XXVI année, 1984, Numéro 3, Page 187
L’Union économique et le projet de Traité
JOHN PINDER
Le vote massif en faveur du projet de Traité, le 14 février 1984, exprimait le mécontentement des députés du Parlement européen à l’égard de la Communauté européenne dans sa forme actuelle. Cela vient en partie de l’impuissance des pays membres dans leurs relations stratégiques avec les superpuissances. Mais cela reflète en grande partie l’incapacité de la Communauté à maîtriser la crise dans l’économie contemporaine.
La déception des députés à l’égard de la Communauté reflète également leurs espoirs de ce qu’elle pourrait accomplir. La prospérité et le dynamisme des pays membres dans les années soixante étaient associés à l’établissement du libre échange à l’intérieur, au tarif extérieur commun et — à la satisfaction de tous les pays membres à l’époque — à la politique agricole commune. Outre ces éléments, les traités de la Communauté européenne avaient fourni une structure institutionnelle et le schéma de compétences ultérieures qui semblaient promettre une croissance continue de l’intégration politique.
Mais depuis les années soixante ce développement de l’intégration politique s’est essoufflé. Malgré l’élimination des barrières douanières, le marché intérieur de la Communauté reste fragmenté par des distorsions non-tarifaires, en particulier dans certaines industries à haute technologie. Le Système monétaire européen n’est qu’une pâle image du système de monnaie communautaire qui fut proposé en 1970 dans le rapport Werner.[1] Les politiques structurelles de la Communauté sont trop faibles pour contribuer notablement à la promotion des adaptations dans des secteurs qui en ont un besoin urgent. Cette conjonction d’une intégration faible avec la stagflation contraste vivement avec la combinaison de forte intégration et de croissance dynamique qui l’ont précédée.
Il est incontestable que la stagflation a été causée par des changements dans l’économie réelle que le système d’administration économique n’a pas encore réussi à contrôler et auxquels le système devra s’adapter. Mais il est plausible que dans l’Europe de l’Ouest, qui a été plus affectée par la stagflation que les autres économies industrielles avancées, un élément de cette adaptation doive être un renforcement de l’administration économique commune, ou une intégration politique, qui aille de pair avec les progrès de l’intégration des économies réelles des pays de l’Europe de l’Ouest. De l’endroit où ils siègent, il est compréhensible que les députés européens considèrent cela comme la clé d’une économie prospère de la Communauté ; et il est juste d’avertir le lecteur que l’auteur considère cela comme étant au moins l’une des clés sans lesquelles il est peu probable que soit ouverte une nouvelle ère de prospérité européenne.
Des institutions communautaires faibles et un manque d’instruments
Le glissement de la science économique de l’économie politique vers l’économétrie a détourné l’attention des économistes des institutions dans lesquelles se fait la politique économique, et dans une certaine mesure des instruments grâce auxquels elle est menée. Il est donc assez naturel que les députés, dont le travail quotidien implique des institutions politiques et des instruments politiques, ne partagent pas cette vue déformée ; beaucoup d’entre eux ont identifié la faiblesse institutionnelle comme la cause centrale de l’échec de la Communauté à créer une puissante union économique.[2]
L’essence de cette faiblesse apparaît dans la recherche de l’unanimité parmi les gouvernements des pays membres quand les décisions significatives doivent être prises, associée au « déficit démocratique » qui fait que, en l’absence de pouvoirs législatifs du Parlement européen, les choix qui sous-tendent ces décisions gravitent entre des ministres surmenés se rencontrant quelques heures à Bruxelles et des comités de fonctionnaires représentant les gouvernements membres.
Ainsi on critique la Communauté existante parce qu’elle ne réussit pas à réaliser le potentiel des traités qui l’établissent, car les gouvernements des pays membres, suivant la démarche du général de Gaulle au milieu des années soixante, ont étendu la pratique du veto bien au-delà des limites envisagées dans les traités. En même temps on considère que les traités eux-mêmes s’en remettent trop au vote intergouvernemental unanime pour introduire de nouvelles politiques ou créer de nouveaux instruments politiques.
La monnaie et la politique monétaire peuvent être pris comme paradigme. Une monnaie communautaire était une partie normale des premiers plans en vue de l’intégration européenne.[3] Mais le Traité de Rome, bien que conçu explicitement pour établir une Communauté économique européenne, restreignait ses stipulations dans le domaine monétaire à une demi-douzaine d’articles bénins qui envisageaient des consultations sur les politiques conjoncturelles et des balances de paiements. A l’évidence les pères fondateurs, qui avaient été battus dans leur tentative d’intégration des systèmes de défense grâce à une Communauté européenne de Défense en 1954, n’avaient pas envie de s’attaquer à ces autres citadelles de la souveraineté nationale que sont les ministères des finances et les banques centrales. L’intégration monétaire resta cependant à l’ordre du jour de l’union économique, même si cet ordre du jour resta caché tant que de Gaulle fut président de la République en France ; mais peu de temps après le départ de de Gaulle, le rapport Werner proposa une union monétaire, à l’intérieur de laquelle il y aurait eu « la convertibilité totale et irréversible des monnaies, l’élimination des marges de fluctuation des cours de change, la fixation irrévocable des rapports de parité et la libération totale des mouvements de capitaux.[4]
Bien que le rapport Werner soit si précis dans sa définition de l’union monétaire, il était tout à fait vague quant à ses implications institutionnelles. Une monnaie commune (ou des parités irrévocablement fixées avec une convertibilité totale, ce qui revient au même) enlèverait le principal instrument de la politique économique des mains des Etats membres. Cela exige par conséquent que cet instrument principal soit géré collectivement, c’est-à-dire, pour parler clair, par un seul gouvernement commun. Le rapport Werner, cependant, sans aucun doute dans l’espoir de ne pas éveiller de réflexes gaullistes en France parlait simplement du besoin qu’il y avait « d’un centre de décision pour la politique économique » sans indiquer que cela impliquerait une réforme politique radicale.[5] Mais cette ambiguïté fut fatale pour le projet car le gouvernement français n’avait aucune envie de transférer la souveraineté monétaire à des institutions communautaires effectives tandis que d’autres gouvernements, et particulièrement le gouvernement allemand, ne voulaient pas fixer les parités de façon permanente sans un tel transfert.[6] Les schémas pour les taux de change qui suivirent, y compris le Système monétaire européen dans sa forme actuelle, n’ont pas correspondu à cette idée qu’une union économique devrait être établie et que ceci exige un transfert substantiel d’instruments de politique monétaire des Etats membres à l’administration de la Communauté.
Nous avons raconté l’histoire de l’« Union économique et monétaire » assez longuement parce qu’elle illustre parfaitement la raison pour laquelle le projet de Traité a été conçu pour amener à la fois la réforme des institutions de la Communauté en un système de gouvernement européen (et de gouvernement parlementaire — ceci étant la forme de base dans les pays membres) et l’extension des compétences de la Communauté et de ses instruments. L’expérience a en effet montré aux promoteurs du Traité ce que le bon sens leur avait probablement dit au départ : que sans institutions effectives qui disposent d’instruments adéquats, il est peu probable qu’une union économique et monétaire puisse se développer.
Compétences et instruments
L’union économique esquissée dans le projet de Traité comprend cinq aspects principaux de la politique publique : l’achèvement du marché intérieur, la politique du commerce extérieur, les politiques structurelles, la politique monétaire et économique générale et le budget de l’Union.
Le Marché intérieur
Le Traité de Rome prévoyait la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux à l’intérieur de la Communauté et le droit pour les nationaux de chaque pays membre de travailler et d’établir des activités économiques dans d’autres Etats membres. La vision était celle d’une Communauté dans laquelle les mouvements seraient aussi libres et sans difficulté qu’à l’intérieur de l’un des pays constituants. Mais nous avons vu que l’une des déceptions concernant la Communauté, c’est que cette vision ne s’est pas traduite dans la réalité. Avec la signification croissante de la spécialisation et de la dimension dans l’économie moderne, cet échec est devenu un handicap croissant pour les industries dans les pays membres dans leur concurrence avec des vastes économies plus homogènes comme celles du Japon et des États-Unis.
Cet échec est dû en partie à la difficulté qu’il y a à obtenir un accord unanime pour éliminer une distorsion donnée là où l’unanimité est stipulée dans le Traité de Rome (par exemple dans le rapprochement de législations qui gênent le fonctionnement du Marché commun) ou simplement pratiquée plus souvent que le Traité ne semble l’envisager (par exemple pour s’assurer de la liberté de fournir des services dans l’ensemble de la Communauté). Ainsi une partie substantielle de la vision d’un marché unique et homogène, que le projet de Traité réaffirme (voir art. 47) pourrait être assurée par la combinaison de l’héritage de l’« acquis communautaire »[7] avec ses institutions les plus efficaces.
Tandis que l’application des institutions réformées de l’Union à l’acquis communautaire offrirait la solution la plus simple au problème de l’élimination des barrières et autres distorsions à l’intérieur de l’Union, les rédacteurs du Traité du Parlement européen ont ressenti la nécessité d’aller plus loin pour s’assurer que ce soit réalisé complètement et sans trop de délai. Ils sont donc allés au-delà de l’acquis communautaire dans leurs articles 47-49, sur la liberté de circulation, la politique de la concurrence et « le rapprochement des législations relatives aux entreprises et des législations fiscales ».
Ainsi non seulement l’article 47 stipule-t-il une compétence exclusive de l’Union pour « achever, garantir et développer la libre circulation des personnes, des services, des biens et des capitaux » à l’intérieur du territoire de l’Union, mais elle poursuit et demande à l’autorité législative de l’Union d’établir « des programmes et des calendriers précis et contraignants » pour le processus de libéralisation, et de fixer des périodes de deux ans pour assurer la libre circulation des hommes et des marchandises, de cinq ans pour les services et de dix ans pour les capitaux. A l’évidence les réticences dont certains gouvernements ont fait preuve pour accepter le libre mouvement des services et des capitaux, par exemple, ont conduit les rédacteurs à se douter que même les plus simples et efficaces des institutions qu’ils proposent pourraient bien ne pas atteindre les résultats désirés sans les obligations détaillées du Traité.
Une fois encore, plutôt que de s’en remettre aux institutions de l’Union pour poursuivre une politique de concurrence telle qu’elle est définie dans les articles 85 et 86 du Traité de Rome, le projet de Traité dans son article 48 donne à l’Union « la compétence exclusive pour achever et développer la politique de concurrence au niveau de l’Union », établissant un « régime d’autorisation des concentrations d’entreprises » basé sur l’article 66 du Traité de la C.E.E. et « la nécessité d’interdire toute discrimination entre les entreprises publiques et privées ».
De façon à renforcer les dispositions du Traité de Rome pour éliminer les distorsions fiscales et légales du Marché commun, l’article 49 du projet de Traité demande à l’Union de « se rapprocher des dispositions législatives réglementaires administratives qui se rapportent aux entreprises... dans la mesure où de telles dispositions ont une incidence directe sur une action commune de l’Union et d’« opérer le rapprochement des législations fiscales » dans toute la mesure où cela est nécessaire pour l’intégration économique à l’intérieur de l’Union. Mais si le souhait des rédacteurs de balayer les toiles d’araignées bureaucratiques qui défigurent le Marché commun était incontestablement de bon sens, il faudrait aussi ne pas oublier que certaines des différences juridiques, administratives et fiscales parmi les pays membres reflètent une diversité sociale ou culturelle qu’il serait imprudent ou même impossible d’éliminer. Ainsi des équilibres différents d’impôts directs et indirects à Aberdeen et à Palerme peuvent venir de différences bien ancrées dans les attitudes à l’égard de l’État ou à l’égard de son rôle en relation avec la justice sociale ; les buts, les procédures et les compétences d’une Union européenne ont besoin d’être définis suivant des lignes qui tiennent suffisamment compte de telles distinctions. Nous reviendrons sur la question de savoir si le projet de Traité pourrait être amélioré sur ces points.
Commerce extérieur
La politique de commerce extérieur (ou politique commerciale commune, comme le dit le jargon de la Communauté) est le succès le plus frappant de la politique de la Communauté. Sur d’autres terrains essentiels des relations internationales, tels que la monnaie et la défense, la Communauté reste un nain politique dans ses relations avec les Etats-Unis. Dans les négociations commerciales, au contraire, la C.E.E. a montré, peu de temps après la mise en application du Traité de Rome, qu’elle était devenue l’égale des États-Unis. Cela fut mis en évidence quand le président Kennedy mit en route le « Kennedy round » des négociations tarifaires au sein du G.A.T.T., en réponse à l’émergence de cette nouvelle puissance commerciale avec son tarif extérieur commun ; la situation n’a pas changé, depuis lors, dans les négociations commerciales.
La différence entre avant et après l’établissement de la Communauté économique européenne fut précisément la création du tarif communautaire commun qui empêcha les gouvernements membres d’effectuer des accords nationaux séparés avec leurs partenaires commerciaux sur la base de tarifs nationaux séparés. La puissance d’un instrument de politique commune n’aurait pas pu être démontrée de façon plus convaincante. Cependant, bien que les institutions de la C.E.E. aient — encore que de façon pesante et avec une douloureuse lenteur — réussi à utiliser cet instrument dans les négociations tarifaires, elles n’ont qu’un triste bilan dans la création de nouveaux instruments communs. La même force centrifuge des systèmes bureaucratiques et politiques nationaux des Etats-membres qui se trouvait à la source de leur incapacité à rassembler leur pouvoir de négociation quand ils avaient encore des tarifs séparés, a sapé leurs bonnes intentions pour créer d’autres instruments communs. C’est cette stérilité, dans une période où de nouveaux instruments apparaissent si nécessaires pour gérer l’économie interdépendante de la Communauté et pour défendre ses intérêts face à un monde extérieur très dur qui a conduit les architectes du projet de Traité à donner tellement d’importance aux procédures institutionnelles qui supprimeront les blocages actuels, non seulement en vue d’une utilisation efficace des instruments existants mais aussi en vue de l’établissement de nouveaux instruments.
Ainsi la brève clause du projet de Traité pour la politique de commerce extérieur est beaucoup plus efficace que sa brièveté ne pourrait le laisser croire. « Dans le domaine de la politique commerciale, l’Union dispose d’une compétence exclusive » (art. 64.2) ; cela donne aux institutions de l’Union, qui ont beaucoup plus de pouvoir de décision que celles de la Communauté, le pouvoir d’utiliser aussi bien les déjà substantiels instruments de politique commerciale de la C.E.E. que de nouveaux instruments rendus de plus en plus nécessaires par l’importance des influences non-tarifaires sur le commerce international.
La politique structurelle
La Communauté n’est pas sans compétence pour faire une politique structurelle et créer des instruments pour la mettre en œuvre. Sa politique agricole est fameuse, ou notoire, suivant le point de vue. Le Traité de Rome contenait plus d’articles sur les transports que sur l’agriculture, mais sans effet équivalent ; la C.E.C.A. prévoit une politique structurelle pour le charbon et l’Euratom pour l’énergie atomique. La Communauté possède aussi plusieurs instruments de politique industrielle.
Historiquement, la protection a été l’instrument de politique industrielle de base pour la plupart des pays ; l’efficacité du tarif commun de la C.E.E. ainsi que les façons dont le projet de Traité le renforcerait ont déjà été décrites. En dépit de son inachèvement, le développement du marché intérieur de la C.E.E. a été l’un des actes les plus importants de la politique industrielle de ce siècle ; les efforts vigoureux et continus de la Communauté pour réaliser un marché unique et libre restent au centre des politiques industrielles. Le projet de Traité, comme nous l’avons vu, équipe l’Union pour assurer un dénouement victorieux à ces efforts.
Les subventions ont récemment concurrencé sérieusement la primauté de la protection traditionnelle dans le domaine de la politique structurelle. La C.E.E. dispose d’un « éventail de fonds de financement »[8] qui peuvent être utilisés pour sa politique industrielle, y compris le Fonds social — argent recueilli en vertu du Traité établissant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, le Fonds de Développement régional, la Banque d’Investissement européen et la « facilité Ortoli » par laquelle la C.E.E. peut se procurer des capitaux pour financer des projets d’investissements. Mais « l’un dans l’autre, les fonds financiers de la Communauté sont d’importance modeste ».[9] L’une des mesures économiques les plus importantes contenues dans le projet de Traité est le pouvoir que donnent les articles 71-2 à l’Union de créer autant de recettes pour le budget européen que ses institutions pourraient le décider par des procédures de vote majoritaire. L’Union, par conséquent, ne serait pas contrainte comme la Communauté d’utiliser ses instruments financiers pour sa politique industrielle.
Étant donné la dimension modeste des ressources financières de la Communauté, son principal pouvoir dans le champ des subventions industrielles a été celui, négatif, de contrôler les subventions attribuées par les gouvernements membres (dans le jargon de la Communauté, les aides d’État). En principe le Traité de Rome considère ces dernières comme « incompatibles avec le Marché commun » dans la mesure où elles sont une distorsion ou « menacent de déformer la concurrence en favorisant certaines entreprises ou la production de certaines marchandises », (art. 92). Mais le même article continue et admet que ces subventions puissent être compatibles avec le Marché commun si elles doivent promouvoir le développement de régions à bas niveau de vie ou souffrant de sous-emploi, des projets importants d’intérêt européen commun, ou le développement de certaines activités économiques ou régions, où ceci « n’affecte pas de façon préjudiciable les conditions d’échange dans une mesure défavorable à l’intérêt commun ». Ainsi la Commission de la C.E.E. a-t-elle pu utiliser ses pouvoirs non seulement pour interdire les subventions qui portent préjudice à la concurrence mais aussi pour autoriser celles qui aident à « accélérer les réactions du système d’entreprise privée à de nouveaux investissements et aux opportunités technologiques… et à l’adaptation des industries qui ont besoin de contracter et de redéployer leurs ressources ».[10] Le pouvoir négatif d’interdire les subventions nationales a ainsi été transformé en influence en faveur d’une adaptation positive ; le projet de Traité n’a pas proposé de changement dans les pouvoirs de la Communauté en ce qui concerne les aides d’Etat, la possibilité pour l’Union de disposer de plus d’argent pour ses propres subventions accroîtrait cependant considérablement sa capacité d’orienter la politique industrielle dans une direction positive.
La politique de la concurrence peut de même être utilisée pour encourager l’adaptation dans des secteurs qui ont besoin de s’adapter par réduction de capacité ; après avoir administré la politique de concurrence sur des principes néo-libéraux assez orthodoxes, dont la législation américaine anti-trust a montré qu’ils peuvent exercer une influence considérable sur la structure industrielle, la Commission a commencé de promouvoir des ajustements dans une branche de l’industrie chimique de cette façon plus positive. Le projet de Traité a, cependant, cherché à renforcer cette ligne d’action en demandant à l’Union de développer sa politique de concurrence « compte tenu des nécessités de la restructuration et du renforcement industriel de l’Union face aux perturbations profondes que peut provoquer la concurrence internationale » (art. 48).
L’acquis communautaire en ce qui concerne la politique de commerce extérieur, le marché intérieur, les subventions et la politique de la concurrence a été ici passé en revue parce que l’utilisation par les institutions de l’Union des compétences qui font déjà partie du patrimoine serait la contribution la plus importante du projet de Traité à la politique structurelle, du moins si les ressources financières plus importantes impliquées dans les articles 71, 75 et 76 (voir ci-dessous) étaient également prises en compte. On pourrait certes argumenter qu’il n’était pas nécessaire pour le projet de Traité de prévoir de nouvelles dispositions pour la politique structurelle. Mais l’article 53 entre bien, en fait, dans les détails de la politique structurelle ; l’article 58 prévoit des mesures de grande portée sur la politique régionale, tandis que l’article 73 stipule « un système de péréquation financière… pour alléger des déséquilibres économiques excessifs entre les régions ». Sous les deux articles 53 et 58 l’Union reçoit une compétence convergente : c’est-à-dire que « tant que l’Union n’a pas légiféré, les règles nationales restent en vigueur » (art. 12), mais que les États membres ne pourront plus légiférer par la suite.
Pour l’agriculture et la pêche, le projet de Traité demande que l’Union « poursuive une politique destinée à réaliser les objectifs définis » dans l’article 39 du Traité de Rome ; ce n’est guère nécessaire, puisque c’est une partie de l’acquis communautaire dont l’Union hériterait. Pour l’énergie, des objectifs plus ambitieux que ceux que l’on trouve dans les traités établissant la C.E.E. sont spécifiés ; ils comprennent non seulement la sécurité des approvisionnements, la stabilité du marché et une harmonisation de la politique des prix, mais aussi « le développement des énergies alternatives et renouvelables... des normes techniques communes en matière d’efficacité, de sécurité et de protection des populations et de l’environnement, et… l’exploitation des sources européennes d’énergie ». La politique structurelle implicite dans de tels objectifs, de plus, devra s’appliquer à toutes les sources d’énergie, tandis que les traités existants ne prévoient d’objectifs structurels spécifiques que pour le charbon et l’énergie atomique. Le Parlement européen, nettement handicapé par la politique énergétique faible et partielle de la Communauté, donnerait à l’Union la capacité de se doter d’une politique énergétique forte et globale.
Pour les transports le projet de Traité réitère l’objectif, déjà clairement exprimé dans le Traité de Rome, qui est de mettre fin aux distorsions et discriminations, et ajoute l’objectif important de créer « un réseau de transports adapté aux besoins européens ». L’objectif d’établir « un réseau de télécommunications aux normes communes » ouvre également des perspectives nouvelles et significatives.
Pour l’industrie et pour la recherche et le développement le projet de Traité n’insiste pas sur la définition de buts particuliers mais donne à l’Union le pouvoir de coordonner les actions des Etats membres. Dans le cas de la recherche et du développement cela prend la forme, grosse de conséquences, d’une Union « coordonnant et orientant les actions nationales », ce qui pourrait être interprété comme ouvrant la porte du contrôle par l’Union non seulement des détails des politiques des gouvernements membres, mais même, suivant l’interprétation du mot « nationales », des activités de recherche et de développement jusqu’ici indépendantes des gouvernements à l’intérieur des Etats membres. Le projet de Traité donne également pouvoir à l’Union de « donner son appui financier aux recherches communes... et... entreprendre des recherches dans ses propres établissements », deux activités que la Communauté exerce déjà dans la limite de ses ressources actuelles.
Dans le domaine de l’industrie, le contrôle de l’Union est limité « aux politiques des États membres dans les branches industrielles particulièrement importantes pour la sécurité politique et économique de l’Union. Pour les autres branches industrielles l’acquis communautaire avec un plus grand pouvoir financier de l’Union est, pense-t-on, et sans doute à juste titre, capable de fournir une ouverture suffisante pour la politique industrielle de l’Union. Là où « la sécurité politique et économique » sont en jeu on pourrait trouver légitime que l’Union morde plus profondément sur la compétence des États membres, ceci dépendant peut-être de la manière plus ou moins large dont une telle sécurité est définie.
La politique monétaire et la politique économique générale
La plus importante des dispositions du projet de Traité sur le terrain de la politique économique générale, en fait la clé de toutes ses propositions économiques, se trouve dans l’article 52, qui donne à l’Union la compétence « pour réaliser une Union monétaire » complète. Tous les Etats membres doivent faire partie du Système monétaire européen ; le F.M.E. (Fonds monétaire européen) doit être établi (d’après l’article 33) avec « l’autonomie nécessaire pour garantir la stabilité monétaire » ; « une partie » des réserves des États membres doivent être transférées au F.M.E. ; l’ECU (European Currency Unit) doit devenir une monnaie de réserve et un moyen de paiement et l’Union doit en promouvoir une utilisation plus large. Plus généralement, l’Union doit établir « les modalités et les étapes de la réalisation de l’union monétaire ». Dans les cinq premières années, les chefs de gouvernement au Conseil européen peuvent suspendre ces lois monétaires, mais par la suite il n’y aura pas d’obstacle à l’établissement par l’Union des institutions d’une union monétaire du type défini par le rapport Werner.
Cet article, avec les institutions plus efficaces de l’Union, suffit pour transférer des États membres à l’Union le pouvoir de mener la politique économique générale. Le projet de Traité ajoute à cela, cependant, une compétence concurrente pour l’Union « en ce qui concerne la politique monétaire et la politique du crédit européennes, notamment afin de coordonner le recours au marché des capitaux par la création d’un comité européen du marché des capitaux ainsi que d’une autorité européenne de contrôle des banques ». La compétence en matière de politique monétaire et de crédit paraît, quoi qu’il en soit, implicite dans l’article 52. Mais les termes « coordonnant le recours au marché des capitaux » pourraient être interprétés comme requérant une forme de contrôle direct sur les marchés de capitaux, plutôt que l’établissement d’un cadre régulateur qui était probablement l’intention de départ.
Une partie de l’article 50, qui donne à l’Union une compétence concurrente « en matière de politique de conjoncture en vue de faciliter notamment la coordination des politiques économiques en son sein », semble également redondante à la lumière de l’article 52 ; car en même temps que l’établissement progressif de l’union monétaire, la responsabilité de la politique monétaire passe inévitablement à l’Union. L’article 50, cependant, semble donner à l’Union le pouvoir de contrôler les budgets à l’intérieur des États membres, qui constituent l’autre instrument principal des politiques économiques et conjoncturelles. Les lois de l’Union doivent établir les principes sur la base desquels « la Commission définit les orientations et les objectifs auxquels doit être soumise l’action des États membres » et « les conditions dans lesquelles la Commission veille à la conformité des mesures prises par les États membres aux objectifs qu’elle a définis ». Ceci peut évoquer le spectre d’un gouvernement de l’Union qui traite les budgets intérieurs des Etats membres comme le gouvernement britannique a traité les budgets locaux à l’intérieur du Royaume-Uni contre le principe de toutes les fédérations démocratiques, qui maintiennent les budgets d’États à l’abri du contrôle fédéral.
L’argument en faveur du contrôle de l’Union sur les budgets des Etats membres est que, tandis que dans la plupart des fédérations le budget fédéral est plus important que ceux des États, l’Union démarrerait avec un budget qui représenterait quelque 2% des dépenses publiques des pays membres dans leur ensemble. Le budget de l’Union aurait par conséquent peu de poids par rapport aux budgets des États et aux budgets locaux comme instrument conjoncturel ou de politique économique générale. Cet argument fut mis en avant au temps du rapport Werner, qui de la même façon proposait le contrôle de la Communauté sur les budgets des États membres, spécifiant « les recettes et les dépenses globales, la répartition de ces dernières entre investissement et consommation et le sens et l’ampleur du solde ».[11] Mais au moment où ce rapport fut rédigé, la confiance dans l’efficacité de la gestion de la demande par les manipulations fiscales était plus grande qu’elle ne l’est maintenant ; le groupe Werner était, comme nous l’avons vu, remarquablement peu soucieux des implications politiques de ses propositions. Même si la manipulation fiscale apporte une grosse contribution à une gestion efficace de la demande (ce qui peut encore être le cas, en dépit du scepticisme actuel) cela devrait être opposé aux conséquences politiques d’une si lourde charge de centralisation dans une Union qui aura besoin de susciter de la vitalité politique non seulement au centre mais aussi à l’intérieur des États membres. La fiscalité et les dépenses publiques sont parmi les instruments principaux de la politique sociale aussi bien que de la politique économique, et la démocratie ne peut pas s’épanouir vraiment sans les contrôler. Il en découle que, tandis que les institutions de l’Union contrôlent le budget de l’Union, le contrôle du budget des États reste du domaine des États. Cet argument concernant la structure politique devrait du moins être pesé avec soin par rapport au cas du contrôle de la politique économique générale par l’Union. Ce serait surprenant si le résultat était de donner à l’Union un pouvoir sur les budgets des Etats, peut-être au-delà du droit de fixer ses limites supérieures et inférieures pour l’équilibre du budget là où il y aurait une forte évidence de cette nécessité pour la stabilité économique de l’Union.
Quel que soit le résultat en ce qui concerne le contrôle de l’Union sur les budgets des États membres, son droit « d’utiliser les mécanismes budgétaires et financiers de l’Union à des fins conjoncturelles » (art. 50.4) ou à des fins de politique économique plus généralement peut difficilement être contesté. Bien que le point de départ soit le tout petit budget de la C.E.E., le projet de Traité ne fixe pas de limite aux recettes qui pourraient être perçues par l’Union ; les procédures législatives que le Traité envisage seraient susceptibles de produire à terme un budget substantiellement plus important. Nous avons suggéré plus haut que ce serait la plus importante contribution du Traité au déploiement d’instruments de politique structurelle ; on peut en fait considérer le budget, avec l’union monétaire et l’utilisation effective du patrimoine de la Communauté par les institutions réformées, comme le triptyque essentiel de l’union économique qui naîtrait du Traité.
Le Budget de l’Union
L’insistance communautaire sur des « ressources propres » pour la C.E.E. n’est pas un dogme vide mais une nécessité pratique si la Communauté doit exister comme une entité effective. L’efficacité d’un instrument commun a été démontrée antérieurement dans le cas du tarif extérieur. La Communauté, de même, ne pourrait pas réaliser grand chose si elle était incapable de payer pour des activités spécifiques, sans accord unanime entre les gouvernements pour lever les impôts nécessaires. Cela explique pourquoi le projet de Traité ouvre sa section sur le budget en annonçant carrément que « l’Union dispose de finances propres » et qu’elles « seront gérées par ses institutions » sur la base d’un budget adopté par « le Parlement européen et le conseil de l’Union » (art. 70).
Le projet de Traité prévoit ensuite des mesures pour un contrôle régulier et efficace du budget. Toute dépense doit être « soumise à la même procédure budgétaire » et il doit y avoir un rapport annuel au Parlement et au Conseil sur « l’efficacité des actions entreprises » (art. 72). Il doit y avoir un programme pluriannuel pour les recettes et les dépenses, révisé annuellement et « servant de base à la préparation du budget » ; la Commission doit faire un rapport sur « le partage entre l’Union et les États membres des responsabilités relatives à la réalisation des actions communes et des charges financières qui en résultent » (art. 74). Le budget doit « prévoir et autoriser toutes les recettes et dépenses de l’Union pour chaque année civile » ; le budget « doit être voté en équilibre », bien que ceci permette « d’emprunter et de prêter » aussi bien que de lever des recettes ; les crédits sont spécialisés par chaque chapitre groupant les dépenses selon leur nature ou leur destination » (art. 75). Ce budget doit être « exécuté par la Commission » (art. 78), qui devra soumettre annuellement au Parlement et au Conseil « le compte de gestion » (art. 80), celui-ci étant vérifié ainsi que « l’exécution du budget » par la Cour des Comptes (art. 79). Finalement « le Parlement décide d’accorder, de différer ou de refuser la décharge » (art. 81).
Le budget auquel toutes ces procédures réglementaires doivent s’appliquer sera déclaré adopté par le président du Parlement après qu’il aura été approuvé par l’autorité budgétaire, c’est-à-dire suivant des relations de procédures complexes entre le Parlement et le Conseil de l’Union stipulées dans l’article 76. Ces relations sont tout à fait similaires à celles auxquelles on a recours dans l’élaboration des lois. Dans le cas peu probable où le Conseil et le Parlement acceptent, par des majorités simples (une majorité des voies pondérées obtenue au Conseil et des voix au Parlement) le budget proposé par la Commission, ou si le Conseil et le Parlement sont d’accord par des majorités simples sur les même amendements, auxquels la Commission n’est pas opposée, le budget sera adopté. Plus vraisemblablement la Commission et le Parlement seraient d’accord sur un budget amendé par le Parlement (le Parlement devant voter à une majorité absolue de tous ses membres pour amender tout amendement proposé par le Conseil) auquel cas il serait adopté, à moins qu’une majorité qualifiée du Conseil (pour une seconde lecture du budget, les trois cinquièmes des votes pondérés et une majorité des représentations des Etats membres) ne soit contre. Présenté d’une autre façon, un budget approuvé par le Parlement et la Commission sera adopté même si seulement deux cinquièmes plus une voix des votes pondérés obtenus au Conseil et une minorité des représentations sont en sa faveur.
Cette procédure a été décrite assez en détail à cause du caractère quelle donne à la question du volume du budget de l’Union. L’Union « peut modifier par loi organique la nature ou l’assiette des recettes existantes ou en créer de nouvelles » (art. 71). Une loi organique peut être faite, si le Parlement et la Commission en sont d’accord, avec seulement un tiers plus une des voix pondérées au Conseil (art. 38). Bien qu’une majorité qualifiée au Parlement (une majorité de tous ses membres et des deux tiers des votes) soit également requise dans ces circonstances, il ne paraît pas improbable que l’Union puisse se doter d’une base fiscale qui permettrait de lever des recettes substantielles. Les sommes qui seraient produites à partir de cette base fiscale seraient décidées suivant la procédure esquissée ci-dessus, exigeant seulement une majorité simple ou une majorité absolue au Parlement et les deux cinquièmes plus une des voix au Conseil.
Il ne devrait pas y avoir beaucoup de difficulté, avec ces procédures, pour réunir l’argent nécessaire au financement des politiques décidées par les institutions de l’Union : un net contraste avec la précarité du budget actuel de la Communauté. Et ceci a une grande portée dans une période où, en dépit des réductions des dépenses publiques, le budget joue un si grand rôle dans la politique économique et sociale. Le problème pourrait être cependant que, s’il y avait des majorités centralisatrices à la Commission et au Parlement, les procédures pourraient conduire à pousser le budget de l’Union vers des niveaux qui seraient des contraintes difficilement acceptables pour le potentiel budgétaire des États membres, et par conséquent pour leur vie politique.
Ce que serait une juste division des revenus et des dépenses entre l’Union et les États est une question à laquelle on pourrait apporter bien des réponses suivant le poids donné à une variété de valeurs politiques, économiques et sociales. Le rapport MacDougall à la Commission[12] suggérait qu’un budget « pré-fédéral » concentré sur l’emploi, les politiques régionales, structurelles et cycliques, pourrait comprendre 2-2½% du produit intérieur brut de la Communauté pour s’élever à peut-être 5-7%. Quelle que soit la juste division, il y a aussi la question des arrangements budgétaires qui seraient acceptables pour les Parlements des pays membres qui auraient à ratifier le projet de Traité ; il semble douteux qu’une procédure qui donne si peu de poids aux représentations des États membres, tout en n’offrant aucune limite aux dimensions du budget qui pourrait être déterminé par des majorités au Parlement européen et à la Commission puisse être acceptable pour ces Parlements, en particulier le britannique et l’Allemand qui ont déjà une assez forte prévention contre l’impact des budgets européens sur leurs pays.
L’Union économique et les États membres
La question d’une juste division des pouvoirs entre l’Union et les États, et la question qui s’y trouve liée, bien que moins noble, de l’acceptabilité du projet de Traité pour les parlements des États membres se présente en fonction non seulement du budget de l’Union mais aussi des propositions du Traité pour l’Union économique dans son ensemble.
L’auteur, en tout cas, applaudit à la détermination du Parlement européen de voir s’établir une véritable union économique pour fournir un cadre dans lequel l’économie européenne pourrait réaliser tout son potentiel, au lieu de traîner derrière le Japon et les États-Unis comme la Communauté le fait en ce moment. Le projet de Traité contient les éléments essentiels d’un tel cadre, en particulier l’Union monétaire, un budget adéquat de l’Union et le patrimoine de la Communauté qui seront gouvernés par des institutions dont les blocages actuels auront été éliminés.
Au-delà de ces éléments essentiels, cependant, les auteurs du Traité sont peut-être allés trop loin vers la centralisation ou l’uniformité. Le potentiel pour rendre la fiscalité uniforme chez les Etats membres, pour accroître le volume du budget de l’Union au-delà de limites raisonnables, pour contrôler les budgets ou la recherche et le développement à l’intérieur des États membres a déjà été mentionné. Dans chaque cas, il serait possible de prévoir un contrepoids en amendant le projet de Traité : exclure les impôts personnels directs de l’harmonisation, par exemple, fixer un maximum (disons 5% du P.I.B. de l’Union) au-dessus duquel le budget de l’Union ne pourrait pas être augmenté sans amendement du Traité, ne donner à l’Union aucun pouvoir d’intervention dans les budgets des Etats membres ou d’interdiction de recherche et de développement dans ces Etats.
Le projet de Traité pourrait très bien être amélioré par de tels amendements spécifiques. En même temps l’adaptabilité est un grand mérite dans une constitution (ce que serait en effet le projet de Traité pour l’Union européenne) et cela signifie qu’il faut s’en remettre autant que possible à des dispositions plus générales pour sauvegarder l’autonomie des États membres contre des forces centralisatrices à l’excès.
Le projet de Traité contient déjà le principe de « subsidiarité », par lequel « l’Union n’agit que pour mener les tâches qui peuvent être entreprises en commun, de manière plus efficace que par les Etats membres œuvrant séparément » (art. 12). Ce principe pourrait devenir une sauvegarde plus effective contre une centralisation abusive s’il était prévu que les tâches en question ne seraient pas en elles-mêmes excessivement centralistes (exemple : l’harmonisation des impôts au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire aux échanges équilibrés entre les États membres).
L’empiètement du pouvoir central dans la régulation des activités économiques a été limité dans une certaine mesure aux Etats-Unis par la garantie constitutionnelle qu’aucune personne ne peut être privée « de la vie, de la liberté, de la propriété sans juste processus de la loi » ; un but similaire a été atteint dans la Constitution canadienne, en excluant la législation centrale sur le commerce et les échanges « là où elle est en conflit avec la propriété et les droits civiques dans une province ». Mais dans chaque cas il y a eu « une grande incertitude sur les pouvoirs respectifs du gouvernement général et des gouvernements d’États à cause du langage conflictuel et ambigu qui a été adopté ».[13] Le projet de Traité invoque les droits dérivés des constitutions des États membres, de la Convention européenne pour la Protection des Droits de l’Homme et les libertés fondamentales et la Charte sociale européenne (art. 4) ; et il vaudrait la peine de considérer si la façon dont cela est fait pourrait éviter certaines des incertitudes qui sont apparues au Canada et aux U.S.A.
La procédure qui permettrait aux lois de l’Union, y compris le budget, d’être votées avec le soutien d’une simple minorité des États membres et de leur vote pondéré pourrait faire basculer trop lourdement la législation de l’Union au détriment du pouvoir et de l’ouverture politique des Etats membres. Ce serait une sauvegarde contre cela, et de plus dans le droit fil des constitutions d’autres unions, que d’exiger au moins une majorité des représentations des États pour toute législation, et une majorité qualifiée pour les lois organiques plus fondamentales. Des amendements comme ces derniers au projet de Traité pourraient à la fois assurer une meilleure distribution du pouvoir entre l’Union et les États, et par conséquent, amener les États à le ratifier plus volontiers. Il serait aussi avisé de considérer les problèmes particuliers qui pourraient se poser pour des États membres dont le soutien est indispensable si l’Union européenne suivant les lignes envisagées dans le projet de Traité doit devenir une réalité. En Grande-Bretagne, et peut-être en France, les doutes sur la structure politique sont susceptibles d’être plus importants ; nous allons considérer ici les doutes économiques qui pourraient bien prédominer en Allemagne.
Les Allemands qui ont souffert de deux hyper-inflations en ce siècle sont particulièrement susceptibles de craindre une récurrence de la maladie ; ils ont peur qu’une union monétaire avec des voisins plus inflationnistes ne les tire à nouveau dans cette direction. Ils ont également une conscience aiguë d’être les « payeurs » de la Communauté et sont peu enclins à s’exposer à de plus lourdes contributions nettes au budget. Ils sont aussi conscients des mérites de l’Union politique telle que le projet de Traité la dessine, mais ils pourraient avoir besoin d’être rassurés avant de s’engager irrévocablement dans l’unité monétaire et une procédure budgétaire qui pourrait entraîner une participation financière beaucoup plus grande. De telles assurances pourraient peut-être être offertes par une procédure qui avait été conçue dans le traité de Rome, où la transition du premier au second stade avait été rendue conditionnelle à « la constatation que l’essentiel des objectifs spécifiquement fixés par le présent Traité pour la première étape a été effectivement atteint » (art. 83). Ici les objectifs en question pourraient être la stabilité monétaire assurée et une distribution équitable des coûts et des bénéfices budgétaires.
Le Parlement européen, dans sa résolution sur le projet de Traité établissant l’Union européenne a déclaré son désir « de tenir compte des positions et observations recueillies auprès des parlements nationaux »[14] en ce qui concerne le projet. On aura clairement montré dans ce qui précède que les dispositions pour l’union économique peuvent être améliorées en cours de route et que divers points non essentiels pourraient être abandonnés. Mais il reste le danger qu’au cours des discussions politiques la vision d’une union économique effective puisse se perdre. Plutôt que d’aboutir à des compromis sur l’essentiel, le Parlement européen devrait conserver au centre de son projet des points tels que la monnaie commune, un budget adéquat et des institutions efficaces. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourra aider à persuader les États membres, sinon maintenant, du moins à un stade ultérieur, d’accepter ce qui est nécessaire pour l’avenir économique de l’Europe.
[1]Rapport au Conseil et à la Commission sur la réalisation par étapes de l’Union économique et monétaire dans la Communauté (rapport Werner), Supplément au Bulletin 11-1970 des Communautés européennes, Luxembourg, 8 octobre 1970.
[2]Ceci est le point de vue d’Altiero Spinelli, promoteur principal du projet de Traité, comme on peut le voir dans Altiero Spinelli : Vers l’Union européenne, Sixième conférence Jean Monnet, Florence, Institut universitaire européen, 13 juin 1983. Voir également Michael Burgess, Federal Ideas in the European Community : Altiero Spinelli and European Union, 1981-84, Government and Opposition, été 1984, p. 340.
[3]Voir par exemple Walter Lipgens, A history of European Integration 1945-1947 : the Formation of the European Unity Movement, Oxford, Clarendon Press, p. 110, 578.
[6]Cette impasse fut analysée par John Pinder et Loukas Tsoukalis, « Economic and Monetary Union Policy », in G. Ionescu (ed.), The European Alternatives, Alphen an der Rijn, Sijthoff and Noordhoff, 1979, p. 482 et s.
[7]L’article 7 du projet de Traité stipule que « l’Union fait sien l’acquis communautaire », et poursuit en spécifiant : « les clauses des traités établissant les Communautés européennes et des conventions et protocoles qui s’y réfèrent » et « les actes des Communautés européennes, ainsi que les mesures adoptées dans le contexte du Système monétaire européen et la Coopération politique européenne », dans la mesure où celles-ci ne sont pas amendées par ou incompatibles avec le projet de Traité, ou amendées ou remplacées en accord avec les procédures inscrites dans le projet de Traité.
[8]Jacques Pelkmans, Market integration in the European Community, La Haye, Martinus Nijhoff, 1984, p. 275.
[10]Dennis Swann, Competition and Industrial Policy in the European Community, Londres, Methuen, 1983, p. 51.
[12]The Role of Public Finance in the European Communities (Mac Dougall Report), Bruxelles, Commission de la C.E.E., avril 1977.
[13]K.C. Wheare, Federal Government, Londres, Oxford University Press, 1951 (première édition en 1946), p. 149.
[14]Parlement européen, Projet de Traité établissant l’Union européenne, février 1984.