augmentation du besoin de financement : de 3,6 milliards de dollars en 1964 à 10,8 en 1969. Une part substantielle de cette somme a été financée en 1969 et particulièrement en 1968, par des fonds n’ayant pas le caractère de règlements, attirés aux Etats-Unis par des taux d’intérêt élevés et le boom de Wall Street (voir ligne III A du tableau). Cependant, l’année dernière, la part du lion, dans ce financement, est venue d’une augmentation sans précédent (9,3 milliards de dollars) de notre endettement auprès des banques commerciales à l’étranger (ligne III B 2), y compris en particulier le passif croissant des banques américaines auprès de leurs succursales étrangères (7 milliards).
Ces gros afflux de fonds privés nous ont même permis l’année dernière d’augmenter nos réserves monétaires de 1,2 milliard de dollars, et de rembourser de surcroît 1,5 milliard de notre endettement auprès des banques centrales étrangères et d’autres autorités monétaires. Nos réserves officielles nettes se sont aussi améliorées de 2,7 milliards de dollars (ce qu’on appelle la balance « Bernstein » ou balance des « transactions officielles de réserve ») tandis que l’évaluation plus traditionnelle de notre balance « liquidités » enregistrait un déficit record de 7,1 milliards.
Cependant, la position officielle de nos réserves est devenue, par conséquent, de plus en plus exposée à un ralentissement — ou à un renversement — possible de l’énorme afflux de capitaux étrangers qui l’a protégée ces dernières années, particulièrement en 1968 et en 1969. Des estimations complètes de notre balance des paiements pour le premier trimestre de cette année ne sont pas encore disponibles, mais les premières estimations fragmentaires révèlent :
1. Une brusque réduction des achats par l’étranger de valeurs américaines autres que les obligations du Trésor. Ces achats ont été seulement de 277 millions de dollars, soit annuellement 1.108 millions contre 4.360 millions en 1968 et 3.033 millions en 1969.
2. Des remboursements de 1.613 millions de dollars du passif exigible par les banques commerciales étrangères, soit annuellement 6.452 millions, contre une augmentation de 9.272 millions de ce passif en 1969.
3. Finalement, une augmentation sans précédent de 2.832 millions en trois mois de notre passif auprès des autorités monétaires étrangères, soit annuellement 11.328 millions, contre une réduction de ce passif de 1.523 millions l’année dernière. Si les tendances actuelles se confirmaient — ou si, comme il se pourrait, elles étaient aggravées par la récession sur le marché des valeurs mobilières et d’autres événements sur le marché de l’euro-dollar — les banques centrales étrangères seraient dans l’obligation d’acheter des quantités de dollars sans précédents afin de prévenir une dépréciation du dollar par rapport à leurs monnaies, au-dessous de la limite autorisée par le F.M.I. (1% au-dessous de la parité) et par l’Accord monétaire européen (0,75% au-dessous de la parité). Le financement de nos déficits, à une telle échelle, par les banques centrales étrangères — ou même par les banques commerciales, comme en 1969 — soulèverait inévitablement de sérieuses questions de politique. D’autre part, des demandes massives de remboursement en or de ces balances dollars restent improbables, car on se rend bien compte qu’elles pourraient créer une situation dans laquelle les Etats-Unis n’auraient d’autre choix que d’imposer une réduction drastique des importations et des autres dépenses à l’étranger et/ou de suspendre la convertibilité du dollar en or.
La seule issue qui s’offre à l’une quelconque des autorités monétaires étrangères peu disposée à financer indéfiniment des excès, massifs et persistants, de dollars sur leur marché serait de suspendre — ou de limiter — leurs interventions de stabilisation sur le marché des changes, et de laisser leur monnaie s’apprécier en termes de dollars comme le mark et le dollar canadien l’ont déjà fait dans les derniers mois. Une telle solution pourrait être, en vérité, rendue plus aisée si elle était le résultat des études en cours du F.M.I. sur les enlarged bands, les creeping pegs et d’autres méthodes destinées à faciliter et à accélérer les réajustements désirables des taux de change.
Ces perspectives sont considérées avec une anxiété particulière par les pays de la Communauté économique européenne (C.E.E.), puisque tout système de taux de change flexibles entre leurs monnaies nationales irait évidemment à l’encontre de leurs engagements pour une union monétaire complète et pourrait même compromettre l’existence du traité de Rome lui-même. Cette inquiétude explique pour une large part la tendance renouvelée à l’intégration monétaire reflétée par les décisions de la conférence au sommet réunie à La Haye les 1er et 2 décembre derniers, qui trouvèrent vraiment peu d’écho à l’époque dans la presse américaine dont les comptes rendus de la conférence furent centrés presque exclusivement sur la question plus familière de l’entrée de la Grande-Bretagne dans la C.E.E..
 
III
Le communiqué rendu public par les chefs d’Etat et de gouvernement des six pays appelait un plan concret, à élaborer cette année, pour la création d’une Union économique et monétaire et pour un examen de la possibilité d’instituer un Fonds européen de réserve.
En application de cette résolution, le Conseil des Communautés européennes créa le 6 mars 1970, sous la présidence de M. Pierre Werner, Premier ministre du Luxembourg, un haut comité groupant les présidents du comité monétaire, du comité des gouverneurs des banques centrales, du comité de politique économique à court et moyen termes, du comité de politique budgétaire et un représentant de la Commission, pour préparer un rapport analysant les différentes suggestions et permettant de démêler les options fondamentales de l’achèvement par étapes de l’union économique et monétaire de la Communauté.
Le 1er juin, le premier rapport du comité Werner était discuté à Venise par les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales. Le rapport final du comité sera présenté aux ministres en septembre, et on s’attend à ce que les institutions de la Communauté en tirent des propositions formelles, afin de pouvoir amorcer un processus conduisant à l’intégration économique et monétaire complète de la Communauté.
L’accord général semble être fait déjà sur un certain nombre de points importants :
1. L’objectif de l’union économique et monétaire complète « pourrait être atteint avant la fin de la décennie qui s’ouvre… et conduire à l’adoption d’une monnaie unique » et doit entraîner un transfert d’autorité pour les grandes décisions de politique économique des Etats-nations à la Communauté elle-même.
2. Des orientations à moyen terme devraient être définies quantitativement et une assistance financière à moyen terme instituée avant la fin de cette année (des clauses d’assistance monétaire à court terme ont déjà été adoptées, en février dernier).
3. La première étape de ce nouveau plan d’intégration monétaire devrait commencer le 1er janvier 1971 et s’achever dans un délai estimé à trois ans. Elle devrait inclure un renforcement des procédures de consultation, l’harmonisation des politiques fiscales et budgétaires, la coordination des politiques monétaires et de crédit et une intégration plus poussée des marchés financiers, à la lumière de l’objectif à atteindre finalement.
4. « La Communauté doit progressivement adopter des positions communes en ce qui concerne les relations monétaires avec les pays tiers et les organisations internationales ; en particulier, elle ne doit pas se prévaloir dans les relations de change entre pays membres de dispositions qui pourraient autoriser une plus grande flexibilité dans le système international de change ».
Le seul point sur lequel le comité Werner n’a pas pu aboutir à un accord unanime est la question de savoir si la solidarité de la Communauté en matière de taux de change à l’égard du reste du monde exigerait ou non la création rapide d’un Fonds européen de stabilisation, préfiguration du Fonds européen de réserve, dont est partisan depuis longtemps le Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe de Jean Monnet.
Contrairement à une fausse interprétation répandue, la création d’un tel fonds n’entraînerait pas une fusion des réserves des pays membres, pas plus que la tenue de comptes individuels de chèques par une même banque n’entraîne pour les déposants la fusion de leurs comptes respectifs dans cette banque. Tout ce qu’on envisage, c’est le dépôt d’une part — probablement très modeste, au début — des réserves monétaires totales des banques centrales membres dans la même institution — probablement la Banque des règlements internationaux (B.R.I.) — et la gestion et le placement de ces dépôts sous la direction et les ordres communs des pays déposants (comme c’était le cas, par exemple, pour l’Union européenne des paiements) dont l’« agent » était aussi la B.R.l.).
Le principal objet d’un tel arrangement serait d’assurer la cohérence des décisions concernant la gestion de ces fonds et, en particulier, de créer un mécanisme coordonnant les interventions des banques centrales européennes sur le marché des changes nécessaires pour limiter les fluctuations des taux de change, non seulement entre les monnaies de la Communauté mais aussi entre ces monnaies et celles des pays tiers, en particulier le dollar.
Le quasi-monopole du dollar comme monnaie internationale actuellement utilisée par les banques centrales pour toutes les interventions de ce genre comporte, en vérité, quelques résultats paradoxaux. Avant tout, l’intervalle maximal de variation actuellement autorisé entre chaque monnaie et le dollar, dans le cadre de l’Accord monétaire européen, est de 1,5% (0,75% de part et d’autre de la parité), mais le fait que seul le dollar est utilisé pour toutes les interventions signifie que les fluctuations entre les monnaies de la Communauté elles-mêmes peuvent couvrir un intervalle double, soit 3% Tout élargissement de la marge de fluctuation qui pourrait être décidé plus tard par rapport au dollar aurait un impact double sur la marge de fluctuation entre les monnaies de la Communauté. Si, par exemple, les monnaies étaient autorisées à varier dans la limite de 2% de part et d’autre de leur parité par rapport au dollar (soit 4% en tout), les fluctuations des monnaies de la Communauté l’une par rapport à l’autre pourraient aller jusqu’à 8%.
Pour se protéger contre une telle éventualité, les pays de la Communauté doivent avoir la possibilité d’utiliser directement leurs propres monnaies, plutôt que le dollar, pour contrôler les fluctuations du marché entre ces monnaies elles-mêmes. Chacun aurait un compte au fonds — libellé en une unité de compte commune le garantissant contre les risques de dévaluation — et créditerait ou débiterait ce compte des devises qu’il aurait achetées ou vendues pour prévenir une hausse ou une baisse excessive de sa propre monnaie par rapport aux autres monnaies de la Communauté. Les variations nettes, dont les comptes des pays membres seraient ainsi crédités ou débités, seraient réglées périodiquement — comme elles l’étaient dans l’Union européenne des paiements — sous des formes acceptées par tous les participants : or, dollars et autres devises convertibles, droits de tirage spéciaux sur le fonds, etc.
Le dollar continuerait d’être utilisé, bien entendu, comme grande devise d’intervention pour limiter les fluctuations entre les monnaies de la Communauté et celles des pays tiers, en particulier des Etats-Unis. Les taux d’intervention, cependant, devraient être conformes aux directives du fonds pour empêcher des fluctuations indues entre les monnaies de la Communauté. En outre, le compte de chaque pays au fonds serait crédité ou débité des dollars achetés ou vendus comme des achats et des ventes de monnaies de la Communauté.
Les fluctuations sur le compte de chaque pays au fonds reflèteraient ainsi en permanence l’évolution de la balance des paiements de chaque pays avec le reste du monde. Cela permettrait d’établir un lien organique et opératoire entre le fonctionnement du fonds et les procédures que la Communauté devra adopter pour garantir l’harmonisation des politiques économiques des pays membres requise pour atteindre et maintenir l’objectif final d’une union économique et monétaire complète.
 
IV
Une réalité inéluctable subsisterait, dont les implications ne sont pas toujours comprises au delà d’un cercle d’experts relativement restreint. Aucun pays ne peut éviter de financer ses excédents d’une façon ou d’une autre. Sa banque centrale devra émettre et vendre sa monnaie en échange d’autres avoirs qu’elle est disposée à accumuler comme réserves, que ce soient de l’or, des créances sur le F.M.I. ou des créances sur certains pays en particulier, comme, par exemple, les balances dollars ou sterling.
L’accumulation de telles créances sur les pays débiteurs de la Communauté elle-même fait maintenant l’objet d’accords spécifiques, déjà négociés ou en cours de négociation, concernant ce qu’on appelle le « soutien monétaire à court terme » — largement automatique et l’« assistance financière à moyen terme » — de nature discrétionnaire, subordonnée à un accord politique entre les pays membres. L’accumulation de créances sur le F.M.I. — sous la forme de D.T.S., soit de ce qu’on appelle la « position de réserve auprès du F.M.I. » — fait aussi l’objet d’accords spécifiques, de même que les différents arrangements en faveur du sterling ou du dollar négociés de plus en plus fréquemment ces dernières années.
Distincte de ces accords négociés, la position unique du dollar comme seule ou principale devise d’intervention sur le marché des changes force néanmoins les banques centrales de la Communauté à acheter tout excès de dollars sur leurs marchés dans la mesure nécessaire pour empêcher son prix de tomber de plus de 0,75% au-dessous des parités enregistrées par le F.M.I. Cette obligation est sans limite dans le cadre des arrangements existants, conclus à une époque où les dollars acquis ainsi pouvaient toujours être convertis en or, sans question, au Trésor américain. Ces conversions sont actuellement découragées — à dire le moins — et pourraient être formellement suspendues à tout moment si elles étaient vraiment reprises à grande échelle. La persistance de nos déficits place les pays excédentaires de la C.E.E. — et d’autres — devant ce choix : les financer indéfiniment — que nos politiques leur conviennent ou non — ou laisser leur monnaie s’apprécier en termes de dollars.
Cette appréciation, dans n’importe quel pays agissant isolément élèverait cependant les coûts de ses producteurs par rapport aux coûts de leurs concurrents, pas seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans tous les autres pays qui ne laisseraient pas leur propre monnaie s’apprécier en même temps qu’elle. Même le général de Gaulle se sentit incapable d’imposer une telle décision à ses agriculteurs et à ses industriels et de détériorer par-là la compétitivité française dans le monde et, en particulier, dans le Marché commun lui-même.
L’opinion américaine, officielle aussi bien qu’académique, tend de plus en plus vers l’idée que les pays excédentaires devraient laisser leur monnaie s’apprécier et nous aider par-là à éliminer les déficits, massifs et persistants, créés par l’inflation aux Etats-Unis et la tendance prédominante à la dévaluation dans le reste du monde. La surévaluation actuelle du dollar serait ainsi corrigée par l’appréciation d’autres monnaies, plutôt que par une dépréciation du dollar qui élèverait inutilement le prix de l’or et équivaudrait à un désaveu de nos promesses répétées de n’en rien faire.
Le nouveau mécanisme de change envisagé avec la création d’un fonds européen de réserve ou de stabilisation permettrait aux pays de la C.E.E. de limiter leur financement de nos déficits par une appréciation simultanée et parallèle de leurs monnaies, s’ils concluaient à la sagesse d’une telle ligne de conduite. A vrai dire, il deviendrait presque indispensable si ces pays étaient placés demain devant le besoin de concilier la stabilité des taux de change à l’intérieur de la Communauté et l’adoption de wider bands ou de crawling pegs par les autres membres du F.M.I..
Finalement, un Fonds européen de réserve deviendrait aussi l’instrument de l’élaboration en commun par les pays de la C.E.E. de politiques efficaces concernant le financement des déficits d’autres pays — et en particulier des déficits des Etats-Unis — par le développement spectaculaire — et, de temps en temps, désordonné — des marchés des eurodevises et des euro-émissions.
 
V
Un organisation monétaire européenne du type décrit plus haut doit naturellement être créée, un jour ou l’autre, dans un avenir proche comme organisation de transition, ouvrant la voie au plus ambitieux système fédéral de réserve européen nécessaire pour atteindre l’objectif unanimement accepté de l’union économique et monétaire complète. Tout le monde le reconnaît.
Néanmoins, et bien que la proposition d’un fonds européen de réserve ait été lancée officiellement pour la première fois par le chancelier Brandt, les Allemands et les Néerlandais ont exprimé jusqu’ici une préférence pour un ajournement de l’action à propos de tout projet de ce genre en attendant que les efforts d’harmonisation des politiques et des développements économiques des pays membres aient suffisamment progressé pour éliminer le danger de déséquilibres persistants des balances des paiements dans la Communauté.
En vérité, une telle condition préalable apparaîtrait logique si le fonds proposé devait souscrire par des engagements d’assistance financière sans limite à une stabilité irrévocable des taux de change à l’intérieur de la Communauté. Toutefois, ce n’est pas le cas. Des engagements d’assistance mutuelle entre les membres du fonds resteront sans doute limités en quantité, et aucun pays ne peut attendre de ses partenaires de la C.E.E. qu’il finance indéfiniment des politiques qu’ils désapprouvent ou — plus pertinemment —son incapacité à appliquer des politiques sur lesquelles ils soient tous d’accord, c’est-à-dire la conciliation d’une stabilité raisonnable des prix et du degré souhaitable d’emploi et de croissance économique (comme le prévoit déjà l’article 104 du traité de Rome).
Tout échec de la part d’un pays membre dans l’application de telles politiques d’harmonisation entraînerait inévitablement des déséquilibres de balance des paiements et serait sanctionné — et corrigé — en fin de compte par des réajustements de taux de change. L’opposition — unanimement exprimée à Venise — à toute forme de taux de change flottants reflète simplement la conviction que des politiques d’harmonisation peuvent et doivent réussir, alors que le change flottant ne peut être justifié qu’en supposant permanente la faillite de telles politiques et, par conséquent, inaccessible l’objectif accepté par tous d’une union économique et monétaire.
Des transformations institutionnelles majeures et des transferts de pouvoir du niveau national au niveau de la Communauté seront exigés, néanmoins, avant que le succès permanent des politiques d’harmonisation ne soit pleinement garanti. Pendant la période de transition encore à venir, la structure des taux de change de la Communauté ne saurait être gelée irrévocablement dans sa forme actuelle, mais doit se conformer à l’article 107, alinéa premier, du traité de Rome et rendre vraiment opératoire le principe suivant lequel « chaque Etat membre traite sa politique en matière de taux de change comme un problème d’intérêt commun ». Cela devrait entraîner, pour les autres Etats membres et les institutions communes de la C.E.E., le droit non seulement de s’opposer à la modification du taux de change d’un membre — comme prévu déjà dans la charte du F.M.I. — mais aussi de demander une telle modification si elle était nécessaire pour éliminer un déséquilibre fondamental, dommageable pour tous les membres, et que les efforts d’harmonisation des politiques n’auraient pas réussi à prévenir ou à corriger à temps.
Comme la Commission l’a déclaré au Conseil, le 4 mars de cette année, les dispositions d’aide mutuelle à court et moyen termes devraient suffire pour traiter les difficultés temporaires de balance des paiements, mais « au cas où des déséquilibres plus profonds se manifesteraient avant que… une compatibilité satisfaisante des développements économiques et monétaires à l’intérieur de la Communauté… ait été obtenue, une modification de parité ne saurait être exclue, mais devrait être considérée comme un dernier recours décidé en commun. L’intérêt de la Communauté est, en tout cas, que les parités entre les monnaies des Etats membres soient irrévocablement fixées aussi rapidement que possible ».
 
VI
En bref, la tendance à l’intégration monétaire de l’Europe est un sous-produit logique des engagements pris depuis longtemps dans le traité de Rome lui-même. Toutefois, ceux-ci reçoivent une impulsion et une urgence additionnelle des déficits massifs et persistants des Etats-Unis.
Le statut actuel du dollar comme principale ou seule monnaie d’intervention sur les marchés des changes était autrefois fondé sur — et rendu acceptable par — le droit incontesté des banques centrales étrangères de demander à tout moment le remboursement en or, à un taux fixe, des créances en dollars qu’elles avaient accumulées. Ce droit n’est plus incontesté et pourrait bien leur être formellement dénié demain si elles tentaient de l’exercer sur une grande échelle.
Tout pays dont la balance des paiements est en excédent pourrait alors se trouver forcé de choisir entre le financement sans limite des politiques et des déficits américains au sujet desquels il ne peut guère, ou pas du tout, donner son avis, et l’appréciation de sa monnaie sur le marché des changes non seulement par rapport au dollar, mais aussi par rapport aux autres monnaies qui restent liées au dollar. Ce serait une décision difficile à prendre seul, politiquement aussi bien qu’économiquement. Et ce serait particulièrement difficile pour les pays de la C.E.E. — étant donné la grande « ouverture » de leur économie et la densité croissante des relations commerciales et financières entre eux — et, en fait, cela mettrait en danger l’existence du traité de Rome lui-même.
Ils voient ainsi dans la fusion en une zone monétaire unique, capable d’adopter et d’appliquer des politiques communes pour le financement du dollar et/ou des réajustements simultanés et parallèles de leurs taux de change par rapport au dollar, la seule solution réaliste qui s’offre à eux. Celle-ci deviendrait plus nécessaire encore si les études officielles actuellement en cours conduisaient à l’adoption de wider bands ou de creeping pegs dans le système international de change, soutenue par de nombreux officiels et universitaires aux Etats-Unis et à l’étranger.
Ce changement dans le rôle international du dollar peut s’avérer bénéfique pour nous comme pour le système monétaire international en général. Il nous privera, naturellement, de facilités de financement qui nous avaient permis de différer trop longtemps les réajustements nécessaires de nos politiques, par l’accumulation permanente de dettes à court terme à l’étranger et une vulnérabilité croissante à la cessation, ou au renversement, de ces afflux unilatéraux de fonds à court terme. Pour employer une expression familière, ces facilités nous donnaient dans le passé « trop de corde pour nous pendre ».
L’ajournement indu des réajustements de politique qu’autrement nos déficits nous auraient fait accepter — comme pour les autres pays — ont maintenant conduit à une sous-évaluation du dollar, aggravée par une tendance à la dévaluation d’autres monnaies, qui est en partie responsable de la détérioration alarmante de la balance de nos paiements courants.
Les autorités responsables aux Etats-Unis accueilleraient par conséquent avec joie l’impulsion que les plans actuellement discutés dans la C.E.E. donneraient à la probabilité d’un réajustement des taux de change des pays excédentaires par rapport au dollar, et les améliorations à en attendre pour notre balance des paiements, et en particulier pour notre balance commerciale. Nous devrons donc d’autant plus nous préoccuper du contrôle de l’excès de demande aux Etats-Unis que son impact inflationniste à l’intérieur serait accentué par l’amélioration attendue de notre balance commerciale.


* Traduit de l’anglais par Bernard Barthalay.
[1] Ce qui inclut, pour simplifier, le poste « erreurs et omissions », qui varie entre 0,6 et 1,1 milliard de dollars par an jusqu’en 1969, où il a atteint une pointe de 3 milliards, et qu’on estime constitué dans une large mesure d’exportations non enregistrées de fonds américains vers le marché de l’euro-dollar.
[2] Cela vaut peut-être la peine de noter que les exportations brutes de capital britannique — public et privé — ont également été maintenues à un haut niveau, malgré de lourds déficits globaux de la balance des paiements et l’amenuisement des réserves. Les exportations de capitaux à long terme et les transferts unilatéraux ont à eux seuls varié entre 1,7 et 2,5 milliards de dollars pendant les cinq dernières années.
[3] Voir tableau 7 et commentaires dans mon petit livre sur The Fate of the Pound (Paris, Institut Atlantique, juillet 1969), p. 36-37.
[4] Voir indices des prix d’exportation, exprimés en dollars, dans la livraison de juin 1970 des International Financial Statistics.

 

 

 

 

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