XVI année, 1974, Numéro unique, Page 51
Compatibilité entre l’équilibre de la
balance des paiements et d’autres objectifs de politique économique dans
une union monétaire
Une analyse critique du rapport Werner
ALBERTO MAJOCCHI
1. — La volonté de passer à la constitution de l’union économique et monétaire a été réaffirmée lors du Sommet qui a réuni à Paris, les 19 et 20 octobre 1972, les chefs d’Etat et de Gouvernement des pays européens : « Les décisions nécessaires devront être prises pendant l’année 1973 pour permettre le passage à la deuxième étape de l’union économique et monétaire au 1er janvier 1974 et en vue de son achèvement au plus tard au 31 décembre 1980 ».
Ce processus a commencé au précédent sommet qui s’était tenu à La Haye les 1er et 2 décembre 1969. Le communiqué final affirme en effet (8ème alinéa) « qu’ils (les chefs d’Etat ou de Gouvernement) ont réaffirmé leur volonté de faire progresser plus rapidement le développement ultérieur nécessaire au renforcement de la Communauté et à son développement en une union économique. Ils sont d’avis que le processus d’intégration doit aboutir à une communauté de stabilité et de croissance. Dans ce but, ils sont convenus qu’au sein du Conseil, sur la base du mémorandum présenté par la Commission le 12 février 1969 et en étroite collaboration avec cette dernière, un plan par étapes sera élaboré au cours de l’année 1970 en vue de la création d’une union économique et monétaire. Le développement de la coopération monétaire devrait s’appuyer sur l’harmonisation des politiques économiques. Ils sont convenus de faire examiner la possibilité d’instituer un fonds de réserve européen auquel devrait aboutir une politique économique et monétaire commune ».
Sur la base des propositions contenues dans le rapport Werner, présenté le 8 octobre 1970, il fut décidé par la résolution du Conseil des Ministres de la Communauté européenne du 22 mars 1971 qu’« afin d’assurer à la fois une croissance satisfaisante, le plein emploi, la stabilité à l’intérieur de la Communauté, de remédier aux déséquilibres structurels et régionaux qui s’y manifestent et de renforcer la contribution de celle-ci à la coopération économique et monétaire internationale et de parvenir ainsi à une communauté de stabilité et de croissance, le Conseil et les représentants des gouvernements des Etats membres expriment leur volonté politique de mettre en place, au cours des dix prochaines années, une union économique et monétaire, selon un plan par étapes, débutant le 1er janvier 1971 ». Cette décision fut ensuite définitivement arrêtée par les ministres des finances le 21 mars 1972.
2. — La réalisation de l’Union économique et monétaire a été définie, sur le plan politique, par les différentes décisions successives que nous venons de rappeler succintement. Elle constitue donc le cadre dans lequel devra probablement se développer l’économie européenne dans les prochaines années. C’est pour cette raison qu’une analyse plus approfondie des implications qui en découleront pour la possibilité d’atteindre les différents objectifs qu’on entend se fixer aux différents niveaux, dans l’ordre économique, prend une importance considérable.
En particulier, nous avons l’intention, dans ce travail, d’analyser les effets qu’aura la réalisation de l’Union économique et monétaire sur le maintien de l’équilibre de la balance des paiements au sein de la Communauté et sur la poursuite des objectifs intérieurs de stabilité et d’accroissement du revenu national.
3. — On sait que deux thèses, celle des monétaristes et celle des économistes, se sont longtemps opposées[1] quant à la méthode à choisir pour parvenir à la fixité des taux de change.[2] La première approche retient comme éléments fondamentaux : la consultation préalable entre banques centrales, l’aide mutuelle à court terme et des prêts à moyen et à long terme au bénéfice des pays souffrant d’un déséquilibre de leur balance des paiements ; directives communes aux banques centrales en ce qui concerne la création d’une base monétaire, la politique du crédit et taux d’intérêt. « L’ensemble de ces dispositions implique évidemment que la politique monétaire jouera, en tant qu’instrument de la politique de stabilisation, un rôle capital et qu’il sera souvent fait appel à cette politique pour créer, au niveau national, des conditions de salaires et de demande plus conformes à l’objectif de la stabilité des parités monétaires ».[3] En termes moins neutres, ces choix signifient que l’objectif du développement est sacrifié à celui de l’équilibre de la balance des paiements pour pouvoir garantir la fixité des changes. Ce point sera examiné plus en détail dans la suite de ce travail.
Suivant l’approche en termes de politique économique[4] l’unification monétaire présuppose, en revanche, une étroite harmonisation fiscale ; la consultation et l’approbation au niveau communautaire des grandes lignes des politiques budgétaires nationales, en ce qui concerne en particulier : les dimensions et le mode de financement (ou d’utilisation) des déficits (ou des excédents) budgétaires, l’articulation de la politique de stabilisation, au moyen d’instruments monétaires et/ou fiscaux, les décisions d’investissement public ou encouragé par le secteur public ; enfin, dans l’étape finale, l’importance croissante des recettes et des dépenses décidées en toute autonomie au niveau communautaire.
Le plan Werner constitue, en un sens, la synthèse de ces deux approches. Il affirme en effet que « le développement de l’unification monétaire devra être articulé sur des progrès substantiels dans le domaine de la convergence, puis de l’unification des politiques économiques. Parallèlement à la limitation de l’autonomie des Etats membres en matière de politique économique, il faudra développer, au niveau communautaire, des compétences correspondantes » (page 15). Le rapport prévoit en effet que la dernière étape du processus sera marquée par la constitution d’un centre de décision de politique économique et d’un système communautaire des banques centrales, autrement dit, par le transfert, au niveau supranational, de pouvoirs actuellement conférés aux gouvernements nationaux.
Cette phase finale devrait être atteinte au terme d’un processus ; en fait, le rapport Werner « ne veut nullement suggérer que l’union économique et monétaire soit réalisable sans transition ; elle doit, au contraire, être développée de manière progressive dans le prolongement des actions déjà entreprises pour le renforcement de la coordination des politiques économiques et de la coopération monétaire » (page 15).
L’analyse qui va suivre visera essentiellement à mettre en relief les contradictions qui ne manqueront pas de se manifester pendant cette étape intermédiaire, afin de définir les instruments d’interprétation nécessaires pour expliquer les difficultés actuelles du processus d’intégration monétaire, et, en particulier, pour vérifier si le choix en matière économique et monétaire d’une méthode par étapes, s’il n’existe pas d’évolution parallèle au niveau politique, ne constitue pas un obstacle insurmontable pour atteindre les objectifs que le rapport Werner se propose d’atteindre.
4. — Le premier problème dont nous prendrons prétexte pour notre analyse concerne la possibilité de garantir l’équilibre de la balance des paiements entre les pays membres de l’Union monétaire. Faute d’une solution efficace, ce problème peut en effet remettre en question tout le processus, comme l’ont déjà confirmé les dramatiques difficultés dans lesquelles s’est débattue, dès le début, la politique du « serpent » communautaire.
Dans une union monétaire, « seule importe la balance des paiements globale de la communauté avec le reste du monde. L’équilibre au sein de la communauté à ce stade sera réalisé comme à l’intérieur d’un territoire national, grâce à la mobilité des facteurs de production et aux transferts financiers des secteurs public et privé » (rapport Werner, page 10).
Il convient d’analyser les implications théoriques de cette proposition, non seulement afin de pouvoir apprécier même en termes institutionnels les objectifs qu’il faut poursuivre pour permettre, dans la dernière étape, un fonctionnement efficace de l’Union monétaire, mais aussi afin de pouvoir disposer d’instruments d’interprétation propres à expliquer les difficultés et les tensions qui pourront s’opposer pendant la période transitoire à la réalisation de l’union monétaire.
5. — L’analyse de ce problème peut prendre comme point de départ une constatation de fait, simple, mais significative : les problèmes de la balance des paiements ne se posent qu’entre des pays différents, mais jamais entre des régions qui font partie d’une même communauté politique. Les explications généralement avancées pour justifier les différences qui existent entre les mécanismes d’ajustement régionaux et internationaux sont liées à trois facteurs : « 1) il existe à l’intérieur des frontières d’un pays une monnaie commune ou unifiée, alors que des pays différents recourent à des monnaies différentes ; 2) c’est une politique économique homogène (en matière monétaire, fiscale, commerciale et de transferts de main-d’œuvre) qui régit de manière uniforme toutes les régions à l’intérieur d’un même pays, tandis que, dans le même temps, des pays différents poursuivent des politiques indépendantes et divergentes ; enfin, et 3) — c’est l’explication des économistes classiques — les facteurs de production se déplacement librement à l’intérieur d’un pays, alors qu’ils sont relativement immobiles entre pays différents. On montrera que le maintien de l’équilibre de la balance des paiements régionaux dépend, avant tout, dans ce pays (les Etats-Unis), de la mobilité des facteurs de production et, plus particulièrement, de la mobilité du capital ».[5]
Il est donc utile de s’attacher en premier lieu à l’analyse des mécanismes d’ajustement qui fonctionnent au niveau de la région afin d’en évaluer l’efficacité et de juger de leurs possibilités de fonctionnement dans le cadre de l’union économique et monétaire qui doit voir le jour en Europe, avec les caractéristiques définies par le rapport Werner, et afin de mettre en évidence leurs limites éventuelles et la possibilité de les surmonter.
6. — Envisageons l’hypothèse où l’on enregistrerait, dans le cadre d’une communauté politique subdivisée en plusieurs régions, un déséquilibre entre les importations et les exportations et, conséquemment, un déficit d’une des régions par rapport au reste de la communauté.
Le premier mécanisme qui entre en jeu est de nature financière et a pour effet, non de rétablir immédiatement l’équilibre de la balance commerciale, mais de susciter un flux de transfert de fonds et de titres qui compensent le déficit courant par un excédent de la balance des mouvements de capitaux.[6] La région déficitaire doit, en effet, pour payer l’excédent des importations sur les exportations, céder une partie des actifs financiers précédemment accumulés au reste de la communauté en faveur de qui la balance commerciale a enregistré un surplus. Dans le langage utilisé en la matière, on peut dire que le déficit régional de la balance des transactions courantes est « financé » par des importations de capital et/ou par des cessions de devises, tandis que le surplus courant dont bénéficie le reste de la communauté est compensé par des sorties de capitaux et/ou par des acquisitions de devises. En règle générale, il est probable que l’ajustement interviendra sans donner lieu à des variations importantes de la quantité de monnaie et donc moyennant des mouvements d’autres actifs financiers, étant donné que le volume de liquidité désiré dépend davantage du flux de revenu que du stock d’actifs financiers et que ce flux, du moins dans le phase initiale, ne varie pas sensiblement.
Le fonctionnement rapide et efficace de ce système de flux financiers compensateurs exige toutefois que soient satisfaites, au préalable, certaines conditions. Il faut, tout d’abord, que le pays détienne un stock d’actifs financiers relativement élevé. Il est nécessaire, en outre, qu’une part suffisamment importante de ces actifs soit transférable hors de la région déficitaire, ce qui présuppose l’existence d’un marché financier organisé et intégré au niveau interrégional. Enfin, il est nécessaire que les préférences relatives à la structure de portefeuille soient telles que les résidents du reste de la communauté soient disposés à acquérir précisément les actifs financiers que les agents de la région en déficit désirent vendre. En effet, dans ce cas, le transfert de titres n’entraîne pas de variations de prix.
7. — Dans une seconde étape, le processus d’ajustement de longue période passe probablement par la variation de grandeurs économiques qui influent sur la balance commerciale. On assiste, tout d’abord, à un appauvrissement des régions en déficit et cet effet de richesse négatif agit sur la propension à dépenser, provoquant, par voie de conséquence, une contraction des importations. Ce phénomène s’accélère rapidement lorsque les conditions rappelées plus haut ne sont pas satisfaites ou lorsqu’il n’existe d’intégration complète des marchés financiers, c’est-à-dire que actifs financiers ne sont pas parfaitement transférables et que le choix de la structure de portefeuille désirée est influencé par le marché d’origine des différents actifs (les épargnants des titres nationaux). Dans ce cas, les agents régionaux doivent, pour financer le déficit de la balance des paiements, vendre au reste de la communauté des titres qui ne sont pas aisément transférables à leur valeur antérieure. Dès lors, les prix des actifs financiers varient, en baisse, dans la région en déficit (où l’on enregistre une demande nette négative), et en hausse dans le reste de la communauté, où s’est formée une demande additionnelle par suite de l’excédent de la balance des paiements. En même temps, si le financement du déficit passe par le transfert d’actifs liquides, la liquidité du système bancaire régional se contracte à raison de la diminution des réserves détenues par les banques, qui sont dès lors amenées à vendre une partie de leurs actifs non liquides (ceux qui, dans l’hypothèse retenue, ne sont pas parfaitement transférables), produisant des effets analogues sur le prix des titres.
En définitive, les prix des titres non transférables baissent dans la région déficitaire (et augmentent dans le reste de la communauté) jusqu’au point où il devient soit intéressant pour les agents des pays excédentaires de les acheter (ces titres deviennent alors transférables) soit inopportun pour les agents du pays déficitaire de les vendre.[7]
La variation de la valeur des titres accélère le processus d’ajustement de la balance commerciale en ce sens que les pertes en capital incitent les agents à réduire l’ampleur de leurs programmes de dépenses dans le pays déficitaire (et à l’accroître dans les pays excédentaires). Il convient d’ajouter que la variation de la valeur des titres provoque en outre une contraction du niveau du revenu, de la production et de l’emploi, puisqu’elle correspond à un relèvement du taux d’intérêt et à une limitation du crédit, avec toutes les répercussions qu’ont ces mesures sur les investissements, sur la construction et sur l’achat à tempérament des biens de consommation. On constate les effets contraires dans le reste de la communauté. Ce processus favorise le rétablissement des conditions d’équilibre de la balance commerciale grâce aux effets induits sur les importations. L’ampleur de ces mouvements induits sur le revenu dépend, à l’évidence, des variations des prix des titres et elle est, de ce fait, d’autant plus marquée que sont plus fortes les distorsions et les imperfections du marché financier ou plus élevée la proportion des titres non transférables dans le total des actifs financiers et plus réduite l’élasticité de substitution entre les actifs transférables et ceux qui ne le sont pas.
8. — Dans un système régional, doté d’un pouvoir fiscal centralisé, existe un autre puissant facteur d’ajustement.[8] « Une région qui fait partie d’une communauté politique disposant d’un système commun de services publics et d’une base commune d’imposition obtient automatiquement des ‘aides’ chaque fois que ses relations commerciales avec le reste du pays viennent à se détériorer. Un important facteur de stabilisation automatique tend à bloquer le fonctionnement du multiplicateur des exportations : étant donné que les impôts payés au gouvernement central varient parallèlement au niveau du revenu et de la dépense locale, à l’inverse des dépenses publiques (dont les variations peuvent même avoir un rôle compensateur moyennant des travaux publics, des allocations de chômage, etc…), une détérioration de la balance commerciale tend à être retardée (voire arrêtée) par la variation du solde fiscal régional — différence entre ce que la région paye au Trésor et ce qu’elle en reçoit (…). C’est là, me semble-t-il, la raison principale de l’absence, au niveau régional, d’un équivalent du problème de la balance des paiements ».[9]
En effet, si dans la région déficitaire on assiste, au cours du processus d’ajustement, à une contraction de la production, elle se traduit automatiquement par une diminution du rendement des impôts prélevés par le pouvoir central. Le phénomène inverse se produit dans la région excédentaire. Par ailleurs, la part des dépenses (par exemple, dans le domaine de la sécurité sociale) destinée au pays à balance des paiements déficitaire augmente. Il s’agit d’un mécanisme qui n’appelle pas de décisions politiques spéciales et qui, à l’instar de ce qu’on appelle stabilisateurs automatiques, tend à atténuer les effets de revenu provoqués par les processus décrits plus haut, mais qui, dans le même temps, exerce des effets rééquilibrants sur la balance des paiements.[10] En effet le paiement des impôts est assimilable aux importations, tandis que les dépenses sociales correspondent, du point die vue régional, à des exportations. Il est évident que ce mécanisme d’ajustement peut être ralenti ou accéléré par des décisions discrétionnaires du pouvoir politique qui mettent en jeu instruments de la politique fiscale.
9. — Le dernier facteur qui contribue, au niveau régional, à réduire l’acuité du problème de la balance des paiements est la mobilité des facteurs de production et l’intégration de leurs marchés. Les transferts territoriaux de main-d’œuvre tendent à garantir une plus grande uniformité du niveau des salaires à l’intérieur d’une zone économiquement unifiée ; par ailleurs, la concertation de l’action syndicale revendicative qui découle nécessairement de l’intégration du marché du travail agit dans le même sens. La mobilité du capital et des dirigeants d’entreprise peut entrainer des accroissements de productivité dans les zones économiquement les plus faibles tout comme, par effet de démonstration, peuvent se répandre plus rapidement, dans les secteurs géographiques moins dynamiques, nouvelles techniques de vente et les innovations technologiques. C’est ainsi que peuvent s’atténuer ,certaines des causes à l’origine des déséquilibres de la balance des paiements.[11]
Il faut toutefois noter que même dans un marché intégré, la mobilité des facteurs de production n’est pas parfaite et que peuvent s’y manifester des mouvements de facteurs de production déstabilisants pour la balance des paiements,[12] comme le sont, en particulier, les mouvements de capitaux et de dirigeants d’entreprise des zones en déclin vers les régions les plus riches et les plus développées. Il incombe évidemment à la politique économique, grâce aux instruments dont elle peut disposer (investissements infrastructuraux ou directement productifs, allègements fiscaux et facilités de crédits etc.) la tâche de provoquer une plus grande mobilité de ces facteurs de production et de les canaliser dans la direction voulue.
10. — Après avoir analysé, en termes extrêmement synthétiques, les mécanismes d’ajustement automatique qui agissent au niveau de la région, il convient de faire valoir que le rétablissement des conditions d’équilibre de la balance des paiements interrégionale est considérablement accéléré par des interventions de politique économique de la part du gouvernement central. En ce qui concerne les Etats-Unis par exemple, Hartland[13] souligne le rôle compensateur que jouent les transferts de fonds d’origine fédérale vers les régions en déficit, dans le cadre du Federal Reserve System. Cette observation se fonde sur la corrélation négative, observée empiriquement par une analyse de la période 1919-1939, entre les transferts du Trésor (flux nets de capitaux publics) et les transit clearings (flux nets de capitaux privés) d’un district à l’autre du Federal Reserve System.[14]
Ces mouvements compensateurs de fonds publics peuvent de toute façon être encouragés par le gouvernement central, au moyen de décisions discrétionnaires de politique monétaire ou fiscale. En particulier, la politique de stabilisation conduite au niveau national peut se donner pour objectif de garantir le niveau de revenu et d’emploi dans chacune des régions. D’ans ce cas, l’accroissement de la demande provenant des pouvoirs publics se traduit, dans les régions qui doivent subir un déficit leur balance des paiements, par un blocage du processus d’ajustement déclenché par la réduction des importations, elle-même engendrée par la contraction du revenu régional. La politique de stabilisation empêche, par conséquent, le réajustement de la balance commerciale par les effets de revenu, mais ramène à l’équilibre la balance des paiements par l’afflux de fonds publics, et la variation en hausse des mouvements de capitaux.[15]
11. — Notre analyse nous a permis de définir jusqu’ici les conditions qui garantissent le maintien de l’équilibre de la balance des paiements à l’intérieur d’un système régional économiquement intégré, avec des taux de change parfaitement rigides. On a pu constater que l’efficacité du fonctionnement des mécanismes d’ajustement de la balance des paiements dépend : 1) de la complète intégration du marché financier et monétaire ; 2) de l’existence de stabilisateurs automatiques caractéristiques du fonctionnement d’un système fiscal centralisé ; 3) de la mobilité des facteurs de production ; 4) de l’existence de flux de fonds publics venant compenser les mouvements des fonds privés, dans le cadre d’une politique monétaire centralisée.
Si donc l’étape ultime de l’Union économique et monétaire est marquée par la création d’un centre de décision de politique économique et d’un système communautaire des banques centrales, dotés de pouvoirs adéquats, il semble possible de conclure que, les conditions requises étant satisfaites, le problème de l’équilibre de la balance des paiements à l’intérieur de la communauté peut être résolu, comme il l’est normalement à l’intérieur d’un système régional.
En réalité, ce n’est pas une conclusion, mais seulement une articulation plus analytique de notre point de départ, à savoir que dans un système régional il n’existe pas de problème de la balance des paiements. Il est intéressant d’étudier, sur cette base, quels sont les problèmes qui se posent pendant l’étape intermédiaire, afin de juger si les propositions du plan Werner sont satisfaisantes ou si elles ne risquent pas au contraire d’empêcher la réalisation de l’objectif final. En d’autres termes, nous devons nous demander si, dans la période intermédiaire, caractérisée au niveau des institutions par l’absence de tout pouvoir d’intervention au niveau supranational, il est possible d’obtenir simultanément outre l’équilibre de la balance des paiements, les objectifs internes de stabilité et de développement. Dans le cas contraire, en effet, et l’expérience récente de la sortie des monnaies britannique et italienne du « serpent » communautaire semble le confirmer, les tensions contre le maintien des parités fixes deviennent incontrôlables et tout processus de réalisation d’une union monétaire risque de sauter.
12. — On a remarqué précédemment l’importance du rôle que joue, par rapport au mécanisme d’ajustement, le degré d’intégration du marché financier interrégional. Il s’agit maintenant de mettre en évidence les effets qui en découlent, au niveau régional, par rapport à la conduite d’une politique monétaire indépendante.
En réalité, la politique monétaire reste sans effet si une proportion suffisante des actifs financiers est parfaitement transférable et si, de ce fait, les prix des titres sont uniformes dans les différentes régions.[16] Dans ce cas, une politique expansionniste qui tend à stimuler la formation de capital et la dépense pour l’achat de biens de consommation par une augmentation du prix des titres et une réduction du taux d’intérêt, a pour seul effet une sortie de capitaux et l’importation de titres. Prenons comme exemple une politique d’open market. L’achat de titres par l’autorité monétaire laisse inchangés les prix et les taux d’intérêt. En effet, les titres acquis auprès du public ou des banques sont immédiatement remplacés par des titres acquis à l’étranger, dont le prix est temporairement inférieur, et les liquidités introduites dans le système sont transférées à l’étranger pour financer l’achat d’actifs financiers. Pareillement une politique monétaire restrictive axée sur des augmentations du taux d’intérêt et une contraction du crédit, provoque une exportation de titres et une importation de capitaux qui reconstitue les liquidités ôtées du système.
En définitive, la politique monétaire conduite au niveau régional peut, dans l’hypothèse d’une parfaite intégration du marché des capitaux, engendrer des déficits ou des excédents de la balance des paiements, mais n’influence pas le niveau de remploi et du revenu.[17]
13. — Dans une économie parfaitement intégrée, la politique fiscale conduite au niveau régional connaît des limites qui, bien que de nature différente, n’en sont pas moins réelles.[18] L’efficacité de cet instrument dépend en effet du degré « d’exposition » du système par rapport aux autres pays. Ainsi, dans une zone qui fait partie d’un système régional, la propension marginale à l’importation, à l’égal de la propension moyenne, est vraisemblablement plus élevée et, par conséquent, les effets internes d’une politique fiscale anticyclique ou de croissance sont limités. Ainsi, tout accroissement de la dépense publique tend à produire ses effets non seulement à l’intérieur, mais également, et ce d’autant plus que la propension marginale à l’importation est forte (et, par conséquent, d’autant plus que le multiplicateur en économie ouverte est faible), sur les autres régions de la communauté ; ce qui signifie, par ailleurs, que chaque région ressent de façon plus marquée les effets (déflationnistes ou inflationnistes) de la politique fiscale conduite dans le reste de la communauté. Du point de vue de la balance des paiements, au contraire, l’efficacité de la politique fiscale s’en trouve accrue, étant donné qu’une contraction, même limitée, de la dépense, provoque une réduction sensible des importations. On peut donc affirmer que le coût d’une politique anticyclique ou de croissance est plus élevé, puisque, à égalité d’accroissement du revenu national, cette politique nécessite une variation plus forte de la demande par le jeu de la dépense publique ou de la réduction des impôts, et que, par ailleurs, son effet négatif sur la balance des paiements est plus marqué.
L’efficacité de la politique fiscale au niveau régional est de plus limitée par la perte d’autonomie dans le secteur fiscal résultant de la mobilité des facteurs de production au niveau de la communauté. En réalité, il ne faut pas surévaluer cet élément, étant donné qu’il est bien évident que les choix de localisation du capital, de la main-d’œuvre et des dirigeants d’entreprise sont influencés par des facteurs autres que le facteur fiscal et qu’ils peuvent diverger même à l’intérieur d’une zone économiquement unifiée. Ainsi, par exemple, une plus forte imposition des entreprises peut être compensée par une plus grande disponibilité des services publics ou par une meilleure structure du marché du travail et ainsi de suite. Le fait demeure, toutefois, que la politique fiscale voit en tout cas son autonomie restreinte par la plus grande mobilité, non seulement des produits, mains aussi des facteurs de production.
14. — Sur la base de l’analyse précédente, on peut donc déjà affirmer, comme première conclusion, que les conditions qui garantissent le fonctionnement automatique des mécanismes d’ajustement de la balance des paiements réduisent en même temps, de façon sensible, l’efficacité d’une politique monétaire et fiscale indépendante, par rapport aux objectifs de stabilité et de croissance du revenu national.
En réalité, le problème est encore plus grave. Le plan Werner fixe comme objectif, en matière de politique fiscale, une harmonisation progressive des choix budgétaires. Il fait observer, en effet, que « pour conduire le développement général de l’économie, la politique budgétaire revêt une grande signification. Le budget communautaire au début de l’étape finale sera sans aucun doute plus important qu’il ne l’est aujourd’hui, mais son importance, du point de vue conjoncturel, restera inférieure à celle des budgets nationaux, dont la gestion harmonisée constituera un facteur essentiel de cohésion de l’union. Les marges à l’intérieur desquelles devront se situer les grandes masses budgétaires, tant pour le budget annuel que pour la programmation pluriannuelle, seront décidées au niveau communautaire en tenant compte de la situation conjoncturelle et des particularités structurelles de chaque pays. L’élément fondamental sera constitué par la détermination de la variation du volume des budgets, par l’ampleur du solde et des modes de financement du déficit ou de l’utilisation de surplus éventuels ». « Les orientation quantitatives seront indiquées en fonction de la situation économique de chaque pays, pour les principaux éléments des budgets publics, en particulier les recettes et les dépenses globales, la répartition de ces dernières entre investissement et consommation, le signe et l’ampleur du solde ».[19]
Il faut mettre en évidence quelles sont les répercussions, du point de vue des pays membres de la communauté, de cette coordination étroite de la politique budgétaire, qui touche, comme on l’a vu, non seulement la dimension quantitative, mais encore l’articulation interne de la structure du budget.
En effet, l’obstacle principal à la stabilité de l’édifice l’union économique et monétaire réside dans les tensions inflationnistes pouvant se manifester dans un (ou plusieurs) pays membre(s) et, plus généralement, par une évolution divergente du niveau général des prix des différents pays et qui peut engendrer des déséquilibres persistants des balances des paiements à l’intérieur de la Communauté. On peut penser que, pour surmonter cette difficulté, la solution la plus simple consisterait à maintenir la capacité de production dans une situation de sous-emploi, en freinant convenablement la dynamique de la demande et, surtout, en empêchant que les hausses du niveau des salaires excèdent la variation de la productivité, suivant la règle classique (mais contestée) de la politique des revenus, pour éviter des phénomènes d’inflation du côté des coûts. Il est évident que, dans ce cas, le prix qu’on doit consentir pour atteindre l’objectif de l’équilibre de la balance des paiements est excessivement élevé, en termes de sacrifice d’autres objectifs et, en outre, que ce choix est, dans une large mesure, contradictoire.[20]
Une politique fiscale souple permet, en effet, de résoudre l’incompatibilité entre les variations des salaires monétaires — même si, à court terme, elles excèdent les variations de la productivité —, et les valeurs préétablis de la variable-objectif niveau des prix, sans devoir maintenir dans le système une forte dose de chômage.[21] Mais la rigidité des procédures de coordination de la politique budgétaire exclut une telle souplesse dans l’usage de l’instrument fiscal, ce qui implique, comme conséquence, la nécessité de mettre un frein aux revendications contractuelles. C’est sous une forme différente, la « règle d’or » qui s’impose : ou bien les salaires monétaires augmentent parallèlement au développement de la productivité, ou bien l’on élimine les dangers inflationnistes, soit en freinant la demande, soit, en dernier ressort, en relevant le niveau de chômage et, donc, en amputant la masse salariale en termes réels.
Ce choix est en outre largement contradictoire puisque c’est du volume de la demande que dépendent les investissements ; en effet, « si l’on parvient à conserver, en permanence, un taux d’investissement élevé, on facilitera, à chaque période, la solution des problèmes de politique économique (…), étant donné qu’on augmente la compatibilité entre les différents objectifs. Il est prouvé désormais qu’un taux d’investissement élevé est la condition nécessaire d’un taux d’accroissement rapide de la productivité. Il résulte de ce qui précède que plus l’accroissement de la productivité est rapide à chaque période et plus est forte la hausse des salaires compatible avec un objectif donné de stabilité des prix et, partant, plus sont élevés l’accroissement du volume des exportations et l’accroissement des importations compatibles avec l’objectif fixé en matière de solde de la balance des paiements ».[22]
15. — Le choix de l’harmonisation des politiques budgétaires est donc moins efficient qu’une solution attribuant des pouvoirs réels d’intervention à un centre de politique économique indépendant au niveau communautaire, dans le cadre d’une intégration complète des marchés (des produits, des facteurs ou des marchés monétaire et financier). Dans ce dernier cas, comme on l’a déjà observé, les mécanismes automatiques d’ajustement de la balance des paiements fonctionnent efficacement, tout en permettant, dans l’hypothèse d’une parfaite intégration du marché monétaire et financier et d’une conduite autonome au niveau européen de la politique fiscale et monétaire, le rétablissement à long terme de l’équilibre, sans causer de fluctuations sensibles dans le niveau de revenu et, donc, de l’emploi.
Par ailleurs, l’existence d’un marché intégré des facteurs de production (dont la libéralisation des mouvements de main d’œuvre n’est qu’une condition préalable) tend à niveler l’évolution des salaires, notamment par la concertation de l’action revendicative des syndicats. Ce qui n’exclut pas que des situations inflationnistes se créent du côté des coûts, à cause de taux de variation de la productivité différenciés par régions et/ou par secteurs productifs. C’est là qu’une politique fiscale souple peut se révéler efficace soit, à court terme, en faisant varier sélectivement les paramètres qui influent sur le niveau des coûts du travail par unité de produit soit, à plus long terme, en soutenant la demande afin de stimuler les investissements et donc d’augmenter la productivité, soit, enfin, en favorisant des processus de reconversion de l’activité productive par des investissements publics directs ou par des mesures indirectes d’incitation ou de dissuasion.[23]
Dans l’hypothèse où la situation inflationniste est imputable à la demande et résulte, en particulier, d’une évolution différenciée territorialement de l’offre et de la demande, propre à engendrer des déséquilibres de la balance des paiements, les pouvoirs publics peuvent intervenir efficacement au niveau communautaire en recourant à la dépense comme à l’impôt.
16. — L’existence, au niveau communautaire, d’un pouvoir fiscal autonome représenterait en outre l’instrument propre à éviter que ne s’engagent des processus cumulatifs de développement et de sous-développement dans le cadre européen.
Le plan Werner insiste à plusieurs reprises sur la nécessité d’une politique régionale, en soulignant que « la réalisation d’un équilibre économique global peut être dangereusement menacée par des différences de structure. La coopération entre partenaires de la communauté en matière de politique régionale et structurelle contribuera à surmonter ces difficultés, en même temps qu’elle permettra d’éliminer les distorsions de la concurrence. La solution des grands problèmes dans ce domaine sera facilitée par des mesures financières de compensation » (page 12).
Il apparaît donc nécessaire, si l’on veut éviter des déséquilibres territoriaux, d’orienter les flux de capital de manière à contrebalancer les tendances qui résultent du jeu automatique du marché. Or, la logique du Marché commun a, jusqu’ici, fonctionné en sens inverse, et le drainage considérable de capitaux opéré sur le marché parallèle de l’eurodollar par les américaines prend, à cet égard, valeur de symbole. En tout état de cause même dans le cadre du projet d’union économique et monétaire la solution des déséquilibres régionaux ne peut être trouvée dans une simple coordination des politiques budgétaires. Pour rester dans le cadre italien, faute d’une gestion commune de la politique économique, le problème du Midi reste un problème italien et non européen ; et non seulement les « mesures financières de compensation » des zones les plus riches vers les plus pauvres ne viennent pas mais, à la faveur de la libéralisation anarchique des mouvements de facteurs de production, les exportations de capitaux italiens s’accentuent et, conséquence inévitable du dramatique retard économique de nombreuses régions italiennes, la plaie sociale de l’émigration ne se ferme pas.
17. — On peut donner, dans ce contexte, un très bref aperçu du problème des réformes en Italie. Il est évident que les distorsions apparues jadis dans le processus de développement ne peuvent être récupérées qu’au prix d’une forte concentration de l’emploi des ressources à des fins sociales ; ce qui implique que le budget de l’Etat soit destiné à suppléer notablement au déficit des services essentiels pour toute collectivité moderne. Mais cette expansion des ressources affectées à des emplois sociaux peut engendrer des phénomènes inflationnistes : par conséquent, pour respecter la contrainte de l’équilibre de la balance des paiements, le refus de supporter le coût des réformes pourrait se justifier.
Ce type de raisonnement est à l’évidence trop simpliste, mais il semble en fait sous-tendre nombre d’affirmations récemment entendues dans la polémique sur l’ampleur du déficit du budget de l’Etat. En tout état de cause, les dimensions quantitatives et l’articulation des dépenses seraient, dans le cadre d’une coordination des politiques budgétaires, décidées au niveau communautaire en fonction de l’objectif de stabilité des changes. On se trouve donc vraisemblablement confronté à un dilemme : ou bien la compression des budgets empêche l’expansion des dépenses sociales — et cette solution est politiquement inacceptable —ou bien le rythme d’absorption des ressources par les pouvoirs publics excède en Italie le taux d’expansion des budgets des autres pays de la Communauté et risque, par conséquent, d’affecter la parité choisie. En réalité, la solution du problème que pose en Italie le déficit des services publics passe par une dotation suffisante en moyens financiers pour faire face à d’éventuelles difficultés de la balance des paiements résultant de l’expansion prévue des dépenses publiques. Ce soutien financier de la Communauté peut se justifier, et donc se défendre sur le plan politique, puisqu’il se place dans le cadre des interventions structurelles qui visent à une répartition territoriale plus convenable des ressources et des services.
18. — Il est possible de tirer à présent quelques conclusions de l’analyse développée jusqu’ici. Pour que les mécanismes automatiques d’ajustement de la balance des paiements fonctionnent efficacement, nous avons vu qu’est nécessaire d’un marché financier parfaitement intégré et d’un pouvoir de décision centralisé dans le secteur fiscal et monétaire. Le Plan Werner prévoit que ces conditions ne seront pas réalisées pendant la transitoire et pose seulement la nécessité d’une harmonisation politiques monétaires et fiscales, renvoyant à la phase finale la constitution d’un centre de décision pour la politique économique et d’un système communautaire des banques centrales.
Ce choix est théoriquement contradictoire comme l’expérience récente semble le prouver. En effet, si le marché financier est déjà partiellement intégré au niveau européen, au niveau national, en revanche, la politique monétaire perd de son efficacité par rapport aux objectifs de stabilité et de développement. Par ailleurs, il est de plus en plus coûteux de conduire une politique fiscale anticyclique et de croissance dans un système économique qui a atteint un haut degré d’« exposition » à l’égard des autres pays de la Communauté ; enfin, la liberté de choix du gouvernement en matière fiscale est de plus en plus restreinte, dès lors qu’il s’engage dans la voie de l’harmonisation des structures fiscales et des politiques budgétaires.
Il est donc nécessaire de trouver une solution qui permette d’aborder les problèmes d’équilibre de la balance des paiements sans sacrifier pour autant la stabilité et le développement. « Des déséquilibres des paiements se développent à l’intérieur de chaque pays comme au sein de la Communauté. Mais, dans caque pays, outre les mécanismes fiscaux, il en existe de monétaires qui permettent d’étaler davantage dans le temps le processus de retour à l’équilibre. L’absence quasi-totale de tels mécanismes dans les rapports intracommunautaires concentre dans le temps le processus d’ajustement en le rendant plus violent au point d’exiger que lui soient sacrifiées d’importantes priorités en matière d’objectifs économiques. Si, à l’heure actuelle, la lutte contre l’inflation semble être l’objectif prioritaire, l’Union monétaire européenne ne peut être fondée sur un mécanisme qui tend à reléguer au bas de l’échelle les objectifs du développement et du plein emploi, c’est-à-dire à inverser l’ordre des choix acceptés par l’ensemble des peuples et des gouvernements depuis la guerre ».[24]
19. — La « quadrature du cercle » sera résolue par un choix de nature politique. Pour garantir la fixité des taux de change, sans sacrifier les autres objectifs de politique économique, il est nécessaire de transférer dès le départ un certain nombre de compétences au niveau supranational, moyennant la création (actuellement à l’étude au sein de la C.E.E.) d’un Fonds européen de réserve et d’un Fonds européen de développement régional. Seraient ainsi facilités non seulement le processus d’ajustement de la balance des paiements, mais aussi, par les flux financiers à destination des régions économiquement les plus faibles, la réalisation des objectifs réels. Toutefois, cette solution n’est pas encore suffisante. « La condition nécessaire pour que l’unification monétaire puisse se réaliser est que les pays membres renoncent au pouvoir souverain de conduire une politique monétaire et fiscale indépendante, poursuivant la stabilité interne des prix et de l’emploi. Ces politiques doivent être confiées à une autorité monétaire et fiscale centralisée, responsable de la stabilité interne pour tout le groupe des pays membres ».[25] Le problème central est donc, comme on vient de le montrer, de nature politique, car la construction d’une union monétaire présuppose la fondation d’un gouvernement européen, doté de pouvoirs limités, mais réels, et contrôlé démocratiquement par un Parlement élu au suffrage universel. C’est un objectif difficile à atteindre en raison de la résistance qu’opposent les Etats à l’abandon de certaines des attributions caractéristiques de la souveraineté. Mais le prix du refus de s’engager dans cette voie consiste dans la paralysie probable du processus d’unification monétaire. Les difficultés que soulève la mise en route de la seconde étape semblent indiquer que le moment est venu de choisir l’autre terme de l’alternative.
[1] « Une union monétaire implique, à l’intérieur, la convertibilité totale et irréversible des monnaies, l’élimination des marges de fluctuation des cours de change, la fixation irrévocable des rapports de parité et la libération totale des mouvements de capitaux. Elle peut s’accompagner du maintien de signes monétaires nationaux ou consacrer l’adoption d’une monnaie communautaire unique. Du pont de vue technique, le choix entre ces deux solutions pourrait paraître indifférent, mais des considérations d’ordre psychologique et politique militent en faveur de l’adoption d’une monnaie unique qui garantirait l’irréversibilité de l’entreprise. » Cf. C.E.E., « Rapport au Conseil et à la Commission pour la réalisation par étapes de l’union économique et monétaire dans la Communauté (Rapport Werner) », Supplément au Bulletin des Communautés européennes, n. 11, 1970, page 10.
[2] Sur ce point, voir par exemple : Ossola R., « Dans l’attente d’une organisation politique de l’Europe », Le Fédéraliste, XIIIe année, n. 1, mars 1971, p. 27-38.
[3] Cf. Forte F., « Verso una moneta europea? », dans L’Europa, 1970, n. 24-25, p. 90.
[4] Telle qu’elle apparaît, par exemple, dans ce qu’on appelle le plan Schiller.
[5] Cf. Hartland P.C., « Interregional Payments Compared with International Payments » dans le Quarterly Journal of Economics, août 1949, p. 393. Sur le rôle stratégique de la mobilité interrégionale des le mécanisme de réajustement de la balance, voir : Scitovsky T., Money and the Balance of Payments, Rand McNally, Chicago, 1969, pages 87 et suivantes : du même, « The Theory of Balance of Payments Adjustment », dans Journal of Political Economy, août 1967, pages 523 à 530 ; du même « The Theory of the Balance of Payments and the Problem of a Common European Currency », dans Kyklos, 1957, pages 18 à 38 (réédité avec quelques modifications dans Economic Theory and Western European Integration, Unwin, Londres, 1962, IIe Partie) ; Ingram J.C., « State and Regional Payments Mechanisms », dans le Quarterly Journal of Economics, novembre 1959, pages 619 à 632 ; Von Neumann Whitman M., « International and Interregional Payments Adjustment: A Synthetic View », Princeton Studies in International Finance, n. 19, Princeton, février 1967 ; Ingram J.C., « The Case for European Monetary Integration », Princeton Studies in International Finance, n. 98, Princeton, avril 1973.
[6] On sait que la distinction entre les mouvements des capitaux et des réserves est purement conventionnelle. Toutefois, en ce qui concerne le problème à l’étude, le point qu’il est intéressant de relever, au delà des questions de définitions, importantes au demeurant mais à d’autres fins, concerne les effets produits par le fonctionnement du mécanisme financier rappelé plus haut. Sur les concepts d’excédent et de déficit de la balance des paiements et sur la distinction entre les mouvements autonomes et compensatoires de capitaux, cf. par exemple : Machlup F., « Three Concepts of the Balance of Payments and the So-called Dollar Shortage », dans l’Economic Journal mars 1950, pages 46 et suivantes ; Masera F., Commercio estero e bilancia dei pagamenti, Rome, 1966, pages 22 et suivantes.
[7] Les effets ultimes sur la balance des paiements dépendent évidemment de la valeur du « multiplicateur à répercussions en marché ouvert » (multiplicateur dynamique du commerce extérieur). Sur ce voir en dernier lieu : Gandolfo G., Aggiustamento della bilancia dei pagamenti ed equilibrio macroeconomico. Un’analisi teorica, Angeli, Milan, Ière Partie, chapitre III.
[8] Cf. sur ce point : Lamfalussy A., « Le système des taux de change et l’avenir de la C.E.E. » dans la Revue d’économie politique, juillet-août 1970, page 656 ; Scitovsky T., Money and the Balance of Payments, pages 97 et 98.
[9] Cf. Kaldor N., « The Case for Regional Policies » dans le Scottish Journal of Political Economy de novembre 1970 page 345.
[10] Cf. Kenen P.B., « The Theory of Optimum Currency Areas: An Eclectic View », dans Mundell R.A. - Swoboda A.K., Monetary Problems of the International Economy, University of Chicago Press, Chicago, 1969, page 47.
[12] « A brève échéance, les mouvements du facteur travail peuvent avoir des effets nets positifs ou négatifs sur la balance des paiements, mais, en général, les migrations du travail de zones à paiements déficitaires vers des zones excédentaires tendent à faciliter le réajustement ». Cf. Willet T.D., Tower E., « Currency Areas and Exchange-Rate Flexibility », dans Weltwirtschaftliches Archiv, 1970, 105/1, page 53. Voir également : Scitovsky T., Economic Theory and Western European Integration, page 85.
[14] Sur l’importance quantitative de ces mécanismes de stabilisation automatique, voir toutefois : Ingram J.C., Regional Payments Mechanisms: The Case of Puerto Rico, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1962, pages 21 et 22 ; Von Neumann M., « International and Interregional Payment Adjustments », pages 22 et 23.
[15] Scitovsky démontre que le montant des fonds publics transférés au niveau régional est supérieur à la réduction des importations entraînée la politique de stabilisation. En effet, si ce qu’on appelle condition de stabilité, normalement adoptée dans l’analyse des effets de revenu sur la balance des paiements, soit M+S<1 (où M et S sont respectivement la propension marginale à l’importation et à la dépense intérieure), est vérifiée, alors , c’est-à-dire que importations induites par l’accroissement de la dépense publique au niveau régional sont inférieures à cette dépense (DG). Cf. Scitovsky T., Economic Theory and Western European Integration, page 93.
[17] Cf. pour cette conclusion : Mundell R.A., « Capital Stabilization Policy under Fixed and Flexible Exchange Rates », Journal of Economics and Political Science, novembre 1963, 485 (réédité comme chapitre 18 de Mundell R.A., International Economics, MacMillan, New York, 1968) ; McKinnon R.I. – Oates W.E., « The Implications of International Economic Integration for Monetary, Fiscal and Exchange-Rate Policy », Princeton Studies in International Finance, n. 16, Princeton University Press, Princeton, Janvier 1966, page 5.
[18] Cf. Shaw G.K., « European Economic Integration and Stabilization Policy », dans Shoup C.S. (ed.), Fiscal Harmonization in Common Markets, Columbia University Press, New York, 1967, Vol. II, Chap. II.
[19] Voir le Rapport Werner, pages 11 et 19.
[20] Cette limite est implicite dans la constitution confédérale de la Communauté et s’est déjà vérifiée dans le passé. On se souviendra, par exemple, de l’attitude de la Commission de Bruxelles, lors de la phase récessive de l’économie italienne, pendant les années 1963 à 1965. Sur ce point, cf. Forte F., La congiuntura in Italia. 1961-1965, Einaudi, 1966, pages 255 et suivantes.
[21] Cf. sur ce point : Izzo L. – Pedone A. - Spaventa L. – Volpi F., Il Controllo dell’economia nel breve periodo, Angeli, Milan 1970, page 33.
[23] Sur les possibilités de recours à la politique fiscale dans l’hypothèse de l’inflation par les coûts, voir : Romani F., « Tipi di inflazione e politica fiscale » dans Moneta e Credito, 1965, pages 229 à 251.
[24] Cf. Carli G., «Crisi monetaria internazionale e politica di ripresa economica » dans la revue Bancaria, 1973, page 546.
[25] Cf. Smith W.L., « Are There Enough Policy Tools? », dans American Economic Review, Papers and Proceedings, mai 1965, page 217. Dans le même esprit, voir Scitovsky T., Economic Theory and Western European Integration, page 98. Ces deux auteurs soulignent la difficulté politique de la poursuite de cet objectif. Sur le processus politique qui peut conduire à la fondation d’un pouvoir fédéral en Europe dans le cadre du développement de l’union économique et monétaire, voir : Albertini M., « Aspects politiques de l’unification monétaire », dans Le Fédéraliste, XIIIe année n. 1, mars 1971, p. 39-51.