XXVII année, 1985, Numéro 1, Page 20
La réponse institutionnelle
LUIGI V. MAJOCCHI
La Communauté est en crise depuis qu’elle se trouve devoir aborder des problèmes d’une grande portée politique, économique et sociale, lesquels ne sont traités, en principe, que par des pouvoirs au niveau étatique (énergie, emploi, rééquilibrage régional, redéploiement industriel, etc.). Il s’agit, en fait, de problèmes dont dépendent les positions de pouvoir, l’équilibre entre les forces politiques et sociales, l’état de l’opinion publique, en un mot, la situation de pouvoir. Des objectifs de cette nature ne peuvent être atteints — même lorsqu’on dispose d’un pouvoir étatique — sans de gros efforts et des choix précis de la part des partis, ni sans des actions de propagande adéquates, sans un débat politique animé et, en dernière analyse, sans la formation de majorités et de minorités.
Tout cela est évident. Mais il convient de le rappeler lorsqu’il s’agit de la Communauté et de sa relance, parce qu’on a le tort de le négliger. La vérité est que la Communauté se trouve dans une situation de stagnation depuis que — une fois la période transitoire du Marché Commun terminée et les bases de l’union agricole ayant été jetées — on a dû aborder le problème de la construction de l’union économique et monétaire, qui constitue une étape obligatoire sur le chemin de l’approfondissement de l’intégration. Cela montre bien que la Communauté n’a pas de capacité d’action à ce niveau, qui est celui des grandes options économiques. Et c’est justement ce manque de capacité d’action qui explique l’échec de toutes les tentatives de relance de la Communauté sur la voie de l’Union économique et monétaire (plan Werner, passage à la phase institutionnelle du S.M.E.). Le problème réside donc dans la nécessité de conférer à la Communauté un tel pouvoir.
Il y a lieu également d’observer que le défaut d’une telle capacité d’action est apparu avec encore plus d’évidence lorsque les coordonnées de politique internationale — le cadre atlantique — entre lesquelles s’est historiquement développée l’intégration européenne durant ce second après-guerre, sont devenues moins rigides tant en raison du fait que le dollar s’est avéré incapable de constituer le soutien exclusif et stable de l’ordre monétaire mondial qu’à cause des inquiétudes qui se manifestaient, sur les deux rives de l’Atlantique, à l’égard d’une protection qui était, certes, indispensable lorsqu’il s’agissait de reconstruire sur les décombres provoqués par la guerre et de garantir la sécurité des Européens, incapables alors d’assumer cette responsabilité, mais qui s’avérait à présent de moins en moins justifiée et donc malsaine et destinée à envenimer les relations atlantiques elles-mêmes. Ce n’est donc pas par un pur hasard que, lors du Sommet de Paris de 1972, quand on s’est fixé l’objectif d’achever la construction de l’union économique et monétaire au 31 décembre 1980, les Etats de la Communauté ont décidé, dans le même temps, de « transformer, avant la fin de la décennie en cours, l’ensemble de leurs relations en une Union européenne ».
Mais, sur ce terrain aussi, tout comme sur celui de l’union économique et monétaire, les résultats ont été décevants malgré les efforts déployés d’abord par Tindemans, puis par Genscher et Colombo.
C’est donc la leçon des faits qui a engendré la conviction que toute action aurait été vouée à l’échec si elle n’avait pas été conçue de façon à induire, au fur et à mesure de son développement, un changement du pouvoir de la Communauté et, plus précisément, une croissance du pouvoir de la mener à bonne fin.
C’est sur cette route que se sont engagés les fédéralistes et les avant-gardes européennes des forces politiques et sociales, c’est-à-dire le Mouvement européen, qui s’est battu — avec succès — pour l’élection directe du Parlement européen et, ensuite, pour que ce soit ce Parlement qui prenne l’initiative d’une réforme des institutions. Le Parlement élu l’a fait. Le Traité d’Union, approuvé le 14 février 1984, se différencie, en effet, des projets précédents — tant d’union économique et monétaire que d’union européenne — non seulement parce qu’il donne corps à un point de vue européen qui n’est pas une simple addition ou une médiation de points de vue nationaux, mais aussi et surtout parce que, formulé par un organe démocratique soumis au contrôle électoral, il constitue un grand programme d’action proposé par le Parlement aux citoyens et donc en mesure de promouvoir, grâce à l’implication des forces politiques, une croissance organique du débat et, par conséquent, du consensus.
Et c’est justement ainsi que les choses se sont passées. En vue de la deuxième tournée des élections européennes, les forces politiques ont dû prendre position à l’égard du Traité, la presse s’en est occupée et les gouvernements n’ont pu l’ignorer. Quel que puisse être le résultat de ces événements, il est certain que la deuxième tentative de fonder la fédération européenne est actuellement en cours. Les décisions adoptées, à Fontainebleau et à Dublin, par le Conseil européen l’attestent, tout comme elles prouvent également que la partie est désormais ouverte.
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Il a été dit que la tentative actuellement en cours de fonder la fédération européenne est la deuxième qui a été faite dans ce second après-guerre. Beaucoup de monde ne le sait pas et nombreux sont donc ceux qui sont amenés à en souligner les difficultés. Il s’agit d’un alibi commode pour ne pas agir. Ce qui est vrai, par contre, c’est qu’il y a eu une première tentative et qui n’a pas été loin de réussir. Au cours des premiers mois de 1950, face à la nouvelle structure bipolaire du pouvoir mondial, à l’agressivité du stalinisme, aux incitations pour que l’on reconstruise l’Allemagne (le front le plus avancé du dispositif occidental), la France de Schumann et de Pleven — qui craignait la renaissance de la puissance allemande — accepta la proposition de Monnet de renoncer à la souveraineté sur le charbon et sur l’acier au profit d’une Communauté, à condition que l’Allemagne reconstruite en fasse autant (déclaration Schumann du 8 mai 1950 : projet de la communauté européenne du Charbon et de l’Acier CECA).
Les institutions de la CECA étaient clairement définies par Monnet comment « les premières assises de la fédération européenne ». Mais il y a davantage encore. Au cours de l’été 1950, après le début de la guerre de Corée et l’engagement militaire américain qui s’en est suivi sur le front asiatique, les pressions des États-Unis sur les partenaires européens en vue d’un réarmement rapide de l’Allemagne étaient devenues plus lourdes. Et c’est à cette occasion que Monnet, toujours lui, proposa que la France renonce à la souveraineté sur sa propre armée en faveur d’une Communauté supranationale, à condition que les autres partenaires européens en fassent autant (déclaration Pleven du 24 octobre 1950 : projet de la Communauté européenne de défense - C.E.D.).
Tout cela est, pour une bonne part, connu. On ne sait pas, par contre, qu’après l’amorce des travaux de la conférence de la C.E.D., durant l’été de 1951, le Mouvement fédéraliste européen — dont le secrétaire général était alors Altiero Spinelli — fit parvenir à De Gasperi un mémorandum pour dénoncer l’absurdité de constituer une armée européenne sans fonder un État et pour suggérer la voie à suivre pour le faire : un traité-constitution rédigé par une assemblée constituante qui « à la rigueur, devrait naître d’un vote direct des citoyens mais qui, pour des raisons de rapidité et d’opportunité, peut être élue par les Parlements qui sont les dépositaires de la souveraineté populaire ».
La méthode proposée par Spinelli a été celle qui a fini par s’imposer. De Gasperi a lu le mémorandum, il s’est convaincu que c’était bien là la voie à suivre et il s’est mis au travail.
Il ne nous est pas possible de reconstituer ici, acte après acte, les événements qui suivirent. Qu’il suffise de rappeler que De Gasperi a donné à la délégation italienne — jusqu’alors l’une des plus jalouses dans la défense de la souveraineté nationale — l’instruction précise de poser à la conférence le problème de la Communauté politique ; et aussi que, lors de la séance du 11 décembre 1951 du Conseil des ministres des affaires étrangères de la CECA, il parvint à faire accepter son point de vue.
Après avoir obtenu ce premier succès (l’article 38 du traité C.E.D. qui liait l’institution de la Communauté européenne de défense à celle de la Communauté politique), il s’agissait d’accomplir le second pas, c’est-à-dire d’établir la procédure pour parvenir à définir des Statuts pour la Communauté politique. Même alors, la tendance des gouvernements était de confier des tâches de ce genre à des fonctionnaires. Mais De Gasperi savait ce que l’on devait faire et il réussit à obtenir que cette tâche soit confiée à l’Assemblée (élargie) de la CECA qui prit, à cette occasion, le nom d’Assemblée ad hoc.
Cette Assemblée se mit au travail le 15 septembre 1952 et, le 10 mars 1953, elle approuva le texte des Statuts de la Communauté politique qu’elle remit au Conseil des ministres en chargeant sa Commission institutionnelle de veiller sur l’action des gouvernements jusqu’au succès complet de l’initiative constituante, c’est-à-dire jusqu’à la ratification de la part des Etats. Le Conseil des ministres, investi du projet de statuts, le confia à une conférence diplomatique qui s’apprêta immédiatement à défaire ce que les représentants du peuple avaient construit. C’est ainsi que, de renvoi en renvoi, le projet de constitution européenne finit par unir son destin à celui de la C.E.D. qui, bien que ratifié aux Pays-Bas, en Belgique et dans la République fédérale d’Allemagne, échoua le 30 août 1954, en France, à cause aussi du fait que l’Italie, déjà alors plus diligente en paroles que dans les faits, ne l’avait pas ratifié.
Il convient également de rappeler que le sens objectif de cette tentative — bien que née à l’ombre de la protection américaine consistait à affirmer l’indépendance des Européens, même sur le plan militaire, et à instituer un véritable Marché commun avec une monnaie commune, un budget adéquat et un gouvernement efficace. Et il importe de rappeler aussi que, si l’échec de la C.E.D. a rendu vain le projet de Communauté politique, il n’a pas compromis, par contre, le projet d’instituer un Marché commun qui était prévu dans les Statuts et qui a constitué la matière de ce que l’on a appelé la relance européenne de Messine. Il faut encore observer que, bien que vouée à l’échec, cette tentative n’en avait pas moins fourni des enseignements précis pour ceux qui voudraient s’adonner de nouveau à la fondation de l’Etat européen. Et ce fut ainsi qu’après la maturation de la crise de la Communauté et la dissolution de la sotte foi dans le passage mécanique de l’unification économique à l’unification politique, les avant-gardes fédéralistes se sont battues pour le vote européen et, l’ayant obtenu, pour l’initiative constituante du Parlement européen, le seul en mesure d’exprimer un point de vue européen et de l’affirmer, grâce au consensus populaire, face aux États. C’est le chemin qu’a parcouru jusqu’ici le Parlement européen, grâce surtout à l’action d’Altiero Spinelli qui a tiré de la première tentative de fonder l’État européen l’enseignement que le projet de constitution ne doit pas être soumis à l’examen d’une quelconque conférence diplomatique, ni, quoi qu’il en soit, d’aucune instance inter-gouvernementale, mais doit être transmis, au contraire, directement aux États en vue de sa ratification.
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Cette route maîtresse est clairement indiquée par la première disposition finale du Traité, l’article 82, gui stipule : « Le présent Traité est ouvert à la ratification de tous les États membres des Communautés européennes. Dès que le présent Traité aura été ratifié par une majorité d’Etats membres des Communautés dont la population constitue les deux tiers de la population globale des Communautés, les gouvernements des États-membres qui auront ratifié se réuniront immédiatement afin de décider, d’un commun accord, les procédures et la date d’entrée en vigueur du présent Traité, ainsi que les relations avec les États qui n’ont pas encore ratifié ».
La voie que les faits ont suivie est plus tortueuse. L’Italie et la Belgique ont fait savoir qu’elles étaient prêtes à ratifier, mais elles ne l’ont pas fait. Mitterrand a déclaré sa volonté de soutenir le Traité, mais il ne l’a pas fait ratifier. Dans les autres pays fondateurs de la Communauté (République fédérale d’Allemagne, Pays-Bas et Luxembourg) et en Irlande, on perçoit un vaste consensus qui ne s’est pas toutefois formalisé en actes parlementaires ou de gouvernement et, moins encore, en celui de la ratification.
Dans un climat aussi évanescent, aucun gouvernement n’a eu le courage de ratifier sans retard, mettant ainsi les autres dans la position malaisée de devoir dire ouvertement oui ou non face à l’ensemble de l’opinion publique européenne. Et c’est ainsi que le Conseil européen de Fontainebleau a donné mandat à un comité, constitué de représentants personnels des chefs d’État et de gouvernement, d’étudier le problème. En substance, Fontainebleau amorce une phase interlocutoire qui laisse toutes les voies ouvertes. C’est là un caractère que le Conseil européen de Dublin a entendu confirmer en invitant le Comité à poursuivre ses travaux et à rédiger un rapport final pour le mois de mars, en s’engageant, dès à présent, à discuter ce rapport au cours de la session qui se tiendra à la fin du mois de juin en Italie.
Les premières indications de méthode qui émergent des travaux de ce Comité (le rapport « intérimaire » préparé par Faure) envisagent la convocation d’une conférence inter-gouvernementale qui aura pour tâche de négocier le Traité institutif de l’Union.
Cette perspective n’est certes pas ce qu’a souhaité de mieux, et souhaite, le Mouvement européen qui se méfie, par principe, des conférences diplomatiques et ce, non seulement en raison de la leçon tirée des événements de 1953, mais aussi parce qu’il a conscience que, de par leur nature même, lesdites conférences tendent à produire des compromis qui soient acceptables par tous et partant nécessairement pauvres de contenus innovateurs. En dépit de cela, le Mouvement européen n’exprime pas d’opinions préjudicielles rigides quant à la procédure. Il en exprime, par contre, au sujet des contenus, en déclarant, dès à présent, sa désapprobation à l’égard de tout dessein institutionnel qui ne soit pas à même de doter la Communauté de la capacité d’action dont elle a besoin, c’est-à-dire ne comportant pas l’institution d’un gouvernement efficace et démocratique, même limité, en un premier temps, aux compétences économico-monétaires. Il s’agit, en substance, du « minimum politico-institutionnel » qui était envisagé et garanti par le projet de Traité du Parlement européen.
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Le modèle constitutionnel dont s’est inspiré le Parlement européen est celui du régime parlementaire, régime auquel ont été adaptées les institutions existantes. C’est ainsi que le Conseil européen — jusqu’ici organisme de fait, non prévu par les traités institutifs de la Communauté — devient présidence collégiale de l’Union ; la Commission — dont le président est désigné par le Conseil européen et a le pouvoir de la constituer (tout comme l’a aussi le Chancelier de la République fédérale d’Allemagne) — exerce le pouvoir exécutif après avoir obtenu la confiance du Parlement envers lequel elle est responsable ; le Parlement et le Conseil de l’Union (l’actuel Conseil des ministres, dont toutefois il est prévu qu’il ne détienne plus aucun pouvoir exécutif) exercent, enfin, la fonction législative et budgétaire. Cette organisation constitutionnelle assure le minimum politico-institutionnel susceptible de doter la Communauté d’une capacité effective d’action afin de rendre son gouvernement plus démocratique.
Cet objectif est atteint, en premier lieu, en instituant un circuit direct entre citoyens, parlement et gouvernement — sans exclure cependant les États — et, en second lieu, en réduisant le rôle du Conseil des ministres qui cumulait en soi d’une façon aberrante, les pouvoirs législatif et exécutif comme à l’époque de l’absolutisme, mais sans jouir d’une capacité effective de décider, étant sujet, comme toute institution inter-gouvernementale, à la logique de l’unanimité (que l’on songe à la capacité d’action dont disposerait le gouvernement italien s’il était constitué d’un Conseil des présidents des régions dont chacun disposerait du droit de veto !).
Il y a lieu d’observer incidemment que le problème de la capacité d’action de la Communauté était, et est encore, le problème décisif. Il existe désormais une large convergence d’opinions sur ce qu’il est indispensable de faire pour que la Communauté sorte de la crise. Et le Parlement européen s’en est fait ponctuellement l’interprète en approuvant le rapport Albert-Ball qui suggère les politiques de relance appropriées, en souhaitant le passage sans délai, à la seconde phase du S.M.E. et la relance de l’ECU. Le point focal est toutefois qu’aucune consolidation des politiques communes et aucun progrès vers l’union monétaire ne sont possibles avec l’actuel mécanisme décisionnel intergouvernemental. Il s’ensuit que l’engagement du Parlement européen en vue de la réforme institutionnelle ne revêt absolument pas le caractère d’une évasion irresponsable par rapport aux contenus, mais il constitue la seule réponse adéquate pour réaliser véritablement lesdits contenus. Par conséquent, de même que la lutte pour la ratification du Traité coïncide objectivement avec la lutte pour réaliser les indications de contenu, le fait d’agiter correctement les thèmes relatifs au contenu ne peut qu’être profitable à la crédibilité de la thématique institutionnelle.
On pourra peut-être s’étonner que lors de toutes nos allusions à la capacité d’action de la Communauté nous ayons négligé de mentionner les problèmes de la politique étrangère et ceux de la sécurité. Il ne s’agit nullement d’un oubli. La vérité est, en effet, que ce gouvernement démocratique et efficace est institué uniquement pour l’union économique et monétaire, vu que la politique étrangère et la sécurité sont bien, il est vrai, des compétences de l’Union, mais qui sont gérées selon la méthode traditionnelle de la coopération intergouvernementale, tant que les États ne décideront pas à l’unanimité de déférer également ces compétences à « l’action commune », c’est-à-dire de les remettre au gouvernement démocratique de l’Union.
C’est pourquoi il est correct de définir le Traité d’Union comme « l’avant-dernier pas » vers la fondation de la Fédération européenne.
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La construction de l’Union européenne a une signification d’ordre politique évidente, mais elle en a également une autre, encore plus importante bien que moins immédiatement évidente, au plan historique.
Pour ce qui est du premier aspect, l’Union est aujourd’hui le seul moyen pour réemprunter le chemin de l’intégration économique, pour surmonter les difficultés que comporte l’élargissement à l’Espagne et au Portugal, pour relever le défi des pays technologiquement plus avancés, pour contribuer activement à l’instauration d’un nouvel ordre économique et monétaire mondial. Mais dans ses perspectives de développement en matière également de politique étrangère et de sécurité, elle est aussi le seul moyen pour refondre l’alliance atlantique dans les termes sains de la « equal partnership », pour promouvoir, avec la relance de la détente, la transition ordonnée vers un équilibre multipolaire plus pacifique ménageant davantage de marge à la négociation qu’à l’affrontement militaire pour instaurer de nouveaux rapports avec les Européens des autres pays de l’Est et avec le tiers-monde, pour apporter une contribution efficace de paix au Proche-Orient.
Pour tout ce qui est du second aspect, qu’il suffise de rappeler que la Communauté est née sur le mot d’ordre de la pacification entre les plus grandes nations de l’histoire. C’est pourquoi la Communauté constituera, par un achèvement démocratique et constitutionnel, un grand modèle de pacification pour l’ensemble du genre humain. Si les Français et les Allemands peuvent vivre ensemble sous le règne d’une même loi, établie et acceptée démocratiquement et garantie par un gouvernement démocratique commun, ne pourrait-il pas en être de même, demain, pour les Palestiniens et les Israéliens, les Irakiens et les Iraniens, les peuples d’Afrique et d’Amérique latine, et aussi, dans un avenir encore trop éloigné, de tout le genre humain ?
L’Union européenne sera donc un puissant facteur de paix. Mais elle marquera aussi la première grande victoire de la démocratie au niveau des relations internationales, en affirmant qu’il est possible de soustraire ces dernières à la loi sauvage de la force et de les subordonner au contrôle conscient des hommes. Cela est destiné à faire mûrir le sentiment que, dans un monde qui est en train de devenir de plus en plus « un », « un » doit être également ce qui le gouverne, et que, bien qu’il soit ambitieux et encore lointain, cet objectif est cependant historiquement possible.