XVI année, 1974, Numéro unique, Page 71
Les mécanismes d’ajustement de
la balance régionale des paiements
dans un système fédéral : l’exemple des Etats-Unis
DOMENICO MORO
Dans la présente étude, nous nous proposons de décrire les mécanismes du marché et les mécanismes institutionnels qui garantissent l’équilibre des entrées et des sorties entre les Etats qui composent les Etats-Unis d’Amérique, sans pour autant empêcher la politique économique d’atteindre les objectifs qui lui sont assignés, tels que le relèvement du niveau du revenu et de l’emploi et obtention d’un taux de croissance satisfaisant à l’échelon régional.
Nous avons divisé notre analyse en deux parties : dans la première, nous montrerons comment l’intégration économique et financière américaine facilite les mouvements de capitaux entre les « Etats-régions » des Etats-Unis d’Amérique et nous décrirons le rôle qu’elle joue à cet égard, alors que dans la deuxième partie, nous mettrons en évidence le rôle objectif que les opérations du Trésor fédéral ont joué et continuent de jouer dans le maintien de l’équilibre des mouvements des paiements entre les du Système de la Réserve fédérale.
I
1. — Pour simplifier l’exposé auquel est consacré la première partie, nous l’illustrerons par un exemple. Admettons que l’équilibre de la balance des paiements de la Caroline du Nord ait été modifié et voyons comment cet Etat la rééquilibrera à autres Etats.
Compte tenu du cadre institutionnel dans lequel s’insère l’Etat dont nous étudions le processus d’ajustement de la balance des paiements, il convient de partir des postulats suivants :[1] a) Entre les Etats américains, les taux de change sont fixes et égaux à l’unité ; il n’existe pas de contrôle des changes et la convertibilité est libre. b) L’offre de monnaie est du ressort du système de la Réserve fédérale et du Trésor. Elle échappe donc au contrôle des Etats, sur le territoire desquels elle varie en fonction de la situation de leurs balances des paiements respectives. c) Il n’est pas possible de recourir à la politique commerciale comme instrument d’ajustement de la balance les paiements. Les barrières qui peuvent éventuellement exister entre les diverses régions des Etats-Unis ne se prêtent pas à des manipulations destinées à agir sur le transactions interrégionales. d) Etant donné que les prix des marchandises produites par la Caroline du Nord sont fixés sur le marché « mondial », dont la Caroline du Nord ne couvre qu’une fraction infime, ces prix ne peuvent être influencés par la demande et l’offre de la Caroline du Nord. La demande et l’offre de ces biens sont parfaitement élastiques.
2. — Nous examinerons maintenant comment, dans le cadre de ces postulats, l’équilibre extérieur sera automatiquement rétabli, lorsque ce dernier a été modifié à la suite d’investissements réels effectués dans cette région.
Il convient de noter avant tout que les possibilités de réalisation des investissements prévus diffèreront selon que ceux qui ont pris l’initiative d’investir sont des industriels de la Caroline du Nord ou des industriels d’autres Etats. Dans le premier cas, si le financement des investissements est assuré par l’émission d’effets sur le marché financier américain, ceux-ci devront pouvoir rivaliser avec les autres effets avec lesquels ils se trouveront en concurrence, et les épargnants américains devront être disposés à investir dans les effets de la Caroline du Nord. Si, en revanche, les effets émis sont vendus sur le marché financier intérieur, l’investissement n’aura de chances d’être financé que si les citoyens de la Caroline du Nord ont accumulé par le passé une épargne suffisante sous forme de dépôts bancaires ou de titres et s’ils jugent opportun de redistribuer leur épargne en faveur des effets de la Caroline du Nord, ou bien si, en raison de la pression exercée sur lui, le cours des effets émis baisse dans des proportions telles qu’il attirera des fonds des autres Etats. D’autre part, il est permis de supposer que si les effets ne sont négociables que sur le marché local, la pression qui s’exercera sur les taux d’intérêt intérieurs sera d’autant plus forte que le volume des effets émis pour financer les investissements sera élevé et que le montant de l’épargne intérieur sera faible. Dans ces circonstances, l’investissement pourrait se révéler extrêmement onéreux.
Le deuxième cas est différent, du fait que la décision des industriels « étrangers » d’investir dans la région dépend seulement des possibilités qui s’offrent à eux de réaliser des profits suffisants, tandis que pour notre analyse la manière dont les capitaux sont tirés du le marché mondial est indifférente.
3. — Supposons que ce soient les industriels américains qui prennent l’initiative d’investir dans l’Etat de la Caroline du Nord et voyons les conséquences qui en résulteront pour la balance des paiements.
Le financement des investissements entraîne un apport de capitaux et, par conséquent, un excédent dans la balance de payements, à condition qu’elle ait été en équilibre au départ. Une partie des fonds serviront à importer des biens d’équipement et à financer la demande, en Caroline du Nord, des biens et des services nécessaires à la construction des usines. D’ans la mesure où cette demande porte aussi sur des biens dont l’offre est rigide, et qui ne peuvent être importés parce qu’ils ne font pas partie des échanges entre la Caroline du Nord et les autres Etats américains, les prix de ces biens subiront une hausse. En outre, la production de la Caroline du Nord augmentera et partant, le revenu habitants de cet Etat. Dans l’ensemble, étant donné que les prix des biens qui entrent dans les échanges avec « l’étranger » sont fixés sur le marché américain et qu’ils ne peuvent être influencés par l’évolution de la situation économique intérieure de l’Etat, le revenu réel ira, lui aussi, en augmentant.
L’augmentation du revenu et de l’emploi conduira à un accroissement de l’épargne, pour autant que les consommateurs ne modifieront pas, tout au moins à court terme, leurs habitudes en matière de dépenses. Des fonds seront ainsi disponibles pour l’investissement. Les épargnants pourront les consacrer à l’achat de titres ou bien les utiliser pour augmenter leurs dépôts bancaires. L’achat de titres provoque une diminution des taux d’intérêt en Caroline du Nord et une sortie de capitaux qui contrebalance l’augmentation des fonds destinés au financement des investissements. L’expansion des dépôts bancaires et, par voie de conséquence, des réserves bancaires, peut avoir les mêmes conséquences si les banques estiment que cet accroissement des liquidités est temporaire et qu’il est opportun de les utiliser pour acheter des effets financiers à court terme sur le marché financier américain.
A mesure que la réalisation des investissements se poursuivra et que ceux-ci exerceront leur effet multiplicateur sur le revenu et l’emploi, les consommateurs seront incités à augmenter leurs dépenses courantes. Cependant, comme la Caroline du Nord est étroitement intégrée dans l’économie des autres régions, une part très élevée du revenu dépensé sera absorbée par les importations, de sorte que la balance commerciale de cet Etat commencera à se détériorer. On ne saurait non plus oublier que toute expansion de la demande intérieure a aussi pour corollaire une expansion du marché intérieur pour les entreprises de cet Etat qui travaillent essentiellement pour l’exportation. Il en résulte que la détérioration de la balance des paiements s’aggravera non seulement en raison du montant plus élevé des dépenses d’importation, mais aussi en raison du déclin des exportations.
Comment ces importations induites seront-elles financées ? Si les dépenses courantes des consommateurs ont tendance à être supérieures aux recettes courantes, la demande excédentaire sera financée au moyen d’une réduction de l’épargne accumulée précédemment sous la forme de titres ou de dépôts bancaires. La vente de titres provoquera un mouvement de fonds opposé à celui qu’avaient suscité les importations ; la diminution de dépôts bancaires conduira à un résultat analogue du fait qu’elle exercera sur les taux d’intérêt bancaires une pression qui incitera les banques à revendre les effets à court terme qu’elles avaient accumulés.
Supposons que les prélèvements effectués sur les dépôts bancaires se fassent au moyen de l’émission de chèques qui sont remis en contrepartie des importations. La banque qui reçoit le chèque le porte au crédit du compte de son client et envoie le titre de créance à la banque centrale du district. Si les banques qui participent à l’opération se trouvent dans des régions différentes mais relèvent toutes du même district de réserve fédérale, la banque centrale porte le chèque au crédit des réserves de la banque créancière en déduisant le montant correspondant des réserves de la banque débitrice. Le chèque est ensuite envoyé de la banque centrale à la banque à l’ordre de laquelle il avait été émis. Cet amenuisement des réserves incitera les banques à vendre les effets financiers qu’elles avaient accumulés précédemment ou à contracter des emprunts. Il en résultera un afflux de fonds dans la région et une augmentation des réserves bancaires. Un processus analogue, mais en sens opposé, se produira dans les régions dans lesquelles les banques assistent à une augmentation de leurs réserves, qu’elles utiliseront pour acheter des effets ou pour accorder des emprunts. Au niveau du district, les réserves bancaires demeurent inchangées.
4. — Les opérations de compensation des chèques qui s’effectuent entre plusieurs districts fédéraux sont différentes.[2]
Supposons que Jones (débiteur qui relève du district la banque fédérale de Richmond) émet un chèque à l’ordre d’une banque commerciale de la Caroline du Nord pour le compte de Smith (créancier qui relève du district de la banque de la Réserve fédérale de Boston). Smith dépose le chèque auprès de la banque de Hartford (dans le district de Boston), laquelle le porte au crédit du compte de son client, puis envoie le chèque à la banque de la Réserve fédérale de Boston. Celle-ci, après avoir porté le montant du chèque au crédit des réserves de la banque de Hartford, envoie le chèque à la banque de la Réserve fédérale de Richmond. Les opérations effectuées dans ce nouveau district sont opposées aux précédentes : avant que la banque fédérale de Richmond envoie le chèque à la banque commerciale de la Caroline du Nord, elle débite cette dernière du montant du chèque en le déduisant de ses réserves. De son côté, la banque commerciale se rembourse sur le dépôt que Jones a auprès d’elle. A ce stade, Jones et la banque commerciale ont payé, et Smith et la banque de Hartford ont été payés. Il nous reste à voir comment la banque fédérale de Richmond soldera le montant du chèque à la banque fédérale de Boston. Il n’y aura aucun mouvement de fonds : le montant du chèque sera porté au crédit de la banque fédérale de Boston au moyen d’une écriture sur les livres de l’Interdistrict Settlement Fund qui relève du conseil des gouverneurs à Washington.
Que se passerait-t-il si le déficit de la Caroline du Nord atteignait des proportions telles qu’il mette en danger les réserves de la banque centrale du district dont relève cet Etat ? D’ans un système bancaire centralisé comme celui des Etats-Unis, les banques centrales des districts fédéraux sont en mesure de redistribuer les effets financiers qu’elles possèdent de manière à satisfaire les besoins financiers des districts déficitaires.[3] Par exemple la banque centrale du district de New York pourrait acheter les bonds du gouvernement fédéral possédés par la banque centrale du district de Chicago et faire affluer des capitaux à Chicago.
5. — Jusqu’à présent, nous avons décrit les mécanismes du marché qui garantissent à court terme l’équilibre des paiements entre les Etats des Etats-Unis. Cet exposé donne à penser qu’entre les régions d’un système économique caractérisé par des taux de change fixes, la libre convertibilité, un marché de capitaux intégré et un stock important d’effets parfaitement transférables, il se produit, entre la balance commerciale et les mouvements de capitaux, un mouvement compensatoire de fonds qui tend à maintenir la balance interrégionale des paiements en équilibre. Les statistiques relatives à la balance des paiements du district de la Nouvelle-Angleterre en fournissent un exemple (Voir le tableau n. 1 à la page 77).
Tableau I*
BALANCE DES PAYEMENTS INTERREGIONAUX DE LA NOUVELLE-ANGLETERRE
(en million de dollars)
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1929
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1931
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1933
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1935
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1937
|
1939
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Compte courant :
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Echanges de marchandises
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–1.032,1
|
– 909,9
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– 871,3
|
–1.121,1
|
–1.329,8
|
–1.122,2
|
Frets de transports de marchandises
|
– 217,1
|
– 164,8
|
– 130,2
|
– 141,9
|
– 166,8
|
– 184,4
|
Total de la balance commerciale
|
–1.249,2
|
–1.074,7
|
–1.001,5
|
–1.236,0
|
–1496,6
|
–1.306,6
|
Loisirs
|
+ 136,2
|
+ 52,4
|
– 11,0
|
+ 60,7
|
+ 135,7
|
+ 95,8
|
Transports de voyageurs
|
– 4,8
|
– 3,5
|
– 2,0
|
– 1,6
|
– 2,3
|
– 2,5
|
Total du compte des voyageurs
|
+ 131,4
|
+ 48,9
|
– 13,0
|
+ 59,1
|
+ 133,4
|
+ 93,3
|
Assurances
|
+ 196,1
|
+ 160,8
|
+ 75,4
|
+ 260,1
|
+ 310,0
|
+ 297,1
|
Enseignement
|
+ 13,6
|
+ 11,8
|
+ 10, 4
|
+ 9,4
|
+ 10,5
|
+ 9,9
|
Intérêts, dividendes, loyers nets et redevances
|
+ 239,0
|
+ 609,0
|
+ 482,0
|
+ 493,0
|
+ 555,0
|
+ 502,0
|
Compte courant à l’exclusion de l balance commerciale
|
+ 580,1
|
+ 830,5
|
+ 554,8
|
+ 822,1
|
+1.008,9
|
+ 902,3
|
Solde net courant
|
– 669,1
|
– 244,2
|
– 446,7
|
– 440,9
|
– 487,7
|
– 404,3
|
Or et devises :
|
|
|
|
|
|
|
Billets de banque de la Réserve fédérale
|
+ 14,0
|
+ 13,9
|
+ 16,4
|
+ 11,5
|
+ 14,1
|
+ 12,0
|
Entrées résultant des transactions commerciales et financières
|
– 25,2
|
– 145,7
|
– 182,6
|
– 193,0
|
– 177,9
|
– 292,6
|
Mouvement brut d’or
|
– 81,2
|
– 131,8
|
– 166,2
|
– 181,5
|
– 163,8
|
– 280,6
|
Sorties d’or pour compte publique
|
+ 49,7
|
+ 129,2
|
+ 171,3
|
+ 85,5
|
+ 214,0
|
+ 80,0
|
Mouvement net d’or
|
– 31,5
|
– 2,6
|
+ 5,1
|
– 96,0
|
+ 50,2
|
– 200.6
|
Compte des opérations en capital et solde résiduel :
|
|
|
|
|
|
|
Dépôts interbancaires
|
+ 18,1
|
– 46,2
|
– 14,2
|
– 36,1
|
– 2,1
|
– 15,0
|
Compte extérieur de la Réserve fédérale
|
– 0,1
|
+ 4,7
|
– 1,3
|
+ 0,7
|
+ 5,3
|
+ 14,9
|
Transferts du Trésor
|
– 49,7
|
– 129,2
|
– 171,3
|
– 85,5
|
– 214,0
|
– 80,0
|
Mouvement brut des opérations en capital et solde résiduel
|
+ 732,3
|
+ 417,8
|
+ 628,4
|
+ 657,8
|
+ 648,3
|
+ 685,0
|
Compte en capital net et solde résiduel
|
+ 700,6
|
+ 246,8
|
+ 441,6
|
+ 536,9
|
+ 437,5
|
+ 604,9
|
Le signe « plus » indique une exportation nette, le signe « moins » une importation nette. Pour éviter toute confusion, il convient de préciser qu’un signe « plus » ou « moins » indique la direction du mouvement de fonds qui résulte d’une transaction donnée. C’est ainsi qu’un signe « plus » indique que les fonds entrent en Nouvelle-Angleterre (à la suite de transactions dans les assurances, par exemple, ou de mouvements de capitaux), alors que le signe « moins » indiquent que les fonds sortent de la région (pour payer les importations de marchandises et en général aussi pour payer des importations d’or). Une « importation » de capitaux (par exemple, les prêts davantage que les emprunts) sera donc indiqué par le signe « plus » puisqu’elle consiste en une entrée de fonds à la suite de transactions en capital. Inversement, une « exportation » de capitaux implique un volume excessif d’emprunts qui provoque une sortie de fonds ; par conséquent elle sera indiquée par le signe « moins ».
*Source : E.E. Harris, International and Interregional Economics, op. cit.
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6. — Dans toute communauté constituée sous la forme d’un Etat, les agents économiques disposent au moins d’un effet financier parfaitement transférable : la monnaie. Chacun accepte la monnaie comme instrument de paiement de ses créances à l’égard d’autrui et comme moyen d’échange contre des biens et des services, parce que chacun s’attend à ce que les autres l’acceptent dans les mêmes circonstances. Cette attente — tout au moins au sein des communautés politiques — a désormais un caractère automatique et n’est donc pas énoncé à chaque fois que s’effectue un échange. On a pu dire que la valeur de la monnaie, l’acceptation de celle-ci en tant qu’instrument d’échange, faisait l’abject d’une convention sociale. Toutefois, les modalités suivant lesquelles cette convention est établie, et les circonstances dans lesquelles elle intervient, diffèrent aussi bien quant à l’objet qui est accepté en tant que monnaie qu’en ce qui concerne le type d’agents économiques qui sont parties à la convention.[4] Ces modalités et ces circonstances sont les suivantes : 1) Les membres d’un groupe de personnes ou d’Etats s’engagent formellement à accepter un objet donné en tant qu’instrument d’échange entre eux. 2) Les membres d’un groupe d’Etats estiment que la monnaie de l’un d’entre eux se prête à servir d’instrument d’échange, en raison de l’importance politique ou économique de cet Etat. 3) Une marchandise présente des caractéristiques qui la rendent propre à jouer le rôle d’instrument d’échange, par exemple, l’or. 4) Un quatrième moyen d’ériger quelque chose en monnaie consiste à garantir sa convertibilité en une autre chose qui a été érigée en monnaie. C’est par exemple le cas des chèques bancaires, des dépôts bancaires etc. 5) Enfin, le moyen qui sert à l’heure actuelle à établir une convention sociale de cet ordre — en particulier à l’intérieur des communautés politiques — est fourni par l’intervention de l’autorité politique, qui oblige à accepter une monnaie donnée en tant qu’instrument de paiement. C’est là la base de la monnaie légale. Cette méthode permet de garantir que la monnaie légale sera transférable et acceptée sur l’ensemble du territoire sur lequel s’exerce le pouvoir administratif de l’autorité politique. En d’autres termes, le pouvoir politique garantit la liquidité parfaite de sa monnaie. Aux Etats-Unis, les billets de banque de la Réserve fédérale (Federal Reserve Notes) offrent un exemple du cinquième cas. Ils sont l’effet financier le plus simple dont les consommateurs puissent disposer. En outre, le papier-monnaie réunit toutes les caractéristiques de la liquidité. Nous en avons déjà mentionné une, qui réside dans sa fonction d’instrument d’échange ; autrement dit, un effet financier est d’autant plus liquide que l’acceptation de celui-ci en tant qu’instrument de paiement est immédiate. La deuxième caractéristique de la liquidité tient au degré auquel il est possible de prévoir la valeur qu’un effet donné aura au moment où il sera utilisé comme instrument de paiement. Sa troisième et dernière caractéristique est la « réversibilité » : la valeur d’un effet utilisé comme instrument de paiement ne doit pas être inférieure à celle à laquelle il a été acheté. En lieu et place du papier-monnaie, qui réunit ces trois caractéristiques, les épargnants accumulent d’autres effets financiers dont les avantages compensent celui de la liquidité de la monnaie légale (par exemple, du fait qu’ils garantissent un intérêt, des dividendes, etc.) comme les actions ou les obligations.
Il convient d’établir une distinction entre les effets qui sont émis par le secteur privé et ceux qui sont émis par l’Etat. Les premiers sont garantis par des activités concrètes et leur valeur est fonction de l’état des affaires de l’entreprise qui les a émis. Leur marché dépend de la dimension de l’entreprise et des obstacles législatifs qui s’opposent à leur cotation à la bourse des valeurs ; par conséquent, l’étendue du territoire sur lequel ces effets sont transférables est, elle aussi, liée à ces deux variables. Les effets émis par l’Etat sont garantis par le pouvoir d’imposition des autorités publiques ; en principe, leur valeur est plus stable et ils sont transférables sur l’ensemble du territoire sur lequel l’Etat exerce son pouvoir administratif.
7. — Du point de vue théorique, il sera intéressant de nous arrêter aux billets de banque de la Réserve fédérale (Federal Reserve Notes). Ils sont émis dans chaque district fédéral par la banque centrale correspondante et sont présentés par les banques fédérales qui entrent en leur possession pour être portés au crédit de leurs réserves, exactement comme un chèque bancaire est présenté pour obtenir son paiement. Les billets de banques ont toujours été remboursés sans la moindre difficulté. C’est ainsi que cela se passe dans un système bancaire doté d’un fonds commun de réserves librement convertible, et dans lequel les taux de change sont fixes, indépendamment du signe monétaire utilisé pour les échanges (c’est-à-dire dollar, livre, mark, franc, etc…) et des rapports de change qui existent entre ces derniers. Aux Etats-Unis, le rapport de change entre les billets de banque de la Réserve fédérale est égal à l’unité, ce qui facilite les opérations de remboursement. Le fait que le rapport de change entre deux monnaies soit égal, supérieur ou inférieur à l’unité n’a rien à voir avec le mouvement des échanges entre deux régions qui font partie d’une même communauté politique. L’évolution des échanges entre deux districts dépende de la productivité de leurs entreprises respectives. Par exemple, les billets de banque de la Réserve fédérale du district A afflueront dans le district B si les entreprises de A sont moins compétitives. A court terme, le déficit de A sera couvert au moyen d’une réduction du volume des effets et de la monnaie de ce district (le système de la Réserve fédérale peut rembourser les billets de banque de la Réserve fédérale par l’intermédiaire de l’Interdistrict Settlement Fund). A l’époque où chaque Etat américain contrôlait de façon autonome l’émission de monnaie sur son territoire, il pouvait arriver qu’un Etait imposât une taxe sur la monnaie des autres Etats qui entrait en circulation sur son territoire, au détriment évident du commerce interrégional. La généralisation progressive du papier-monnaie ,et du système la Réserve fédérale sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis a mis fin aux nombreux problèmes que soulevaient les paiements entre des Etats dotés chacun de leurs propres banques et de leur propre monnaie. Avant 1913, il était impossible de les résoudre définitivement et de garantir en permanence la circulation de l’épargne entre les Etats américains, étant donné les particularités du système bancaire américain, dans lequel les banques « unitaires » — c’est-à-dire à un seul guichet — occupaient une place prédominante, aussi bien en raison de leur nombre que de l’importance des fonds en liquide qu’elles contrôlaient.
L’exemple des Etats-Unis est extrêmement instructif en raison de la solution qui a été apportée dans ce pays aux problèmes essentiels que soulevaient la coordination des très nombreuses banques éparpillées à travers le continent, les transferts de fonds des régions agricoles vers les régions industrielles, et enfin, les pénuries de fonds dans les régions en rapide expansion. Avant la création du système de Réserve fédérale, les Etats-Unis d’Amérique traversèrent régulièrement des périodes de crise monétaire et de faillites bancaires, ainsi en 1873, en 1884, en 1893 et en 1907. Face à ces crises monétaires récurrentes, il devint évident que le système bancaire américain n’était pas assez souple pour s’adapter aux différences que présentait la demande de crédit d’une région à une autre, de sorte qu’il lui était impossible de transférer, en faveur des régions qui en manquaient, des fonds de celles dont les ressources financières étaient trop élevées par rapport à leurs possibilités d’utilisation. L’économie américaine avait besoin d’un fonds commun de réserve grâce auquel les réserves des régions excédentaires seraient mises à la disposition des régions déficitaires : ce devait être là la tâche du système de Réserve fédérale tel qu’il avait été conçu à l’origine.[5]
8. — C’est une analyse des mouvements de fonds entre les Etats américains qui illustrera le mieux le rôle que jouent, aux Etats-Unis, un marché intégré des capitaux et un système bancaire centralisé dans la mobilité interrégionale des capitaux.
Si l’on considère les Etats-Unis dans leur ensemble, on voit, d’après les statistiques financières et commerciales relatives aux centres agricoles, que ceux-ci perdent année après année des fonds au bénéfice des « centres financiers locaux ». La plupart de ces derniers perdent à leur tour des fonds au bénéfice des principaux centres du marché monétaire, c’est-à-dire New York et Chicago. Le cercle de ces transactions se trouve ainsi fermé, car ces grands centres ont une balance des paiements déficitaire par rapport à certaines régions agricoles. C’est ainsi que, par exemple, de 1949 à 1954, le district de Richmond a perdu des fonds, sur le compte des transactions commerciales et financières, au bénéfice des districts de Philadelphie, Chicago, St. Louis, Atlanta et San Francisco, alors qu’il en a reçu des districts de New York, Boston, Cleveland, Minneapolis et Dallas.[6]
Il convient d’ajouter aux considérations ci-dessus qu’une banque centrale qui sert de « prêteur en dernier ressort » peut accroître ses possibilités de transfert d’effets (tels que lettres de change, chèques, titres etc.) en réescomptant les effets de cette nature qui lui sont présentés par les banques commerciales. Le taux auquel ils sont escomptés varie selon la date d’échéance de l’effet ou la situation économique du débiteur qui doit les rembourser, mais il ne varie jamais en fonction de la région de provenance de l’effet (il est évident que dans la mesure où l’on estime que les effets émis des entreprises industrielles sont plus sûrs que ceux qui sont par des entreprises agricoles, on opère une discrimination au détriment des régions à prédominance agricole).
9. — La principale objection qui puisse être formulée à rencontre de notre exposé est que dans une zone politiquement et économiquement intégrée, dont le système bancaire couvre l’ensemble du territoire, une organisation bancaire de cet ordre augmente aussi le risque que des capitaux soient transférés des régions qui se développent lentement vers celles qui bénéficient de niveaux d’investissement élevés. Par conséquent, dans une communauté de ce genre, les forces du marché pourraient aggraver les déséquilibres régionaux. Il est exact que les conditions décrites plus haut créent un marché intégré des capitaux au niveau de la communauté politique, et que les possibilités d’investissement offertes par les régions plus riches risquent donc d’entrer en concurrence avec celles existent dans les régions les plus pauvres, au détriment de ces dernières. Nous répondrons à cette objection dans la deuxième partie de notre étude.
II
10. — Il convient de se demander pourquoi il existe des difficultés de balance des paiements entre les communautés politiques, alors qu’il n’yen a pas entre les diverses régions d’une même communauté politique. Quelques spécialistes ont déjà donné une réponse exhaustive à cette question.[7] Pour notre part, nous ferons observer qu’il y a toujours eu des difficultés de balance des paiements entre des communautés politiques différentes, en ce sens que leur balance des paiements traverse des périodes de déficit et d’excédent ; cependant, ces difficultés ne cessent de s’aggraver et deviennent un véritable problème à partir du moment où les pouvoirs publics s’engagent à atteindre, dans leur politique économique, certains objectifs tels que le plein emploi, la stabilité monétaire ou un taux satisfaisant de développement, qui dépendaient autrefois tous exclusivement des forces du marché. Avec l’intervention des pouvoirs publics, l’équilibre extérieur est devenu une contrainte qu’il faut contrôler, car il peut, le cas échéant, dresser un obstacle à la poursuite de ces objectifs. Autrefois, l’équilibre extérieur était maintenu automatiquement par les forces du marché, même si les buts désormais érigés en objectifs de la politique économique devaient en faire les frais.
Dans toute communauté politique, c’est à l’échelon de cette communauté que sont appréciés les ordres de grandeur des agrégats économiques (par exemple, l’emploi ou le revenu) qui font l’objet de la politique économique. En d’autres termes, selon les objectifs de la politique économique vus à l’échelon de la communauté politique, le plein emploi peut exister côte à côte avec une distribution régionale inégale de l’emploi qui conduit au suremploi dans telle région et à un chômage aigu dans telle autre. Ou encore, le niveau du revenu par habitant peut passer pour satisfaisant à l’échelon national, alors que du point de vue régional, la distribution du revenu présente des inégalités criantes.
S’il n’existe donc pas de difficultés de balance des paiements à l’échelon régional, cela tient au fait que les ordres de grandeur des agrégats économiques ne sont pris en considération qu’au niveau de la communauté politique. Il en résulte, d’une part, que l’équilibre de la balance des paiements ne constitue pas une contrainte à l’intérieur d’une région, et d’autre part, qu’il sera toujours atteint, même s’il faut à cette fin renoncer à affecter les ressources de la région à des utilisations qui auraient été plus rentables.
Il sera sans doute utile de préciser qu’il n’existera aucune difficulté de balance des paiements entre les diverses régions d’une communauté politique — ce terme étant pris dans son sens habituel — même si les ordres de grandeur économiques retenus s’appliquent aux objectifs que les autorités compétentes assignent à la politique économique régionale. Toutefois, il n’en sera ainsi qu’à la condition que l’administration centrale ne transfère pas aux autorités régionales tous les instruments utilisés pour atteindre les objectifs de la politique économique à l’échelon national et qui témoignent de l’existence d’un « problème » de paiements, comme par exemple, les réglementations mouvements des capitaux et des travailleurs, ou encore mesures concernant les modifications de parité des taux de change. D’ans une communauté politique dont le système économique est parfaitement intégré, l’application de ces instruments pourrait, à long terme, aller à l’encontre de l’objectif de la répartition optimale des ressources entre les régions.
11. — Les quelques études existantes montrent que les Etats-Unis disposent de certains mécanismes qui permettent d’atteindre ces objectifs à l’échelon régional et qui maintiennent en même temps l’équilibre de la balance des paiements.[8]
On a accordé et l’on continue d’accorder une grande importance au rôle que joue le Trésor fédéral des Etats-Unis la redistribution des fonds dont il dispose, redistribution qui consiste à transférer ces fonds des districts fédéraux à balance excédentaire (c’est-à-dire les districts dans lesquels les dépenses du Trésor sont inférieures aux recettes qu’ils lui versent) en faveur des districts déficitaires (c’est-à-dire ceux dans lesquels les dépenses du Trésor sont supérieures aux fonds lui versent).
Avant d’étudier en détail comment s’effectue cette redistribution des fonds de l’Etat, il convient de faire une dernière observation. Supposons qu’une communauté politique dont l’industrie est hautement compétitive ait une balance de compte courant excédentaire. Les revenus de ce pays iront en augmentant du fait que le volume de ses exportations est supérieur à celui des importations en provenance des autres pays ; par conséquent, si le système d’imposition est progressif, les recettes fiscales iront en augmentant. Dès lors que le montant des dépenses publiques reste constant, l’accroissement des impôts créera un excédent dans le budget de l’Etat et libérera des ressources qui pourront être exportées, donnant ainsi à nouveau naissance aux causes qui avaient provoqué une augmentation des recettes fiscales ; ce cycle se reproduira à chaque fois que les ressources financières demeureront dans le pays.
Pour mieux nous rendre compte de l’importance du rôle dévolu au Trésor des Etats-Unis, nous examinerons maintenant comment se décomposent ses recettes et ses dépenses.
Les entrées, qui proviennent des divers districts, sont assurées par : 1) les impôts (sur le revenu, sur la production etc.) ; 2) les ventes de bons du Trésor ou du gouvernement fédéral.
Les sorties sont constituées par : 1) les subventions versées aux Etats ou à des particuliers ; 2) le remboursement des bons émis par le Trésor ou le gouvernement fédéral et le paiement des intérêts des bons émis par l’un ou l’autre ; 3) les dépenses effectuées pour le compte du gouvernement fédéral.
A première vue, les mécanismes au moyen desquels le Trésor procède par-dessus les districts à une redistribution des fonds de l’Etat sont au nombre de deux. Premièrement, la fiscalité : il est évident que les régions à revenu élevé assurent au Trésor un apport de recettes fiscales plus important que les régions dont le revenu est plus faible.[9] Cet apport de fonds, qui est déclenché automatiquement par un mécanisme institutionnel, vient s’ajouter aux apports de fonds privés qui proviendront sans doute des régions plus riches, qui disposent d’une épargne élevée et, partant, de fonds à investir « à l’étranger ». Il y aura une sortie nette des fonds constitués par les recettes fiscales si les dépenses publiques des régions plus riches sont maintenues à un niveau constant par habitant, alors que le montant des impôts recouvrés va, lui, en augmentant.
Le deuxième mécanisme est constitué par les bons de l’Etat, qui sont acceptés sur l’ensemble du territoire de la communauté politique, du fait qu’ils sont garantis par un pouvoir fiscal centralisé à ce même niveau qui en assure la liquidité et la solvabilité. Cet instrument est utilisé pour influer sur le comportement des agents économiques des régions riches. Il s’agit d’un « mécanisme » qui fonctionne de façon analogue à celui que déclenchent les titres privés, à la différence près que le premier s’ajoute dans ses effets (apport de fonds au Trésor) au mécanisme de l’imposition et eux deux, ils règlent automatiquement la redistribution des entre les divers districts. Il va de soi que les districts dont la balance commerciale est excédentaire (c’est-à-dire dont l’épargne atteint un montant supérieur à celui de l’investissement) seront disposeront des moyens financiers nécessaires pour procéder à des investissements, soit directement, soit indirectement par le biais des bons du gouvernement fédéral qu’achètent les banques auprès desquelles ils déposent leurs fonds.[10] Dans ce cas aussi, les fonds diminueront. Les divers Etats qui perçoivent les impôts locaux qui leur sont dus investissent en général eux aussi dans les bons du gouvernement fédéral les fonds dont ils disposent lorsque leur budget est excédentaire.[11]
En revanche, considérons une région pauvre des Etats-Unis, dont on peut supposer la balance des paiements déficitaire et où les recettes fiscales sont faibles. Si l’on veut augmenter le volume de services publics par habitant, il est probable que le budget du Gouvernement local présentera un déficit qui poserait un problème de politique économique insoluble à l’échelon régional s’il n’existait pas un mécanisme institutionnel — le Trésor fédéral — qui fait affluer des fonds en provenance des régions à l’égard desquelles le budget du Trésor est excédentaire. Ce mécanisme opérera conjointement avec la vente de bons du gouvernement fédéral et, le cas échéant, de titres privés que la région avait accumulés précédemment.
12. — Tous les mouvements que nous avons présent sont déclenchés automatiquement par mécanismes institutionnels existants.
Si nous avions affaire à un système économique dans lequel les forces du marché agissent sans aucune intervention de politique économique des pouvoirs publics, le début d’une récession dans une région donnée risquerait fort de se transformer rapidement en un processus cumulatif qui gagnerait les autres régions de la communauté politique.[12] La balance des paiements de cette région s’ajusterait grâce aux mécanismes mis en mouvement par les forces du marché : autrement dit, le revenu, l’investissement, l’emploi, iraient en diminuant et la balance des paiements retrouverait son équilibre à un niveau de valeur de ces facteurs inférieur à ceux auxquels ils se situaient avant le début de la récession.
Dès lors que l’on veut agir sur les agrégats économiques de la région en dépression, il faut examiner l’état de ses comptes à l’égard des autres régions, car il peut dresser un obstacle à l’obtention de cet objectif, encore qu’il ne s’agisse pas d’un obstacle au sens habituel de ce terme.
Un déficit de la balance des paiements correspond à une sortie de capitaux qui conduit à une pénurie de liquidités dans la région et à une augmentation des taux d’intérêt, due non point à des demandes de financement pour la réalisation d’investissements, mais au fait que les capitaux sont exportés dans d’autres régions qui offrent de meilleures possibilités d’investissement. Ces taux d’intérêt élevés ne sont donc pas de nature à renverser le courant des capitaux et des investissements. Dans ce cas, il est indispensable de rééquilibrer la balance des paiements si l’on veut que le volume des liquidités — et, partant, les taux d’intérêt — demeurent inchangés dans la région et que la situation économique de cette dernière ne se détériore pas.
Si les pouvoirs publics effectuent des investissements dans cette région et exportent à cette fin des fonds publics d’autres régions, cet afflux de capitaux compensera l’augmentation des importations qu’entraîne la réalisation de leurs investissements ;[13] il permettra, d’une part, de maintenir les liquidités de la région à leur niveau antérieur (voire de l’augmenter si le montant des importations demeure inférieur à celui des apports de fonds) et, donc, de maintenir les conditions monétaires existantes, de manière à encourager aussi les investissements privés, d’autre part, d’agir sur des agrégats économiques tels que le revenu, les investissements et l’emploi de cette région.[14]
13. — Nous citerons à ce propos l’étude de Mme Hartland sur les paiements interrégionaux aux Etats-Unis. Elle a été la première à montrer qu’il existait une corrélation négative entre l’évolution des fonds privés et celle des fonds publics. Quelle est l’explication de ce phénomène ? Elle ressort en partie de l’exposé que nous venons de faire, mais nous essayerons maintenant de fournir une réponse plus détaillée.
Entre 1929 et 1933, les prix des produits agricoles tombèrent de 40% et ceux des produits industriels, de 20 à 25%. Les revenus agricoles subirent donc une réduction plus forte que les revenus industriels, de sorte que les régions à prédominance agricole, placées devant une demande rigide de produits industriels, perdirent constamment tout au long de ces années des fonds sur le compte des transactions privées. Le premier mécanisme qui entre en action dans ce cas est dû à la diminution de l’assiette fiscale dans les régions agricoles ; celles-ci paieront moins d’impôts que les régions industrielles, mais le Gouvernement fédéral devra par ailleurs augmenter le montant de ses allocations de chômage et de l’aide qu’il accorde à leurs agriculteurs. Toutefois, la récession avait atteint une gravité telle qu’il fallut recourir d’autres mesures, afin d’éviter que la dépression, qui sévissait surtout dans les régions agricoles, se généralisât dans les régions industrielles qui en subissaient déjà le contrecoup. Faute de mesures destinées à maintenir les revenus à un niveau élevé, le marché des produits industriels serait allé en se rétrécissant.
Sous la présidence de Roosevelt, des programmes d’aide et des plans de travaux publics furent mis en œuvre dans les régions les plus touchées par la grande dépression. Le district de Minneapolis, essentiellement agricole, et dont les transactions commerciales et financières privées avec les autres districts commencèrent à devenir déficitaires à partir de 1927, reçut, dès le début de cette période, des fonds du Trésor fédéral dont le montant ne cessa d’augmenter au cours des années. Le district de la Nouvelle-Angleterre, qui est composé de régions industrialisées, avait pour sa part un excédent dans ses transactions commerciales et financières avec les autres districts, mais il était en revanche déficitaire dans ses rapports avec le Trésor fédéral (voir le tableau n. 2, page 88).
Les districts agricoles de Minneapolis, St. Louis, Atlanta et Kansas City ont bénéficié de fonds du Trésor fédéral, alors que les districts industriels de la Nouvelle-Angleterre, de Cleveland et de Chicago sont ceux qui ont le plus contribué à financier ces apports de fonds publics dans les régions en dépression.
Tableau 2*
Solde des transactions privées et solde des transactions publiques des districts de Bston, New York et Minneapolis
OPERATIONS DE CLEARING NETTES ET TRANSFERTS ENTRE LES BANQUES DE RESERVE DES DISTRICTS FEDERAUX DE BOSTON, NEW YORK ET MINNEAPOLIS DEL 1919 A 1939**
(en millions de dollars)
|
Boston
|
New York
|
Minneapolis
|
|||
|
Opérations de clearing nettes
|
Transferts
inter-bancaires
nets
|
Opérations de clearing nettes
|
Transferts
inter-bancaires
nets
|
Opérations de clearing nettes
|
Transferts
inter-bancaires
nets
|
1919
|
+ 509
|
– 512
|
–3.030
|
+2.905
|
+ 279
|
– 325
|
1920
|
+ 567
|
– 492
|
– 565
|
+ 248
|
– 96
|
+ 90
|
1921
|
+ 310
|
– 224
|
–1.043
|
+ 745
|
+ 92
|
– 63
|
1922
|
+ 154
|
– 177
|
– 576
|
+ 414
|
+ 43
|
– 21
|
1923
|
+ 158
|
– 103
|
– 132
|
+ 83
|
+ 11
|
0
|
1924
|
+ 66
|
– 49
|
– 337
|
+ 407
|
+ 39
|
– 17
|
1925
|
+ 92
|
– 147
|
– 320
|
+ 539
|
+ 1
|
– 10
|
1926
|
+ 220
|
– 155
|
– 591
|
+ 626
|
+ 29
|
– 14
|
1927
|
+ 243
|
– 203
|
– 399
|
+ 577
|
– 38
|
+ 19
|
1928
|
+ 125
|
– 136
|
– 240
|
+ 446
|
– 19
|
+ 18
|
1929
|
+ 95
|
– 50
|
– 153
|
+ 359
|
– 38
|
+ 57
|
1930
|
+ 142
|
– 145
|
+ 129
|
+ 314
|
– 25
|
+ 18
|
1931
|
+ 146
|
– 129
|
+ 590
|
– 211
|
– 46
|
+ 31
|
1932
|
+ 78
|
– 180
|
+1.226
|
– 819
|
– 116
|
+ 81
|
1933
|
+ 183
|
– 171
|
+ 436
|
– 371
|
– 22
|
+ 42
|
1934
|
+ 248
|
+ 132
|
+ 957
|
– 856
|
– 267
|
+ 226
|
1935
|
+ 193
|
– 86
|
+1.270
|
– 718
|
– 269
|
+ 156
|
1936
|
+ 155
|
– 123
|
+ 714
|
– 906
|
– 277
|
+ 179
|
1937
|
+ 178
|
– 214
|
– 421
|
+ 250
|
– 183
|
+ 202
|
1938
|
+ 250
|
– 63
|
+ 382
|
– 390
|
– 160
|
+ 134
|
1939
|
+ 293
|
– 80
|
– 275
|
+ 545
|
– 172
|
+ 45
|
* Source : Federal Reserve Board, rapports annuels.
** Le signe + indique un crédit net (recettes), et le signe – un débit net (paiement).
Dans la première colonne correspondant à chacun des trois districts indiqués en tête de tableau figurent toutes les transactions effectuées par des particuliers et les institutions de ce district (à l’exception de celles du gouvernement fédéral) à l’égard de tous les autres districts. Y sont également incluses les opérations de compensation relatives aux billets de banque de la Réserve fédérale.
Dns la deuxième colonne sont indiquées les variations qui interviennent dans les dépôts du Gouvernement fédéral auprès de chacune des banques de la Réserve fédérale.
|
Par cet exemple, nous avons voulu montrer qu’un Trésor central, qui perçoit les impôts des divers districts et intervient aussi de façon discrétionnaire en faveur des zones en dépression, prévient l’apparition dans certaines régions, de processus cumulatifs de développement qui seraient préjudiciables à d’autres parties du pays et permet de redistribuer les apports de fonds à travers les districts fédéraux.[15] Pendant les années comprises entre 1934 et 1951, les trois Etats du district de la Nouvelle-Angleterre — c’est-à-dire le Massachusetts, le Rhode Island et le Connecticut — ont reçu au total du Trésor fédéral 2,529 milliards de dollars, alors que les cinq principaux Etats du sud — L’Alabama, la Géorgie, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud et le Tennessee — en ont reçu 5,841 milliards, soit le double ou le triple des sommes affectées à la Nouvelle-Angleterre. Il sera intéressant d’ajouter que cette dernière a versé au Trésor 3,276 milliards de dollars, alors que les cinq Etats du sud lui en ont versé 2,534 milliards.[16]
14. — Dans cette étude sur la situation nous avons essayé de montrer pourquoi les Etats qui forment Etats-Unis n’ont pas de difficultés de balance des paiements. Nous avons donc essayé de mettre en évidence les facteurs qui empêchent que la balance interrégionale des paiements constitue un problème et un obstacle, de manière à ce que la politique économique puisse atteindre les objectifs qui lui sont assignés au niveau régional.
Dans la première partie, nous avons vu comment un marché financier et monétaire intégré au niveau de la communauté politique facilite les mouvements de capitaux entre les diverses régions des Etats-Unis, éliminant ainsi les risques de pénurie de capitaux dans les différents Etats. Cette libre circulation est également garantie par l’existence d’un fonds commun réserves parfaitement compatible avec l’émission de billets de banque à laquelle procèdent en toute autonomie les banques du Système de la Réserve fédérale.
Dans la deuxième partie, nous avons examiné le rôle objectif que joue le Trésor dans la redistribution, en faveur des régions pauvres, des capitaux accumulés dans les régions riches des Etats-Unis, sans que cette redistribution aille à l’encontre de l’objectif recherché d’un équilibre « extérieur ». Le Trésor fédéral et un système fiscal centralisé sont deux instruments dont disposent les pouvoirs publics pour procéder judicieusement à la programmation économique des régions en dépression des Etats-Unis.
Si tout ce que nous avons exposé ci-dessus est exact, il en découle que les Etats-Unis d’Amérique ont résolu le problème que pose le choix des instruments nécessaires à la bonne marche d’un économie à l’échelle d’un continent et d’instruments d’intervention capables de remédier aux disparités qui surgissent au cours du développement régional. Ces instruments devraient servir de modèle aux régions dont l’économie est intégrée à l’échelle d’un continent, comme c’est le cas, par exemple, pour la C.E.E.
[1] J.C. Ingram, « State and Regional Payments Mechanisms », dans Quarterly Journal of Economics (novembre 1959), pp. 619-632.
[2] L.V. Chandler, The Economics of Money and Banking, International Edition, Tokyo, 1969, pp. 184-186. Voir aussi Board of Governors of the Federal Reserve System, The Federal Reserve System (Purposes and Functions), Washington, D.C., 1963 : « Afin de pouvoir effectuer les transferts et les paiements aussi rapidement et efficacement que possible, les douze banques de la Réserve fédérale gèrent un fonds de certificats-or (gold certificates) à Washington, le Interdistrict Settlement Fund. Chacune des banques de la Réserve fédérale détient une part de ces certficats-or auprès de ce fonds, qui constitue une part appréciable des réserves de certificats-or que possèdent les banques de la Réserve (p. 273).
[3] S.E. Harris, International and Interregional Economics, McGraw-Hill Book Company Inc., 1957, p. 175.
[4] T. Scitovsky, Money and the Balance of Payments, Unwin and Allen, Londres, 1969, surtout la partie A.
[5] L.V. Chandler, op. cit., chap. 5, pp. 80-104.
[6] N.N. Bowsher, J. Daane Dewey et R. Einzig, « The Flows of Funds Between Regions of United States », dans Papers and Proceedings of the Regional Science Association, vol. III, 1957, pp. 139-59.
[7] Cf. P.C. Hartland, « Interregional Payments Compared with International Payments », dans Quarterly Journal of Economics (août 1949) ; N.N. Bowsher, J. Daane Dewey et R. Einzig, « The Flow of Funds Between Regions of the United States », dans Papers and Proceedings of the Regional Science Association, vol. III, 1957 ; J.C. Ingram, « State and Regional Payments Mechanisms », dans Quarterly Journal of Economics (novembre 1959) ; T. Scitovsky, Economic Theory and Western European Integration, IIe partie, Unwin and Allen, Londres, 1967 ; Idem, Money and the Balance of Payments, Unwin and Allen, Londres, 1969. Voir aussi M. Von Neumann Whitman, « International and Interregional Payments Adjustment : A Synthetic View », dans Princeton Studies in International Finance, n. 19, Princeton (février 1967) et N. Kaldor, « The Case for Regional Policies », dans Scottish Journal of Political Economy (novembre 1970).
[8] P.C. Hartland, op. cit., pp. 392-407.
[9] T.J. Romans, Capital Exports and Growth Among U.S. Regions, Wesleyan University Press, Middletown, Connecticut, 1965, pp. 58-64.
[11] T. Scitovsky, Economic Theory…, op. cit., p. 94.
[12] G. Myrdal, Teoria Economica e Paesi Sottosviluppati, Feltrinelli, Milan, 1970, 2e éd., pp. 31-45.
[13] T. Scitovsky, Economic Theory..., op. cit., p. 93.
[14] S.E. Harris, International and Interregional Economics, McGrawHill Book Company Inc., 1957, p. 178.
[15] P.C. Hartland, op. cit., pp. 400-407.
[16] S.E. Harris, op. cit., p. 179.