LE FEDERALISTE

revue de politique

 

XVI année, 1974, Numéro unique, Page 133

 

 

Considérations sur les institutions monétaires
de la Fédération européenne
 
GUIDO MONTANI
 
 
1. — Le problème.
Si le processus d’intégration européenne aboutit à une solution démocratique, comportant la création d’un gouvernement fédéral européen, il faudra doter ce nouvel Etat fédéral d’une structure économique.
Dans toute économie moderne, un rôle primordial revient à la banque centrale. C’est en effet à travers cette institution que le gouvernement contrôle le volume du crédit et met en œuvre sa politique monétaire.
Dans les pays d’Europe il existe une tradition solidement établie suivant laquelle les tâches de la banque centrale sont assignées à une seule institution de crédit. Cela est tout-à-fait logique ; puisque le centre du pouvoir est unique, l’organe chargé de la politique monétaire doit, lui aussi, être unique.
Dans un Etat fédéral, en revanche, il y a plusieurs centres, de pouvoir. C’est ainsi que la constitution des Etats-Unis prévoit que certains pouvoirs — par exemple, en matière de politique étrangère — doivent être dévolus au gouvernement fédéral, alors que d’autres — par exemple, dans le domaine de l’enseignement — relèvent de la compétence exclusive des Etats membres de l’Union. Chaque pouvoir est souverain dans la sphère de son ressort. « Le principe d’organisation sur lequel repose la société américaine est celui de la division des pouvoirs entre des gouvernements distincts et coordonnés ».[1]
L’application de ce principe à l’économie entraîne certaines conséquences. Par exemple, le pouvoir de fixer et de lever les impôts sera confié soit au gouvernement central, soit au gouvernement de chaque Etat membre, car un pouvoir autonome, dépourvu des moyens nécessaires à l’exercice de ses fonctions, serait inconcevable.[2] Il en découle que les pouvoirs en matière d’imposition doivent être coordonnés entre eux et maintenus dans certaines limites afin qu’ils ne soient pas privés, dans la pratique, de la possibilité de recueillir des fonds au moyen de l’imposition.[3] Contrairement à celle des Etats centralisés, la politique fiscale des Etats fédéraux se situe donc par définition à divers niveaux.
La situation n’est pas aussi claire dans le domaine de la politique monétaire. Aux termes de la constitution des Etats-Unis, « le Congrès sera habilité à battre monnaie, à fixer sa valeur et celle des monnaies étrangères » ;[4] en outre, « aucun Etat ne pourra émettre… de la monnaie ».[5] Il est donc incontestable que seul le gouvernement fédéral a le droit d’émettre de la monnaie. Cela ne signifie toutefois pas que la politique monétaire est entièrement confiée au gouvernement fédéral. Par analogie avec la politique fiscale, on pourrait faire valoir que chaque Etat membre de la fédération doit disposer d’une sphère d’autonomie dans le domaine de la politique monétaire (ainsi, en ce qui concerne l’émission d’emprunts publics de l’Etat ou le contrôle du taux d’intérêt appliqué sur son territoire).
Si l’on suivait ce principe dans la politique monétaire, il en résulterait que contrairement à ce qui se passe dans les Etats centralisés, les institutions monétaires dépendraient non pas d’une banque centrale, mais d’un système fédéral de banques ; en d’autres termes, chaque Etat aurait une banque d’Etat dont les fonctions seraient coordonnées, sous une forme ou une autre, avec celles de la banque fédérale et des autres banques d’Etat. Dans ce cas, les banques d’Etat seraient l’instrument de la politique monétaire des gouvernements locaux, et la banque fédérale, celui de la politique monétaire du gouvernement fédéral.
L’histoire des Etats-Unis n’est pas concluante à cet égard. « Jusqu’en 1918, le Système Fédéral de Réserve était le seul au monde à représenter un type fédéral de banque centrale, par opposition au système unitaire. Il convient toutefois de noter que la différence entre le système fédéral et le système unitaire ne tient pas à une question de niveau. Du point de vue de l’organisation et de l’administration, le système est certes décentralisé, mais l’impulsion vient du centre. Les banques fédérales de réserve, qui sont en réalité des banques centrales régionales, ne sont pas les organes de circonscriptions politiques subordonnées. Toute l’autonomie qu’elles peuvent posséder provient de l’autorité qui leur est déléguée par le gouvernement fédéral ».[6] On donc qu’aux Etats-Unis, les banques fédérales de réserve ne constituent pas un instrument du gouvernement local.
Il nous faut par conséquent expliquer, en premier lieu, pourquoi l’expérience américaine n’a pas donné naissance à un système fédéral de banques, en second lieu, quels enseignements on peut en tirer pour le système bancaire européen qui découlera de l’adoption d’une monnaie européenne unique et de la dévolution d’un minimum de pouvoirs à un gouvernement fédéral, enfin, en troisième lieu, dans quelle mesure il est correct de parler d’un système bancaire fédéral et quelles en sont les fonctions.
 
2. — L’expérience américaine.
Nous examinerons brièvement l’histoire bancaire Etats-Unis, afin d’en dégager les facteurs qui sont à l’origine de l’organisation institutionnelle actuelle du système bancaire, autrement dit, du Federal Reserve System.
Au XVIIIe siècle, avant qu’elles se révoltaient contre la mère patrie, les colonies américaines de la côte atlantique entretenaient des rapports économiques relativement peu développés qui n’exigeaient pas un véritable système bancaire. Les opérations de dépôt et d’escompte étaient assurées par de riches marchands ou associations commerciales ; les banques, créées par des propriétaires fonciers, avaient pour principale tâche d’émettre des billets de banque ou, d’une façon plus générale, des titres de crédit pouvant servir de monnaie. Toutefois, on relève au cours de cette époque quelques tentatives en vue de créer des banques d’intérêt public. En 1741 fut fondée la Land Bank du Massachusetts, dans l’espoir d’augmenter le volume de monnaie en circulation, qui était extrêmement faible faute de banques locales d’émission. Cependant, cette initiative allait nettement à l’encontre du principe de la souveraineté anglaise sur les colonies. La même année, le gouvernement anglais ordonna-t-il la fermeture de cette banque, et en 1751, le Parlement anglais promulga une loi qui interdisait l’émission de monnaie dans les colonies. Ces dispositions exacerbèrent évidemment l’animosité des colons envers le gouvernement de Londres et furent l’une des causes qui les incitèrent à se révolter contre lui.[7]
La guerre d’indépendance imposa aux Etats américains de lourds sacrifices pour l’entretien de l’armée. Toutefois, le Congrès ne fut pas autorisé à recueillir des fonds en imposant directement les citoyens, et l’inertie des Etats qui n’étaient pas directement menacés par la guerre dressait un grave obstacle au rassemblement des sommes nécessaires au financement de l’armée. Afin de surmonter cette difficulté, le Congrès nomma Robert Morris surintendant des finances en 1781. L’une des premières décisions qu’il prit fut celle de fonder la Bank of North America, première tentative faite en Amérique en vue d’instituer une banque centrale. Morris s’inspira certainement de la Banque d’Angleterre. La Bank of North America fut pratiquement créée au moyen de fonds fournis par le Congrès, et elle avait pour principale mission de réunir du numéraire pour financer les opérations militaires.[8]
La fin des hostilités signa l’arrêt de mort de la Bank of North America. Les liens qui avaient uni les treize colonies, devenues des Etats indépendants, se relâchaient de plus en plus et il apparut progressivement que la Confédération était une institution extrêmement fragile et impuissante face aux divers gouvernements. « La faiblesse fondamentale de la Confédération… tenait au fait que, tout comme la Diète allemande autrefois et la Société des Nations par la suite, elle était entièrement tributaire de la bonne volonté des Etats souverains. Le Congrès n’était pas habilité à assainir les finances, à faire appliquer les lois de l’Union ni à réglementer le commerce et les échanges avec l’étranger. Le gouvernement avait du mal à survivre avec les maigres recettes que lui procuraient les réquisitions auxquelles les assemblées Etats ne pouvaient — et le plus souvent, ne voulaient — pas répondre. De 1781 à 1786, les Etats versèrent en moyenne au Trésor fédéral environ un demi million de dollars par an, somme qui suffisait à peine à couvrir les dépenses normales du gouvernement, sans même parler des frais de guerre et des intérêts des dettes étrangères. Robert Morris, l’habile ministre des finances de la confédération, réussit à éviter une dévaluation totale et parvint, grâce aux prêts consentis par des banquiers hollandais, à éloigner le spectre de la banqueroute. Toutefois, en 1783, la situation financière était devenue si désespérée que Morris donna sa démission… ».[9] En 1787, la Banque of North America, désormais inutile en tant que banque de la Confédération, obtint une autorisation (charter) de l’Etat de Pennsylvanie et continua à exercer ses activités comme banque de cet Etat sur le territoire de celui-ci.
Ce n’est qu’après la ratification de la constitution fédérale américaine et à la suite de la formation du premier gouvernement fédéral qu’il fut possible de créer une institution bancaire efficace pour les Etats-Unis. Sur proposition de Robert Morris, Washington nomma en 1789 Alexandre Hamilton ministre des finances. Le 14 décembre 1790, Hamilton présentait au Congrès un « Report on a National Bank » qui était un véritable traité sur l’utilité et la nécessité d’une banque nationale pour les Etats-Unis.
Il est intéressant de suivre dans ses détails la lutte que ce projet déclencha, parce qu’elle est due à des causes profondes qui marqueront toute l’histoire ultérieure de la banque aux Etats-Unis jusqu’à ces derniers temps.
D’après Hamilton, la Banque a pour principale fonction « d’augmenter le capital actif ou productif d’un pays. Lorsqu’ils sont utilisés simplement comme des moyens d’échange et d’achat ou de vente, l’or et l’argent ont été désignés sous le terme nullement impropre de ‘capital mort’, mais s’ils sont déposés dans une banque pour servir de base à la circulation de papier-monnaie, qui les remplace en assumant leurs fonctions et leur caractère en tant que symbole de leur valeur, ils prennent vie ou, en d’autres termes, acquièrent une qualité active et productive ».[10] Le commerce et la production en général auraient donc retiré des avantages immenses de la création d’une banque nationale. Le gouvernement lui aussi en aurait bénéficié, particulièrement dans des situations de crise. « La raison en est évidente : grâce à cette opération, les capitaux d’un grand nombre d’individus sont réunis en un seul lieu et mis à la disposition d’une seule direction ».[11] En outre, la banque aurait permis de recouvrer plus facilement les impôts. « Cet avantage aurait été obtenu de deux manières. Ceux qui ont accès a la banque peuvent obtenir des prêts qui leur permettront de répondre ponctuellement aux demandes des autorités… L’autre façon dont l’effet recherché est atteint et qui confère un avantage général est l’augmentation du volume de la monnaie en circulation et de la vitesse de sa circulation ».[12]
Après avoir répondu à diverses objections, alors courantes, qui consistaient à mettre en doute les avantages des banques en faisant valoir qu’elles risquaient de conduire à une augmentation de l’usure, à la fuite hors du pays de l’or et de l’argent etc., Hamilton passe à la description des aspects d’ordre institutionnel de sa proposition. Il envisage entre autres la possibilité de créer des filiales de la banque nationale. « Les circonstances propres aux Etats-Unis donnent tout naturellement à penser que cette institution pourrait comporter de nombreuses succursales. On peut arguer contre cette thèse que chaque succursale devrait avoir une direction distincte, mais subordonnée, à laquelle il faudrait nécessairement laisser une grande latitude. La mauvaise administration d’une succursale donnée risquerait d’engendrer des désordres préjudiciables à l’ensemble de l’institution ».[13]
La position adoptée par Hamilton au sujet de la création d’un système bancaire centralisé s’explique aisément si l’on tient compte de la situation dans laquelle se trouvait l’Union au cours des années qui suivirent immédiatement la ratification de la constitution fédérale. Le pouvoir central était très faible ; la vie des citoyens américains et leurs intérêts dépendaient des divers Etats. C’est pourquoi Hamilton était en quête de tous les instruments capables de renforcer le pouvoir du gouvernement fédéral. « Son objectif était de consolider l’Union. Il avait compris quels étaient les idéaux, les aspirations et les intérêts qui pouvaient être élevés au niveau panaméricain et il créa une institution qui permettait de les exprimer et de les affirmer. Cette institution était la banque nationale, qui constituait un moyen particulièrement efficace pour organiser de façon stable les hommes autour du pouvoir central et pour canaliser leurs intérêts ».[14] Poussé par ces mêmes raisons d’ordre politique, Hamilton essaya aussi en 1791 de donner une monnaie unique aux Etats-Unis où circulaient alors diverses monnaies européennes ; à cette fin, il institua un hôtel de la monnaie et une monnaie officielle, le dollar.
Son projet de création d’une banque nationale bénéficiait évidemment du soutien enthousiaste des commerçants et des industriels du nord, alors que les agriculteurs s’y opposaient, en particulier dans le sud ; ils craignaient que le pouvoir de la classe commerçante s’en trouverait accru et voyaient l’autonomie de Etats menacée par ce renforcement du gouvernement central.[15]
Les adversaires directs les plus acharnés de Hamilton furent Madison et Jefferson. Néanmoins, Hamilton réussit finalement à faire approuver son projet, et la banque ouvrit ses portes en 1791 à Philadelphie aux termes d’une autorisation du gouvernement pour une durée de vingt ans. L’Etat ne possédait qu’une fraction du capital de la banque, dont la majeure partie était entre les mains de particuliers.
Jusqu’à la guerre de sécession, l’histoire de la banque aux Etats-Unis fut marquée par le conflit entre ces  deux courants d’opinion, dont l’un l’emportait alternativement sur l’autre pour de brèves périodes. En 1811, date à laquelle l’autorisation accordée à la banque nationale venait à expiration, les polémiques relatives à sa légalité constitutionnelle et à son utilité reprirent de plus belle. Finalement, le Sénat refusa d’octroyer une nouvelle autorisation, de sorte que le gouvernement fédéral se vit dans l’obligation de faire appel aux banques d’Etat pour ses opérations.[16] Les années qui suivirent cette décision furent placées sous le signe d’un désordre monétaire tel que même les secteurs de l’opinion publique qui étaient les plus hostiles à la banque nationale en reconnurent l’utilité. En 1816 fut créée la deuxième banque des Etats-Unis.[17] Cependant, l’opposition contre le principe de cette banque persista même après son institution. « En 1817, l’Etat du Maryland imposa une taxe sur les billets de banque émis par toutes les institutions bancaires installées dans l’Etat sans autorisation du gouvernement. La filiale du Maryland [de la Banque des Etats-Unis] refusa de payer cette taxe, et en 1819, dans le célèbre procès de McCulloch contre l’Etat du Maryland, la Cour suprême des Etats-Unis décida que la banque était conforme à la constitution puisqu’elle était un instrument nécessaire et adéquat pour les opérations fiscales du gouvernement fédéral. En sa qualité d’organe fédéral, elle était donc exonérée de l’impôt des Etats. Non seulement cet arrêt sauva la banque, mais encore, il renforça les pouvoirs fédéraux en général ».[18]
Cependant, cette deuxième banque des Etats-Unis devait connaître un sort assez semblable à celui de la première. Lors de sa réélection à la présidence, Jackson déchaîna une véritable offensive contre elle. Il présenta la banque « à l’opinion publique comme un ‘monstre’ qui tirait ‘ses gains du peuple américain’ pour les distribuer à des actionnaires étrangers et à quelques centaines de nos citoyens appartenant pour la plupart à la classe aisée ».[19] Les fonds de l’Etat furent retirés de la Banque des Etats-Unis pour être confiés à quelques banques d’Etat dénommées « banques privilégiées ». La deuxième Banque des Etats-Unis était ainsi condamnée à disparaître, et l’Union ne devait plus avoir de banque nationale jusqu’en 1913.
La période comprise entre 1836, année où la banque nationale ferma ses portes, et le début de la Guerre de Sécession, fut marquée par une anarchie bancaire et monétaire sans précédent. L’affaiblissement du gouvernement central permit aux Etats membres de l’Union d’acquérir une autonomie de plus en plus grande ; dans le domaine qui nous intéresse ici, ils réglementèrent à leur gré aussi bien l’émission des billets de banque que la création de banques d’Etat et privées, violant ainsi la constitution fédérale. Les crises bancaires furent aussi nombreuses que virulentes au cours de ces années.[20]
C’est seulement pendant la guerre de sécession, lorsque l’autorité fédérale se fut raffermie, qu’il devint possible remettre de l’ordre dans les affaires monétaires et bancaires. En 1864 fut adopté le National Banking Act, dont les dispositions devaient garantir une source de financement au gouvernement et imposaient une monnaie légale unique sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis. En tant que réforme bancaire, cette loi n’eut qu’un succès partiel. En gros, elle conduisit à la création d’un réseau national de banques qui appliquaient une législation unique pour l’émission de billets de banque, le volume de leur réserve et l’octroi de crédits. Au début du XXe siècle, les Etats-Unis possédaient grâce à ces dispositions une monnaie unique sur l’ensemble de leur territoire national ; toutefois, le système bancaire se révéla trop rigide pour pouvoir contrôler le volume de monnaie en circulation. Les courants hostiles à la centralisation avaient été apaisés, le législateur ayant évité de créer une institution bancaire centrale, mais l’absence de cet organe empêchait la mise en œuvre de toute politique en matière de crédit.[21]
La crise financière de 1907 convainquit définitivement l’opinion publique et les milieux politiques de la nécessité de procéder à une réforme du système bancaire. D’autre part, la scène politique et sociale des Etats-Unis à l’aube de ce siècle présentait certains éléments nouveaux dont il faut tenir compte si l’on veut comprendre les raisons qui sont à l’origine du Federal Reserve System.
Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, l’économie américaine était passée définitivement du stade agricole au stade industriel. Les grandes inventions du XIXe siècle, telles que le télégraphe, le chemin de fer, l’électricité et le moteur à combustion interne, lui permirent de se développer à l’échelle continentale dans des proportions qui n’avaient pu être atteintes en Europe. Vers la fin du XIXe siècle, l’un des problèmes qui préoccupait le plus l’opinion publique américaine était celui des grands trusts, qui parvenaient facilement à se soustraire aux dispositions des lois des Etats et à opérer dans l’ensemble des Etats-Unis sans être inquiétés.[22] Il était évident que seul le gouvernement fédéral était capable d’intervenir pour réglementer cette sphère de l’activité économique, qui échappait désormais au pouvoir des Etats membres. Théodore Roosevelt fut le premier qui formula cette exigence, et tout au long des années de sa présidence, il chercha inlassablement à augmenter les pouvoirs du gouvernement fédéral dans le domaine de l’économie.[23]
Au moment où fut affrontée la question de la réforme du système bancaire, les deux partis firent à nouveau entendre leurs voix : d’un côté, les tenants de l’autonomie des Etats — représentés en général par les agriculteurs du sud — et de l’autre, les grands financiers et banquiers du nord, qui préconisaient un système bancaire plus centralisé, mais néanmoins contrôlé par les capitaux privés.[24]
En 1913, le président des Etats-Unis était Woodrow Wilson, qui poursuivait avec cohérence la politique économique instaurée par Théodore Roosevelt. Cette fois-ci, à la voix des deux adversaires habituellement en présence vint s’ajouter celle du gouvernement fédéral, qui était plutôt le porte-parole de l’opinion publique que celui des intérêts financiers ou agricoles. Le président Wilson résuma son point de vue dans le discours qu’il prononça le 23 juin 1913 devant le Congrès : « Nous devons avoir une monnaie qui ne soit pas rigide comme c’est le cas actuellement, mais qui réponde rapidement et avec souplesse au crédit lorsqu’il est sûr… Notre système bancaire doit consister en réserves mobiles ; en aucun cas, il ne doit permettre que les ressources monétaires du pays se concentrent entre quelques mains ou qu’elles soient utilisées à des fins de spéculation… Le contrôle du système et des émissions que les nouvelles lois sont appelées à établir devra être public, et non privé, et c’est le gouvernement qui devra en être investi, de manière à ce que les banques deviennent l’instrument et non les patrons des hommes d’affaires et ou des initiatives individuelles ».[25]
Ce point de vue l’emporta. Le 23 décembre 1913 fut adopté le Federal Reserve Act qui instituait un nouveau système bancaire national, fondé sur une base régionale et au sommet duquel fut créé le Federal Reserve Board (conseil des gouverneurs), composé de sept membres qui siègent à Washington et sont nommés, directement ou indirectement, par le président des Etats-Unis. Le pays fut divisé en douze districts (dont les limites ne correspondaient pas nécessairement aux frontières des Etats). Chacun fut doté d’une Federal Reserve Bank, à laquelle était réservé le privilège d’émettre des billets de banque, et qui avait en outre pour tâche d’effectuer des opérations pour le compte du Trésor et de conserver les réserves des banques du district qui lui étaient affiliées. Une partie des membres du conseil d’administration ces banques fédérales de réserve étaient nommés par le Board.
Les banques d’Etat continuaient évidemment à exister, mais l’ère de leur autonomie était désormais révolue.
A la suite de l’entrée en guerre des Etats-Unis au cours du premier conflit mondial, il devint nécessaire de contrôler plus rigoureusement l’activité du pays en matière de crédit. C’est ainsi que furent adoptées les lois destinées à encourager les banques d’Etat et privées à adhérer au Federal Reserve System[26] qui devenait de plus en plus un instrument du gouvernement pour le rassemblement des fonds indispensables aux opérations militaires.[27]
Ce fut cependant Franklin D. Roosevelt qui accomplit, au cours de la période du New Deal, le pas décisif vers la centralisation complète du système bancaire. En 1933, une panique financière l’avait obligé à proclamer le bank holyday, autrement dit, la suspension de tous la paiements bancaires. Cette crise révéla clairement que les banques les plus faibles et, par conséquent, les plus touchées par ces événements, étaient celle qui n’étaient pas affiliées au Federal Reserve System. En 1935 fut adopté le Banking Act, dont les dispositions modifiaient profondément le système bancaire existant ; elles instituaient la Federal Deposit Insurance Corporation, organe spécial chargé de fournir un fonds de garantie aux banques en difficulté ; celles-ci devaient nécessairement adhérer à ce fonds si elles voulaient regagner la confiance du public. C’est ainsi que même l’existence des banques d’Etat dépendait désormais des conditions exigées par cette institution centrale.
Les modifications apportées ultérieurement au New Deal, et notamment celles qu’exigea la participation des Etats-Unis à la deuxième guerre mondiale, ont toutes eu pour effet de parachever le processus de centralisation de ce système, et l’on peut affirmer à l’heure actuelle que dans ses aspects essentiels, le Federal Reserve System ne diffère pas des banques centrales des pays d’Europe.
 
3 — Un système bancaire fédéral est-il possible ?
L’histoire bancaire des Etats-Unis permet de tirer quelques enseignements instructifs. La politique que Hamilton appliqua au cours des années qui suivirent immédiatement la ratification de la constitution était largement justifiée. Ni l’interdépendance des échanges entre las treize colonies, ni le degré de développement de leur économie n’étaient de nature à leur permettre de créer un réseau efficace de banques. En outre, le Couronne anglaise avait interdit aux treize colonies d’émettre une monnaie dotée d’un cours légal, de sorte que le nouvel Etat américain issu de la guerre d’indépendance n’hérita d’aucune institution monétaire autonome, si fragile qu’elle fût. Dans ces conditions, l’anarchie monétaire et financière devait nécessairement être de règle. De l’avis de Hamilton, la seule solution consistait à créer une banque nationale, en d’autres termes, à doter le gouvernement fédéral d’un instrument puissant qui lui permettrait d’accroître son autorité e d’encourager le développement économique et financier de l’Union. Comme les banques d’Etat n’existaient pas à l’époque, il n’était pas concevable d’instituer un système fédéral de banques.
De pair avec cette situation de départ particulière, le conflit entre partisans et adversaires de la centralisation contribue à expliquer l’évolution ultérieure du système bancaire américain. La victoire que le courant centralisateur remporta après la guerre de sécession fut tempérée par le fait que, tout en imposant sur l’ensemble du territoire une législation uniforme aux banques autorisées à émettre de la monnaie, le gouvernement fédéral ne réussit pas à instituer une véritable banque centrale. Les partisans de la centralisation l’emportèrent de façon décisive le jour où fut crée le Federal Reserve System, dont la décentralisation, purement administrative, répondait dans la forme seulement aux vœux du courant hostile à la centralisation. Etant donné qu’aucun Etat n’avait à défendre une autonomie bancaire proprement dite, on institua de simples banques régionales en tant qu’organes décentralisés de l’autorité monétaire fédérale.
En définitive, nous voyons donc que la victoire des partisans de la centralisation fut presque totale, et ce pour deux raisons. Premièrement, l’interdépendance toujours plus étroite entre les rapports économiques à l’échelle continentale obligeait à établir également le contrôle du système monétaire et une politique monétaire et fiscale au niveau continental. Deuxièmement, le processus de centralisation a été accéléré ou, dans certains cas, provoqué par le fait que les Etats membres abandonnèrent progressivement leurs pouvoirs au gouvernement central, à mesure que les Etats-Unis s’inséraient dans l’équilibre mondial.[28] Le Federal Reserve System apportait la solution au problème que posait le contrôle d’un vaste marché à l’échelle continentale et offrait l’instrument nécessaire pour le financement des dépenses auxquelles s’engage le gouvernement fédéral américain, et parmi lesquelles celles de caractère militaire occupent une place prédominante.
Après avoir ainsi élucidé les raisons qui se sont opposées à la création d’un système fédéral de banques aux Etats-Unis, nous pouvons maintenant nous demander si cette solution serait en revanche concevable dans la future Fédération européenne.
Celle-ci verra le jour dans des conditions entièrement différentes de celles qui présidèrent à la naissance de l’Union. Les Etats nationaux d’Europe sont dotés de systèmes bancaires soumis au contrôle rigide de leurs banques centrales respectives. D’une part, l’intégration économique européenne a déjà atteint un stade si avancé que seule l’absence d’un gouvernement européen empêche d’unifier entièrement le marché européen grâce à la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux.[29] D’autre part, il est sans doute raisonnable de prévoir que même après qu’un gouvernement européen aura été mis en place, il ne sera pas facile, en raison de leurs traditions séculaires, de remplacer les banques nationales centrales par une banque fédérale européenne qui exercerait les fonctions de banque centrale unique.
Même lorsqu’il sera constitué, le gouvernement fédéral européen ne sera pas un véritable gouvernement s’il n’est pas habilité à rassembler des fonds. Comme le disait Hamilton, « sans recettes assurées, un gouvernement ne peut détenir aucun pouvoir ». Nous devons donc étudier quels seront les pouvoirs minimaux du gouvernement fédéral dans le domaine monétaire et financier.
Il n’est guère difficile de prévoir, comme hypothèse minimale, que pour financer ses programmes, le gouvernement fédéral créera une banque fédérale européenne à laquelle il recourra pour l’émission de ses emprunts publics.[30]
Dans quelle monnaie toutefois seront émis ces emprunts publics européens ? Il va sans dire que si l’unité de compte retenue était une monnaie nationale, le gouvernement européen se trouverait dans une situation identique à celle de n’importe quelle société privée qui se propose de lancer un emprunt. Dans la pratique, les effets seraient négociables uniquement sur le territoire sur lequel la monnaie de compte a légalement cours, puisque si les parités venaient à changer, les détenteurs d’effets en monnaie étrangère verraient leur pouvoir d’achat se modifier. Dans ce cas, les autorités monétaires fédérales dépendraient de la politique monétaire appliquée par l’Etat membre dans la monnaie duquel l’emprunt aurait été émis.
Pour que les effets du gouvernement fédérale soient négociables dans l’ensemble de la Fédération européenne, l’unité de compte devra être une monnaie européenne ou l’une des monnaies nationales, à condition que les parités entre les diverses monnaies soient fixées une fois pour toutes. En d’autres termes, les Etats membres devront céder au gouvernement central leur pouvoir en matière de contrôle des changes.[31] Dans la pratique, cette mesure équivaudrait à l’adoption d’une monnaie européenne.
Analysons maintenant la situation à laquelle conduirait cette hypothèse. Puisque les effets du gouvernement fédéral seraient négociables dans tous les Etats membres, ils donneraient naissance à un marché financier européen unique, autrement dit, ils auraient le même cours dans toute la Fédération européenne et leur taux d’intérêt serait lui aussi unique dans toute l’Europe. Aux côtés de ce marché financier européen, des effets nationaux circuleront évidemment dans chaque Etat, étant donné que pour le moment, on n’a pas prévu de priver les gouvernements des Etats membres de la possibilité d’émettre leurs propres effets. Cependant, une situation dans laquelle existeraient de doubles marchés ne semble pas concevable. Si l’effet national est plus cher que l’effet européen, le public accordera sa préférence à ce dernier, et si l’effet national est moins cher que l’effet européen, le public accordera sa préférence au premier. En effet, il est sans doute justifié de supposer que les possibilités de substitution entre ces deux catégories d’effets seront très élevées.
Si cela est vrai, les diverses autorités monétaires entreront fatalement en conflit. Si, dans des tentatives en vue de juguler une évolution inflationniste, la banque centrale d’un Etat procédait à une opération de open market, elle parviendrait peut-être effectivement, en un premier temps, a faire monter le taux d’intérêt en vendant des bons de l’Etat sur le marché. Dans ce cas, les détenteurs de bons européens trouveraient plus intéressant d’acheter des bons nationaux. La vente des titres européens aurait pour conséquence de déprimer leur cours, et l’on parviendrait ainsi en fin de compte à une situation d’équilibre dans laquelle le taux d’intérêt serait plus élevé qu’au départ, mais plus faible que celui qui était issu de la première opération de open market.
Quant à savoir si le taux d’intérêt se maintiendrait ou non à ce niveau, c’est là une question qui dépendra uniquement des réactions de la banque fédérale. Celle-ci annulerait entièrement les effets de cette première opération si elle achetait des bons fédéraux sur le marché, car elle ferait ainsi à nouveau baisser leur taux d’intérêt.
Il est évident que dans ces circonstances, il serait impossible de diviser les pouvoirs dans la sphère de la politique monétaire au niveau fédéral. Si le marché financier est unique, les centres du pouvoir de la politique monétaire ne peuvent être dépendants l’un de l’autre et simplement coordonnés entre eux, car ils pourraient éventuellement appliquer des politiques divergentes. Pour éviter que l’anarchie s’installe sur le marché monétaire, il est indispensable que la direction de la politique monétaire soit unique. Les banques centrales des Etats membres devraient donc renoncer à effectuer des opérations de open market, autrement dit, s’abstenir d’acheter ou de vendre des bons de l’Etat.[32] En outre, les gouvernements nationaux ne pourraient recourir au deficit spending. Il va de soi que les gouvernements des Etats membres pourraient encore emprunter de l’argent sur le marché, mais ils devraient le faire dans les mêmes conditions que les sociétés privées, c’est-à-dire, au taux d’intérêt fixé par le gouvernement fédéral.[33]
Dès lors qu’elles seraient privées du pouvoir de contrôler le volume de la monnaie en circulation, les banques centrales nationales joueraient un rôle très proche de celui qui est dévolu aux banques fédérales de réserve : elles seraient de simples organes administratifs de la politique monétaire appliquée par la banque fédérale. On pourrait donc être tenté de proposer pour la Fédération européenne la création d’une banque centrale unique et la suppression des anciennes banques centrales qui seraient désormais inutiles. Cependant, avant d’accepter cette solution, il nous reste encore à étudier les fonctions que pourraient assumer les banques nationales dans la répartition nationale[34] de la liquidité européenne, dont le volume serait déterminé’ par la banque fédérale européenne.
 
4. — La répartition nationale de la liquidité européenne.
La conclusion à laquelle nous venons d’aboutir provisoirement est que le gouvernement fédéral est l’unique centre de pouvoir auquel sera confié le contrôle du volume de la monnaie en circulation à l’intérieur de la Fédération européenne. Il nous reste maintenant à étudier comment ce volume donné de monnaie se répartira entre les divers Etats de la Fédération. A cette fin, il sera utile d’analyser les mécanismes qui entrent en jeu pour rééquilibrer la balance des paiements d’une région donnée d’un Etat (en l’occurrence d’une nation) lorsqu’elle présente un déséquilibre.[35] En fait, la Fédération européenne ne connaîtra plus les difficultés habituelles de balance des paiements, de même qu’elles n’existent plus entre les divers Etats des Etats-Unis d’Amérique. Comme nous l’avons déjà expliqué, le pouvoir en matière de contrôle des changes sera dévolu une fois pour toutes au gouvernement fédéral, et il est inconcevable que celui-ci ait à affronter les difficultés de balance des paiements par la perception de droits aux frontières des Etats membres ou par une modification des parités entre leurs monnaies (cette dernière mesure sera impossible du point de vue technique du jour où une monnaie européenne unique aura commencé à circuler).
Supposons maintenant que l’un des Etats de la Fédération doive faire face à un excédent d’importations par rapport à ses exportations, et voyons quels sont les mécanismes qui entreront en jeu pour remédier au déficit de sa balance des paiements.
Le premier mécanisme sera de nature purement financière. Le pays déficitaire devra céder une partie des activités financières qu’il avait accumulées au reste de la communauté, désormais excédentaire. Il ne rétablira donc pas l’équilibre dans sa balance commerciale mais transférera simplement une partie de ses activités financières (en monnaie ou en effets) au reste de la communauté, son déficit commercial sera donc compensé par cette cession de devises.
« Pour que ce système de mouvements financiers compensateurs fonctionne rapidement et de façon efficace, certaines conditions doivent toutefois être remplies. Premièrement, il faudra que le volume des activités financières soit relativement élevé dans la région en cause, deuxièmement, que la proportion des activités que peut être transférée en dehors de la région déficitaire soit assez forte, ce qui implique l’existence d’un marché financier organisé et intégré au niveau interrégional, enfin, que les préférences concernant la composition des portefeuilles soient de nature à inciter les personnes qui résident dans le reste de la communauté à acquérir précisément les activités financières que les entrepreneurs de la région déficitaire souhaitent vendre. S’il en est ainsi, le transfert des effets ne provoquera pas de fluctuations sensibles dans les prix ».[36]
Le deuxième mécanisme d’ajustement est constitué par les facteurs d’ordre économique qui influent sur la balance commerciale. Après avoir cédé une partie de ses activités, la région déficitaire deviendra plus pauvre et, dans la mesure où la propension à consommer dépend en partie de la richesse, les sommes consacrées à l’acquisition de biens de consommation et, partant, biens d’importation, iront en diminuant.
Ce processus d’ajustement pourra être accéléré dans les cas où les conditions nécessaires au parfait fonctionnement du premier mécanisme ne sont pas remplies. Si les effets ne sont pas entièrement transférables, leur prix tombera dans la (où il y aura un excédent d’offre) et montera dans le reste de la communauté (où il y aura un excédent de demande). En outre si la région transfère des liquidités pour couvrir le déficit sa balance commerciale, les liquidités de son système national subiront une contraction, qui aura pour corollaire inévitable une restriction du crédit. Dans l’un et l’autre de ces cas, le niveau du revenu et de l’emploi baissera, en raison de la hausse des taux d’intérêt, phénomène qui aura tendance à rétablir l’équilibre la balance commerciale par le biais de ses effets induits sur les importations. Ces imperfections auront donc pour résultat d’accélérer le processus d’ajustement, mais au prix de conséquences fâcheuses dans le domaine économique et social.[37]
Le troisième mécanisme capable de rééquilibrer la balance des paiements régionale (ou dans notre cas, nationale) ne pourra entrer en jeu que s’il existe un gouvernement européen, qui soumettra l’ensemble de la Fédération européenne à une base commune d’imposition (dans les domaines de son ressort) et qui fournira des services publics communs à l’ensemble de la Fédération (tels que, par exemple, les prestations de l’assurance-chômage) ; dans ce cas, la charge fiscale d’un pays donné diminuera proportionnellement à la baisse de son revenu, le contraire s’appliquant aux pays dont le revenu va en augmentant. Un pays obtiendra automatiquement une aide dès que ses relations avec le reste de la communauté commenceront à se détériorer ; alors que les impôts qu’il verse au gouvernement fédéral diminueront, les dépenses — en particulier dans le domaine social — que le pouvoir central consacre à ce pays augmenteront parallèlement. Ce mécanisme n’exige aucune décision d’ordre politique et fonctionne comme les stabilisateurs anticonjoncturels. Le versement des impôts au gouvernement fédéral joue un rôle analogue à celui des importations, alors que les dépenses sociales (par exemple, les prestations de l’assurance-chômage) jouent un rôle comparable à celui des exportations.[38]
Le quatrième et dernier mécanisme d’ajustement réside dans la mobilité des facteurs de production, notamment du travail. Le déplacement de la main-d’œuvre permettra de niveler les salaires dans les divers Etats de la Fédération. Les niveaux de la consommation tendront donc à être uniformes dans les différents pays. En outre, la possibilité de conclure des conventions collectives à l’échelon européen constituera déjà en soi un puissant facteur d’ajustement.[39] Quant au facteur de production « capital », ni l’analyse économique, ni l’expérience pratique ne permettent de formuler des indications sûres. La recherche d’un taux de profit maximal pourra, le cas échéant, canaliser le capital vers les pays qui offrent le revenu le plus élevé et dans lesquels les économies externes sont plus grandes, contribuant ainsi à aggraver ultérieurement le déséquilibre.[40] Dans d’autres cas, la mobilité du capital apportera une aide aux régions les plus pauvres, ainsi lorsque l’on adopte des mesures en vue d’encourager une diffusion rapide des innovations techniques et des connaissances en matière de gestion.
Ces quatre mécanismes, dont nous venons de donner une description très sommaire, sont tous automatiques, c’est-à-dire qu’ils n’exigent aucune intervention de la part des pouvoirs publics. Pour autant que certaines conditions soient remplies, ils fonctionnent exactement de la même manière entre les diverses régions d’un pays donné et entre les divers pays d’un Etat fédéral. Cependant, l’histoire du Federal Reserve System montre que dans un Etat fédéral, certains facteurs caractéristiques d’ordre institutionnel contribuent certes à rétablir l’équilibre de la balance des paiements d’un pays, mais qu’ils n’interviennent pas automatiquement.
Les études consacrées aux mouvements financiers qui se sont produits entre les divers districts du Federal Reserve System pendant les années comprises entre les deux guerres permettent de faire quelques observations intéressantes. Si l’on considère l’équilibre régional aux Etats-Unis, ces transactions entre les divers districts présentent un aspect intéressant : il s’agit du rapport qui existe, pour chaque district, entre les transferts des réserves interbancaires (transferts du Trésor [ou mouvements nets de fonds publics]) et les transit clearings [mouvements nets de capitaux privés]. Les districts qui ont gagné des fonds à la suite des opérations du Trésor en ont perdu dans les transit clearings et les régions qui ont perdu des réserves dans les opérations gouvernementales en ont gagné au moyen des transit clearings. Il en résulte qu’au bout d’un certain nombre d’années, l’accumulation nette ou la perte nette d’or dans chaque région devient égale à zéro, à l’exception des années au cours desquelles les réserves d’or sont modifiées dans l’ensemble du pays ».[41]
Il nous faut évidemment élucider la signification de cette corrélation qui ressort empiriquement des séries statistiques. Si nous nous limitons à chercher dans ces dernières le lien de causalité entre les transferts privés et les fonds publics, nous n’arriverons probablement jamais à des conclusions définitives. En réalité, dans certains cas, les transferts de fonds publics ont un effet stabilisateur et dans d’autres, un effet déstabilisateur.[42] Ce qu’il importe de noter, c’est que les autorités bancaires peuvent intervenir pour apporter une aide aux districts déficitaires ou pour soustraire des fonds aux districts excédentaires, mais qu’elles ne sont pas tenues de le faire. Cette intervention, qui est laissée à leur discrétion, peut aussi être due à des préoccupations autres que le simple souci de maintenir l’équilibre de la balance des paiements entre les divers districts.
Si l’on voulait créer un mécanisme institutionnel analogue dans la future Fédération européenne, il faudrait obliger les banques de l’un des Etats membres à déposer leurs réserves auprès de la banque centrale. De cette façon, chaque Etat aurait une banque centrale et il existerait ainsi pratiquement un système fédéral de réserve qui se traduirait par un organe bancaire suprême dépendant du gouvernement fédéral. Ce système ne serait pas très différent de celui qui existe actuellement dans la Communauté européenne ; simplement, chaque banque centrale serait subordonnée à une Banque fédérale européenne, laquelle serait responsable pour l’ensemble de la Fédération de la politique monétaire (et des rapports avec le reste du monde). Tout transfert de fonds d’un Etat fédéral à un autre entraînerait une diminution des réserves bancaires dans le premier et une augmentation dans le second (les réserves pourraient être constituées en grande partie par les effets du gouvernement fédéral).
La fonction essentielle du système fédéral des réserves consisterait à créer des institutions (les banques centrales nationales) responsables des paiements entre les Etats devant l’organisme bancaire fédéral. Il est évident que les banques centrales nationales auraient pour principale tâche d’essayer de maintenir l’équilibre entre les entrées et les sorties. Toutefois, dans certains cas, et notamment dans les Etats les plus pauvres qui ont le plus besoin de biens en provenance du reste de la Fédération, cette tâche se révélera parfois impossible. Les banques centrales nationales devront alors s’adresser aux autorités monétaires fédérales, comme le font aux Etats-Unis les banques de district. Si ces autorités refusaient de leur venir en aide, les mécanismes automatiques que nous avons décrits plus haut entreraient en jeu ; le prix des effets irait en diminuant, le taux d’intérêt augmenterait, le volume des réserves bancaires se réduirait (peut-être même quelques banques seraient-elles obligées de déposer leur bilan), le niveau du revenu et de l’emploi baisserait. Si cette situation était de caractère structurel, elle s’accompagnerait aussi de mouvements migratoires à destination de pays plus prospères.
A cet égard, l’histoire des Etats-Unis est instructive. « La dépression des années trente, qui fut à l’origine d’une forte baisse de tous les prix et de tous les revenus, provoqua dans l’agriculture une déflation plus grave que dans d’autres secteurs. Les transferts effectués de New York vers par le Trésor au cours de cette période ne furent que le reflet d’une politique anti-déflationniste destinée à aider le secteur agricole en difficulté. De ce fait, les régions agricoles des Etats-Unis eurent plus de chance, au cours de cette période, que les pays agricoles d’Amérique latine et des Balkans. Secondée par activités financières du Trésor, la politique du gouvernement favorisa la reconstitution des réserves et permit de maintenir la balance des paiements en équilibre et de sauvegarder un certain niveau de consommation. A défaut de ces transferts, la perte de réserves à laquelle les districts agricoles auraient dû se résoudre les aurait obligés de réduire sévèrement le pouvoir d’achat et les revenus en une période où le reste du pays subissait une forte pression déflationniste. En outre, cette baisse de revenu aurait suscité un exode des régions agricoles vers les régions industrielles dans lesquelles les revenus étaient plus élevés ».[43]
Il est très probable que le système fédéral européen de réserves fonctionnerait mieux encore que le Federal Reserve System. Celui-ci souffre d’un défaut intrinsèque, dû à des raisons d’ordre historique que nous avons exposées précédemment, en ce sens que les limites des districts monétaires ne coïncident avec celles des Etats, de sorte que les régions économiques ainsi créées ne coïncident pas avec les zones d’influence respective des gouvernements locaux. Dans la Fédération européenne au contraire, tout donne à penser que les anciennes banques centrales subsisteront à la tête du système bancaire national. Cette est essentielle. Lorsque la balance des paiements d’un Etat présentera un déficit structurel, il n’est pas dit que l’aide des autorités monétaires centrales sera automatiquement nécessaire. Certaines raisons interdiront peut-être de l’accorder (par exemple, afin d’éviter que le processus inflationniste ne s’aggrave au sein de la Fédération, ou bien pour faire contrepoids à la politique économique du gouvernement local) ou obligeront éventuellement à la différer, voire à la fournir sous une autre forme. Il est évident que ce genre d’appréciations ne peut être laissé au soin des institutions bancaires administratives, même si elles sont en réalité responsables devant le gouvernement fédéral (mais non devant les gouvernements locaux), comme c’est le cas aux Etats-Unis. Une balance des paiements qui présente un déficit structurel a, sur les conditions sociales et sur le bien-être de la population, des conséquences si graves qu’elles ne peuvent être appréciées qu’au niveau politique. Comme en Europe, les banques centrales nationales demeureront, sous une forme ou une autre,[44] responsables devant leur gouvernement national, les autorités politiques auront immédiatement leur mot à dire si une aide se révèle nécessaire. La solution des problèmes qui risquent de freiner ou d’arrêter le développement économique de nations tout entières dépendra donc davantage des rapports entre le gouvernement fédéral européen et les gouvernements des divers Etats que des rapports entre les banques.
 
5. — Conclusions.
Le rôle que les banques nationales auront à jouer dans la future Fédération européenne ressort assez clairement de cet exposé. Elles seront dépourvues de pouvoirs effectifs en ce qui concerne l’émission de monnaie et le contrôle du volume total du crédit ; seules les autorités fédérales seront investies de ces fonctions. On pourra tout au plus laisser aux banques centrales nationales quelque latitude dans des domaines tels que la création de banques nouvelles, la réglementation nationale du système bancaire, l’adoption de mesures discriminatoires en faveur de certaines industries locales, etc. Pour les hommes politiques, les banques centrales nationales auront la même utilité que les baromètres pour les météorologues ; elles indiqueront la pression ou la dépression dans une région économique européenne donnée. Cela n’empêche que dans son ensemble, le système fédéral européen de réserves sera un instrument précieux pour une programmation européenne bien articulée. Il signalera rapidement et efficacement aux autorités politiques toutes les situations de développement anormal et leur permettra ainsi d’intervenir en vue d’éviter l’apparition de déséquilibres économiques et sociaux entre les pays de la Fédération.
Sur la base de ces considérations, il semble permis de présumer qu’un système bancaire établi à plusieurs niveaux offrirait au gouvernement européen un moyen de faire face aux problèmes des déséquilibres régionaux qui se poseront sans doute inévitablement dans une aire économique aussi vaste que celle que formera la future Fédération européenne. L’exemple désastreux des disparités régionales qui existent à l’heure actuelle dans les Etats-nations d’Europe devrait servir d’avertissement à tous ceux qui croient qu’il est possible d’adapter tout simplement à l’Europe les vieilles institutions centralisées des Etats nationaux.
C’est pourquoi, arrivés à ce stade de notre étude, nous tenons à mettre en évidence que l’organisation politique doit avoir la priorité sur l’organisation économique. Il y a une différence très nette entre la politique régionale poursuivie par un Etat dépourvu de véritables gouvernements locaux et celle qu’applique un Etat fédéral. Dans les Etats centralisés, les problèmes régionaux sont en principe abordés par l’intermédiaire d’institutions administratives créées à cette fin et qui dépendent directement du gouvernement. Même dans le domaine limité du système bancaire que nous examinons ici, un expédient de cet ordre serait tout à fait inadéquat. En réalité, seule l’autonomie du gouvernement local à l’égard du gouvernement central est en mesure de garantir le bon fonctionnement d’un système régional de réserves ; un mécanisme bancaire décentralisé conçu en dehors d’un Etat fédéral n’aurait aucun sens. (C’est là une erreur dont souffrent malheureusement nombre d’ouvrages économiques actuels qui traitent des problèmes du développement régional et de la programmation régionale.)
Pour terminer, il convient de signaler que l’analyse ci-dessus soulève une difficulté. Nous avons dit que le transfert de fonds en faveur d’un Etat qui a besoin d’une aide dépendait essentiellement des rapports existants entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux. Or, cette aide peut revêtir des formes diverses ; elle peut consister simplement en fonds rassemblés sur le marché financier et confiés au gouvernement en difficulté, ou bien en investissements effectués par le gouvernement fédéral dans la région en cause, ou encore, en simples subventions du gouvernement fédéral au gouvernement local. L’histoire des Etats-Unis montre que les grants font de plus en plus partie des pratiques du gouvernement fédéral. Cependant, cet usage risque de compromettre le bon fonctionnement de l’Etat fédéral, car l’octroi de ces subventions dépend de la bonne volonté du gouvernement central, allant ainsi à l’encontre du principe même du fédéralisme, en vertu duquel tous les pouvoirs doivent être sur un pied d’égalité, indépendants et coordonnés entre eux. Dans la pratique, on a vu qu’aux Etats-Unis cette politique de subventions avait parfois été utilisée pour contraindre les Etats à accepter des impositions du gouvernement fédéral, même lorsque celles-ci étaient contraires à la constitution.[45]
Dans la future Fédération européenne, le système fédéral de gouvernement pourrait fort bien dégénérer de la même façon.[46] A l’heure actuelle, il est indispensable de créer une monnaie européenne et une institution bancaire européenne, du fait qu’il existe déjà un marché des capitaux qui fonctionne à l’échelle européenne. Il est donc concevable qu’en plus des pouvoirs de fait qu’il détiendra dans le domaine de la politique monétaire, le gouvernement central sera également doté de nombreux pouvoirs dans celui de la politique fiscale. Il est certain que les recettes douanières lui reviendront. En outre, la nécessité d’instaurer un système d’imposition uniforme au niveau européen (pour certains types d’impôts, notamment les impôts indirects) contribuera à elle seule à augmenter sensiblement les pouvoirs du gouvernement fédéral par rapport à ceux des gouvernements locaux.
Toutefois, cette tendance n’est pas irréversible. On ne saurait oublier la maxime de Hamilton, suivant laquelle « sans recettes assurées, un gouvernement ne peut détenir aucun pouvoir » (encore qu’à l’origine, il l’ait énoncée pour montrer qu’il fallait renforcer les pouvoirs du gouvernement central face aux pouvoirs locaux et aujourd’hui, la situation soit diamétralement opposée). Au cours de ces dernières années, la politique monétaire est devenue un instrument puissant entre les mains des gouvernements, que ce soit pour rassembler des fonds ou pour intervenir dans le domaine économique. C’est pourquoi il faut laisser aux gouvernements locaux le plus grand contrôle possible sur la politique fiscale, en veillant évidemment à ce qu’il soit compatible avec les exigences du gouvernement fédéral afin de sauvegarder le principe fédéraliste de la division des pouvoirs.
En effet, tout donne à penser que la future Fédération européenne se prêtera à la création d’un système fiscal beaucoup plus décentralisé qu’aux Etats-Unis, pays où le gouvernement été pratiquement obligé de soustraire certaines compétences aux Etats membres en raison des circonstances particulières qui ont présidé à son développement économique et à l’unification du marché américain. Il suffit de rappeler, à titre d’exemple, les problèmes qu’a soulevés la réglementation du marché du travail et de la sécurité sociale. Lorsque ces difficultés sont apparues à l’horizon social et politique vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe, la seule issue consistait à en confier la solution au gouvernement central. En effet, les Etats membres étaient placés dans une situation qui les obligeait à opérer sur un marché continental en se faisant réciproquement concurrence ; par conséquent, si l’un d’entre eux avait réglementé le marché, il aurait uniquement encouragé la fuite de ses capitaux vers d’autres Etats, e si l’un d’entre eux avait adopté un système de sécurité sociale, celui-ci aurait eu pour unique effet d’attirer la main-d’œuvre des Etats qui n’avaient pas encore institué ce système.
A l’heure actuelle, la situation est entièrement différente en Europe. Aussi bien la réglementation du marché du travail que la sécurité sociale font désormais partie des conquêtes définitivement assurées dans tous les pays d’Europe. Il est donc permis de supposer que dans la future Fédération européenne, ces attributions demeureront en principe du ressort des Etats membres, qui conserveront donc les pouvoirs correspondants en matière de réglementation et d’imposition.
Ces réflexions ne signifient évidemment pas qu’il faudra renoncer à instaurer une certaine uniformité de traitement sur l’ensemble du territoire de la Fédération européenne, uniformité qui répond à une exigence impérieuse. En effet, la thèse suivant laquelle les conditions que Dunlop offrira à ses travailleurs devront être à peu près identiques à celles que Pirelli offrira aux siens repose sur des raisons solidement fondées. De ce fait, dans la future Fédération européenne aussi, une grande partie des compétences relatives à la réglementation du marché du travail sera inévitablement dévolue au gouvernement central ; ce sera là l’unique garantie dont disposeront les syndicats européens que des normes uniformes seront appliquées aux travailleurs de Pirelli et de Dunlop, pour reprendre notre exemple. Certains pouvoirs devront donc être transférés au gouvernement central. Toutefois, ce besoin d’uniformité ne dépassera pas certaines limites. C’est ainsi qu’il est parfaitement concevable que les mutuelles, l’assurance-vieillesse etc. demeureront entre les mains des Etats membres, qui garderont ainsi une certaine indépendance financière (alors qu’aux Etats-Unis, l’assurance-vieillesse est entièrement réglementée par le gouvernement central). En outre — et c’est là un point important — le gouvernement central n’aura plus beaucoup de raisons de centraliser davantage les ressources financières européennes.
Quoi qu’il en soit, nous ne saurions conclure sans rappeler que tant que l’on n’aura pas procédé à une étude plus générale des pouvoirs qui seront dévolus au gouvernement fédéral, en particulier dans le domaine de la politique économique, on ne pourra définir de façon plus précise l’efficacité dont sera doté le fonctionnement du système bancaire de la future Fédération européenne. Toutefois, cette investigation dépasserait les limites que nous nous sommes fixées dans le présent essai.


[1] K.C. Wheare, Federal Government, Oxford University Press, 4e édit., p. 2.
[2] A ce propos, l’essai XXXI de Hamilton du Federalist (édit. Everyman) est fondamental.
[3] Ce problème est devenu particulièrement aigu après la fin de la première guerre mondiale, du fait que le gouvernement fédéral a limité de plus en plus l’autonomie financière des Etats membres.
Il existe de nombreux ouvrages à ce sujet. Cf. par exemple K.C. Wheare, op. cit., chap. V, et A.H. Birch, Federalism, Finance and Social Legislation, Oxford, Claredon Press, 1955.
[4] Art. Ier, section 8.
[5] Art. Ier, section 10.
[6] H. Van Buren Cleveland et Herbert J. Spiro, « Poteri federali sulla valuta, banche, credito e scambi con l’estero » dans Studi sul federalismo, publié par R. Bowie et C. Friedrich, édit. Comunità, 1959, p. 490.
[7] D.R. Dewey, Financial History of the United States, New York, 1968, (réimpression de la 12e édition), pp. 28-30.
[8] En 1780, toujours en vue de trouver les fonds nécessaires à l’armée, Robert Morris créa la Bank of Pennsylvania dont il donna la définition suivante : « elle n’est rien de plus qu’une souscription patriotique de l’argent du continent en vue d’acheter des vivres pour une armée affamée ». Cité dans D.R. Dewey, op. cit., p. 55.
[9] S.E. Morison et R.S. Commager, The Growth of the America Republic, New York, 1950. Trad. it. Storia degli Stati Uniti d’America, La Nuova Italia, 1962, pp. 374-375.
[10] Alexander Hamilton, Papers on Public Credit, Commerce and Finance, publié par S. McKee, Columbia University Press, New York, 1934, pp. 54-55.
[11] A. Hamilton, op. cit., p. 57.
[12] A. Hamilton, op. cit., p. 58.
[13] A. Hamilton, op. cit., p. 81.
[14] Lucio Levi, Alexander Hamilton e il federalismo americano, Giappichelli, Turin, 1965.
[15] B. Hammond, Banks and Politics in America from the Revolution to the Civil War, Princeton, 1957, pp. 118-119.
[16] « …la banque était considérée comme une institution politique non démocratique ou comme une institution utile pour centraliser les énergies d’un gouvernement faible. Le projet de loi relatif au renouvellement de l’autorisation fut finalement rejeté par le Sénat le 20 février 1811 ; la voix du vice-président George Clinton joua un rôle décisif à cet égard. Le gouvernement fut ainsi obligé de confier ses fonds à des banques locales » (D.R. Dewey, op. cit., p. 127).
[17] « A contrecœur, le parti agraire, qui détenait la majorité dans le gouvernement et qui avait toujours été hostile au principe d’une banque nationale, recommanda la création d’une deuxième banque dotée de pouvoirs plus étendus que la première » (P. Studensky et H.E. Kroos, Financial History of the United States, New York, 1952, p. 83).
[18] P. Studensky et H.E. Kroos, op. cit., p. 85.
[19] Morison et Commager, op. cit., vol. Ier, p. 673.
[20] Les quelques renseignements suivants donnent un aperçu de l’anarchie économique qui régna au cours de cette période : « On peut classer les billets des banques d’Etat de cette période en quatre catégories : (1) les billets de banque authentiques émis par des banques encore en activité ; (2) les billets de banque authentiques émis par des banques qui avaient fait faillite ; (3) les billets de banque authentiques dont la valeur nominale avait été relevée, enfin, (4) les faux billets de banque. La valeur des billets authentiques émis par des banques encore en activité variait grandement ; vers 1860, ils étaient émis par quelque 1600 banques soumises aux lois extrêmement divergentes d’une trentaine d’Etats… Le Bank Note Reporter contenait 5.400 descriptions de monnaies fausses, altérées ou falsifiées. Les différents faux billets de la Bank of Delaware étaient nombre de 30 ». (L.V. Chandler, The Economics of Money and Banking, New York, 1969, pp. 88-89).
[21] « Bien que les billets de banque émis par les d’Etat fussent désormais sûrs, il n’était pas possible d’en varier la à long terme en cas de besoin, ou en réponse aux variations de la demande, ou encore pendant les périodes de crise… ces billets de banque pouvaient être émis uniquement sur la base des effets fédéraux, leur montant étant limité à 90% de la valeur nominale ou de la valeur du marché (selon celle des deux qui était la plus basse) des effets déposés après du Comptroller. L’offre nationale de billets de banque dépendait donc du marché des effets publics… Les adversaires de ce système d’émission fondé sur le marché des effets publics faisaient valoir qu’il ne pourrait jamais doter la monnaie en circulation de la souplesse nécessaire aux activités commerciales. Le volume de ces billets de banque variait, mais pas tojours en fonction des besoins de l’économie » (L.V. Cahndler, op. cit., p. 94).
[22] Le cas de la Standard Oil peut être cité à titre d’exemple : « En 1892, la Cour suprême de l’Ohio ordonna la dissolution de ce trust, qui se réorganisa toutefois quelques années plus tard sous l’aile de la législation plus indulgente de l’Etat de New Jersey » (Morison et Commager, op. cit., vol. II, p. 189).
[23] Morison et Commager, op. cit., vol. II, chap. XVI.
[24] Cf. Arnaldo Mauri, La struttura del sistema della riserva federale degli Stati Uniti d’America, Giuffré, Milan, 1960, pp. 112-113.
[25] Morison et Commager, op. cit.,. vol. II, p. 593.
[26] A. Mauri, op. cit., pp. 126-127.
[27] « La guerre bouleversa aussi le système bancaire américain. La banque centrale nouvellement créé que représentait le Federal Reserve System ne put évoluer progressivement, mais fut immédiatement plongée dans une situation extrêmement difficile qui la priva de toutes les possibilités qu’elle aurait peut-être eues d’acquérir son indépendance politique et économique. Sa gestion étant entièrement soumise aux exigences dictées par le financement de la guerre, elle se transforma en simple succursale du Trésor. C’est ainsi que le principe jacksonien de la séparation entre le gouvernement et la l’administration des banques, qui ressort de certains aspects du Federal Reserve Act, fut irrémédiablement écrasé » (Studensky et Kroos, op. cit., p. 281).
[28] « En fait, les courants historiques qui ont concentré le pouvoir entre les mains du gouvernement central ont été au nombre de deux. Le courant de la politique internationale qui a transformé l’‘ile’ américaine en un des deux pôles politico-militaires de l’équilibre mondial ; et la courant di l’économie industrielle moderne qui a fait pencher l’axe de l’équilibre social des Etats fédérés vers le gouvernement central » (M. Albertini et F. Rossolillo, « La décadence du fédéralisme aux Etats-Unis », dans Le Fédéraliste, vol. IV, n° 3, 1962, p. 245).
[29] La réalisation d’une union économique et monétaire envisagée par les institutions des Communautés européennes est décrite dans le « plan Werner » (C.E.E., « Rapport au Conseil et à la Commission sur la réalisation par étapes de l’union économique et monétaire dans la Communauté », supplément au Bulletin des C.E., n° 11/1970).
[30] L’autre instrument indispensable au rassemblement des fonds nécessaires au gouvernement central est évidemment l’imposition, que nous n’étudierons pas ici.
[31] Pour illustrer cette situation, supposons que le gouvernement central émette des titres dans un nombre de valeurs nominales égal à celui des monnaies en circulation.
[32] C’est la conclusion à laquelle aboutit également T. Scitovsky, Economic Theory and Western European Integration, Londres, 1958, p. 99.
[33] Cette situation est analogue à celle que J.C. Ingram a étudiée à Porto Rico, dont le marché monétaire est désormais étroitement intégré dans celui des Etats-Unis : « …le gouvernement du Commonwealth ne peut rien faire, ou pas grand-chose, pour agir sur la structure des taux dont sont assortis les effets négociés sur le marché intégré des capitaux. Il doit accepter les prix fixés pour les taux d’intérêt, étant donné la nature des effets. C’est de ce point de vue qu’il a réellement son autonomie » (J.C. Ingram, « Some Implications of Puerto Rican Experience » dans International Finance, publié par R.N. Cooper, Penguin, 1969, p. 90).
[34] Dans les ouvrages économiques courants, les divers territoires, réunis en un seul système politique sont désignés sous le terme de « régions ».
[35] Le mécanisme d’ajustement des balances régionales des paiements que nous décrivons ici est analysé systématiquement dans T. Scitovsky, Money and the Balance of Payments, Londres, Allen and Unwin, 1969, chap. 8 à 12.
Pour un exposé plus synthétique de ce mécanisme, cf. A. Lamfalussy, « Le système des taux de change et l’avenir de la C.E.E. » dans Revue d’économie politique (1970) ; et E. Gerelli et A. Majocchi, Politica fiscale e meccanismi di aggiustamento della bilancia dei pagamenti, CEDAM, Padoue 1971.
[36] E. Gerelli et A. Majocchi, op. cit., p. 656 et J.C. Ingram « State and Regional Payments Mechanisms », dans Quaterly Journal of Economics, (1959), pp. 619-632.
[37] A. Lamfalussy, op. cit., p. 656.
[38] A. Lamfalussy, op. cit., p. 656 et N. Kaldor, « The Case for Regional Policy » dans Scottish Journal of Political Economy (novembre 1970), p. 345.
Comme nous le montrerons dans nos conclusions, ce mécanisme d’ajustement semble moins efficace dans un Etat fédéral que dans un Etat centralisé.
[39] N. Kaldor, op. cit., p. 345.
[40] T. Scitovsky, op. cit., pp. 94 et 102.
[41] P. Hartland, « Interregional Payments compared with International Payments » dans The Quarterly Journal of Economics (1949), p. 400.
[42] Par exemple, Marina von Neumann Whitmann (« International and Interregional Payments Adjustment », dans Princeton Studies in International Finance, n° 19, 1967) critique Mme Hartland sur la base de considérations analogues.
Dans sa réponse (Quarterly of Journal of Economics, 1960, pp. 648-652) à R.L. Pfister (« State and Regional Payments Mechanism ; Comment » dans Quarterly Journal of Economics, 1960, pp. 641-648), Ingram déclare : « Ceux qui ont essayé d’analyser les chiffres du Fonds pour les règlements entre les districts, ont avancé l’hypothèse suivant laquelle les transferts du Trésor seraient autonomes, les transferts commerciaux et financiers étant les éléments de compensation de ces mouvements régionaux » (pp. 651-652). Comme ces arguments ne permettent pas à Ingram de découvrir le rôle indépendant des autorités publiques qui peuvent ou ne peuvent pas intervenir pour rééquilibrer une balance régionale des paiements, il aboutit à une conclusion qui était prévue dès le départ : «Dans ces conditions, le problème ne peut être résolu, mais je ne vois aucune raison évidente et positive qui permette de conclure qu’un gouvernement central en Europe est une condition indispensable au bon fonctionnement du mécanisme des ajustements régionaux» (p. 652).
[43] P. Hartland, op. cit., pp. 405-406.
[44] Il est vrai qu’en dernière instance, elles devraient rendre compte de leur administration à la banque fédérale, mais on pourrait prévoir un système en vertu duquel les directeurs seraient nommés par les gouvernements locaux afin de renforcer le lien qui unit la banque nationale centrale au gouvernement local.
[45] Par exemple, Wheare cite le cas du New Deal dans lequel le gouvernement parvint à imposer une réglementation de l’agriculture : « Aux Etats-Unis, l’agriculture est un domaine qui relève de la compétence des Etats. A défaut de l’initiative du gouvernement central, les Etats n’auraient pas été en mesure de réaliser isolément un plan pour remédier à la dépression de l’activité agricole à laquelle ils devaient faire face. Le gouvernement central offrit des subventions assorties de certaines conditions aux Etats, qui s’empressèrent de les accepter » (Wheare, op. cit., p. 113).
[46] Dans les considérations qui suivent, nous faisons naturellement abstraction des facteurs centripètes qui pourraient éventuellement résulter des exigences de la politique étrangère.

 

 

 

 

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