IV année, 1962, Numéro 3, Page 219
La décadence du fédéralisme aux Etats-Unis
M. ALBERTINI - F. ROSSOLILLO
En politique les mots survivent souvent aux institutions qu’ils désignaient à l’origine, car c’est une tendance naturelle chez les hommes que de chercher à ne pas prendre acte des changements intervenant dans le monde qui les entoure. Et c’est une tendance commune à ceux qui défendent comme à ceux qui combattent les institutions mourantes. Prendre acte du changement signifierait pour les uns et pour les autres être contraints de modifier leurs propres convictions et leurs propres attitudes politiques ; abandonner la position commode d’un homme qui se trouve sur un chemin déjà tracé pour en assumer une bien plus difficile, hérissée de responsabilités, celle de qui se trouve devoir analyser une situation nouvelle, construire de nouveaux schémas de représentation, confronter à ceux-ci ses propres valeurs et assumer un nouveau comportement.
Naturellement les changements, surtout s’ils sont de portée très vaste, se reflètent nécessairement dans la conscience des hommes. Mais cette conscience peut rester au niveau superficiel et ainsi ne pas influencer leur comportement. Elle peut alors donner lieu à la conservation du terme qui désignait l’institution ou la situation très transformée ou même disparue, et le terme s’applique alors avec adjonction du préfixe « néo » ou du mot « nouveau » au contexte neuf. Il s’agit d’un artifice linguistique par lequel on vise à convaincre et à se convaincre qu’un changement s’est bien produit et qu’on en a pris acte, mais que le phénomène est resté essentiellement le même ; que, surtout, les changements intervenus dans le phénomène ne comportent pas de changements dans la façon d’y faire face.
Une situation de ce genre a été créée aux Etats-Unis d’Amérique justement à propos du terme qui désigne le caractère spécifique de leur société politique. En fait, le terme de New Federalism[1] a été forgé et s’est diffusé. Cela montre que parmi les spécialistes se répand la conviction que le système fédéral américain aurait subi et serait en train de subir des changements, mais non pas de nature à altérer le fédéralisme dans sa substance. Dans un certain sens, le système fédéral américain se serait modifié seulement pour s’adapter aux conditions changées de notre époque, mais conserverait cependant dans sa forme nouvelle tous les avantages propres au fédéralisme dans sa forme classique. Le New Federalism serait caractérisé par le fait que l’initiative du pouvoir central est freinée, dans l’Amérique d’aujourd’hui, par les multiples pressions et résistances opérées par les groupes de pression et par les concentrations économiques qui se seraient substituées aux Etats-membres, créant un nouvel équilibre, égal pourtant à l’ancien dans ses caractéristiques fondamentales.
Peut-on dire que nous sommes ici effectivement en présence d’une conservation du nom destinée à cacher la mutation de la chose ? Peut-on, en d’autres termes, dire que ce phénomène linguistique reflète un processus d’automystification ? Un indice en faveur de cette hypothèse peut être tiré de l’acceptation de la part des théoriciens du New Federalism du terme de Dual Federalism pour désigner le fédéralisme classique, celui qui est issu de la Convention de Philadelphie. Cette formule n’identifie qu’un seul aspect du fonctionnement du système fédéral, et le falsifie dans la mesure où elle représente cette partie comme le tout. On peut dire que le fédéralisme classique était dualiste si l’on garde présent à l’esprit non pas le territoire dans son ensemble mais chacun de ses points et en outre si l’on considère seulement la source des décisions politiques, l’organisme autorisé à les prendre, et non leur nature. En chaque point du territoire des U.S.A. existaient de fait, et existent formellement encore, deux centres politiques indépendants, d’où émanent les décisions : le gouvernement fédéral et les Etats fédérés. Toutefois il faut encore dire que le système était au contraire moniste par rapport à la décision concrète sur les problèmes politiques, la dualité des centres de décision n’entraînant jamais deux décisions à propos de la même question. Et enfin il faut dire que la dualité des centres de décision était en fait une pluralité : la coexistence de nombreux Etats fédérés et du gouvernement fédéral dans une sphère territoriale unifiée par la constitution fédérale. En substance, le fédéralisme est à la fois moniste et pluraliste. Moniste parce que le mécanisme de l’Etat fédéral permet de réaliser une unité de décision dans son cercle, c’est-à-dire de réaliser les conditions par lesquelles à propos de chaque problème est prise une décision unique ; pluraliste parce que l’on réussit, pour la première fois dans l’histoire des moyens de gouvernement, à obtenir une telle unité de décision au milieu de la pluralité de centres de décisions politiques indépendants (c’est la fin de la souveraineté indivisible).
La grande nouveauté de la fondation fédérale américaine, comme l’avait bien vu Madison,[2] réside proprement dans le fait d’avoir crée un système à la fois moniste et pluraliste. Le fait de reconnaître dans le modèle d’Etat créé à Philadelphie un fédéralisme « dualiste », et de lui offrir un inconcevable contrepoint « moniste », est donc tellement privé de base objective qu’il laisse à penser que le but, non pas nécessairement conscient, ait été en fait de conserver le nom de gouvernement fédéral à un système dans lequel, avec le dualisme des centres de décision dans chaque point particulier du territoire, s’efface, à parler proprement, le pluralisme des centres de décision, c’est-à-dire un des éléments, indispensables du fédéralisme. Si les choses sont ainsi, le New Federalism donnerait le nom de gouvernement fédéral à un gouvernement unitaire classique (avec unité des décisions et du centre de décision).
De toute façon, pour arriver à des conclusions précises sur l’évolution du fédéralisme aux Etats-Unis, il est nécessaire avant toute chose de conserver présent dans sa véritable réalité le modèle issu de la Convention de Philadelphie. La constitution fédérale divisait les compétences du gouvernement entre pouvoir fédéral et Etats fédérés en établissant le principe que toutes les compétences non expressément assignées au premier regarderaient les seconds. Les compétences assignées au gouvernement fédéral étaient la politique extérieure, la guerre, la marine, le commerce international, le commerce entre Etats membres, la monnaie, les postes, brevets et droits d’auteur, le pouvoir d’imposer des taxes pour faire face aux besoins généraux, ainsi que quelques autres de moindre importance. Toutes les autres compétences devaient être retenues dans le ressort des Etats fédérés.
Cet aménagement constitutionnel avait dans ses racines et à son tour alimentait une « philosophie publique » pluraliste. Le loyalisme des citoyens n’était pas dirigé vers un seul pouvoir mais se divisait, selon les circonstances, entre le gouvernement fédéral et l’Etat fédéré, étant bien entendu qu’aussi bien les uns que les autres coagulaient même autour d’eux des intérêts stables.
Cette « philosophie publique » fondée sur les traditions de la période coloniale et sur le fonctionnement initial de la fédération se maintint facilement même par la suite — nonobstant la tendance générale à la centralisation et au monisme social (national) de toutes les sociétés évoluées dans le siècle passé et dans le présent — surtout parce que le mécanisme fédéral ne permit pas l’affirmation de l’école d’Etat au sens européen (la compétence scolaire étant attribuée au même centre de décision qui contrôle l’armée et la politique étrangère), et parce que les Etats-Unis étaient une « île » politique (un Etat sans frontières territoriales importantes avec d’autres Etats) ; aussi, n’ayant pas à maintenir une forte armée de terre, ils ne furent pas contraints d’instituer le service militaire obligatoire.
Nous avons ainsi rappelé le caractère essentiel du modèle fédéral, qui le distingue de tout autre type d’Etat, et il faut voir maintenant s’il a subi des transformations importantes au cours de l’histoire des Etats-Unis et spécifier en outre, dans l’affirmative, les faits historiques qui l’ont modifié.
Dans le « Federalist »,[3] Hamilton affirma qu’aux Etats-Unis ne se serait pas posé le problème d’un abus de pouvoir de la part du pouvoir fédéral. Il lui semblait que les Etats, plus liés à la vie normale des citoyens, et dont les compétences les intéressaient plus directement, auraient été toujours les plus forts. Pour cette raison le problème futur des Américains lui sembla celui d’empêcher que l’équilibre se rompît en faveur, non pas du gouvernement fédéral, mais des Etats fédérés, et d’empêcher que ces derniers pussent assumer en fait des compétences que la constitution assignait au pouvoir fédéral, avec les très graves conséquences que cela entraînait pour le maintien même de l’Union.
Jusqu’à la fin de la guerre civile cette prévision parut se vérifier. Dans le cadre américain se développa une situation du pouvoir dans laquelle les intérêts des citoyens étaient en fait administrés, dans leur presque totalité, par les Etats fédérés ; en conséquence, le loyalisme des citoyens envers les Etats particuliers, nourri des traditions coloniales, resta très fort. La fidélité à l’égard de l’Etat membre équilibrait, et par certain aspects précédait, la fidélité à l’égard de la fédération. Heureusement, dans les premières années de la fédération, Hamilton avait réussi à consolider le pouvoir fédéral. Quand son influence cessa, sa politique fut en grande partie abandonnée. Mais la force d’inertie jouait désormais à l’avantage du pouvoir fédéral. Le pouvoir fédéral, en se maintenant, maintint l’Union, mais les compétences que lui-même exerçait effectivement s’exerçaient bien peu au-delà de la politique étrangère, qui alors, comme on a vu, n’avait sur la vie des Américains qu’une incidence pratiquement négligeable. Dans de nombreux cas, même les compétences que la constitution demandait le plus clairement au pouvoir fédéral, comme le pouvoir de régler le commerce entre les Etats fédérés, étaient exercées en partie par les Etats eux-mêmes, et en mainte occasion la lettre de la Constitution fut visiblement forcée pour consentir aux Etats fédérés l’exercice de compétences que la Constitution elle-même interdisait.[4]
Sous la présidence de Jackson fut abolie la Banque des Etats-Unis que Hamilton avait crée pour lier le maximum d’intérêts industriels et commerciaux au pouvoir fédéral. La Cour Suprême, dans l’affaire Briscoe v. the Bank of Kentucky (1837), en vint à déclarer constitutionnelle une loi de l’Etat du Missouri qui avait prévu l’émission de la part d’une organisation publique de titres de crédit ayant de fait une valeur de monnaie légale, vidant ainsi de son contenu une disposition précise de la section 10 de l’article 1 de la Constitution fédérale.[5] En 1832 le législatif de la Caroline du Nord pouvait se permettre d’approuver une « Ordonnance d’annulation » par laquelle on déclarait nulles certaines lois fédérales, les Tariff Acts de 1828 et de 1832. Vers la moitié du XIX siècle, en somme, l’équilibre à l’intérieur de la fédération était tel qu’en 1850 Francis Bowen pouvait écrire textuellement dans la North American Review :[6] « Dans la distribution du pouvoir entre la fédération et les Etats fédérés, il en a été tellement réservé à ces derniers, tant de compétences sont de leur ressort exclusif, que, si la première, dans sa capacité législative, devait subitement s’arrêter d’agir, si elle s’endormait, si elle restait dans un état comateux pour un an ou deux, il n’en résulterait pas de dommage grave ».
Les choses étant ainsi, le gouvernement fédéral se maintint seulement par la force d’inertie du processus politique, inertie secondée du fait que le régime présidentiel avait affermi un système de partis de caractère « national ». Et il courut le risque de se dissoudre, quand cet appui même tomba avec la scission du parti démocratique en 1860 (Convention de Charleston). En fait il ne put éviter la sécession des Etats du Sud,[7] et c’est seulement par suite de la procédure exceptionnelle de la guerre civile et la mobilisation extraordinaire d’énergies que provoque une guerre, qu’il put surmonter la crise et recomposer l’Union. La fin de la guerre civile vit un renforcement de l’Union. Le système américain des partis y joua un rôle important. Les deux partis, recomposés après la scission démocrate et la dislocation des Whigs à l’occasion de la guerre, reprirent leurs dimensions et leurs fonctions « nationales ». Le parti Républicain, en particulier, issu de la guerre avec le prestige de la victoire au nom de l’Union, connut pendant ces années une forte poussée « nationale » (unitaire). Il réussit même à s’infiltrer dans le Sud, d’où il avait été toujours exclu, en exploitant le mécontentement des petits agriculteurs contre les propriétaires de latifundia, et le vote des nègres. Le parti démocrate, grand vaincu de la guerre civile, comprit à son tour la nécessité de prendre une plateforme politique fédérale pour survivre. En général, donc, la localisation territoriale des partis s’atténua : les intérêts qu’ils représentaient étaient désormais présents, même si c’était avec prépondérance des uns ou des autres dans les divers Etats, sur le territoire de l’Union tout entier. (Quand on parle d’unité et de particularisme dans les partis américains, il faut se rappeler que leur unité n’a jamais été, et n’est même pas aujourd’hui, monolithique comme celle de nombreux partis européens). Ainsi les partis contribuèrent-ils à atténuer les frictions entre Nord et Sud, créant un équilibre plus stable que celui d’avant la guerre, le danger d’une rupture pouvant être considéré comme annulé. Même la Banque centrale, reconstruite au cours de la Guerre civile (1863) et jamais supprimée depuis, renforça le gouvernement fédéral en lui consentant de reprendre le contrôle de la monnaie et du crédit, qui lui avait échappé.
Cela n’empêcha pas que les tentatives de réorganisation des Etats du Sud sur des bases nouvelles, opérées par la partie du Congrès restée le plus tenacement attachée à ses sentiments nordistes, tentatives qui auraient pu rompre l’équilibre cette fois en faveur du gouvernement fédéral, aient manqué leur but l’une après l’autre. La vaillante résistance des Etats du Sud et la fatigue de toute l’opinion publique américaine empêchèrent que la situation évoluât dans une mesure substantielle. L’une après l’autre, les mesures émanées du Congrès pour réorganiser les Etats du Sud, les Reconstruction Acts de 1867, furent déclarées inconstitutionnelles par la Cour Suprême[8] et le Congrès ne s’occupa plus de prendre de décisions analogues. En même temps, les Etats du Sud remirent en vigueur toutes les anciennes mesures discriminatoires à l’égard de la population noire et la Cour Suprême les avalisa.[9]
En conclusion, au terme de la Guerre Civile se réinstaura un équilibre très semblable au modèle hamiltonien, dans lequel les dangers de sécession étaient conjurés pour toujours, alors que d’un autre côté, la situation sociale, au mouvement encore relativement lent, ainsi que la persistance de l’isolement politique, empêchaient la croissance du pouvoir fédéral au-delà de certaines limites. Les premiers signes importants de changement peuvent remonter, comme on l’a signalé, aux deux dernières décennies du XIXe siècle. Le phénomène profond qui se manifesta dans cette période et y joua un rôle déterminant fut celui de l’industrialisation massive.
Pour se rendre compte de l’énorme différence entre le développement de ce phénomène aux Etats-Unis et en Europe, qu’il suffise de garder présent à l’esprit que la United States Steel Corporation fut constituée en 1901 avec un capital initial de $ 1.450.000.000. Le développement industriel, qui pouvait se produire au rythme qu’il prit effectivement grâce aux dimensions énormes du marché dans lequel agissaient les entreprises qui en étaient les protagonistes, comporta deux phénomènes dérivés de grande importance.
Il fit émerger, avec une évidence auparavant inconnue, les instances sociales qui se manifestent habituellement dans la phase de maturité du capitalisme. Les revendications d’une plus grande réglementation de l’économie par le pouvoir politique commencèrent à faire leur chemin surtout dans le domaine du traitement de la main d’œuvre (salaires et heures de travail). Si l’on tient compte du climat général de l’époque, et des façons selon lesquelles se manifesta alors et dans les décennies suivantes en Europe le phénomène de la naissance des organisations ouvrières et paysannes et de leurs luttes pour un sort plus humain, on peut dire qu’en général les Etats de l’Union ne restèrent pas tout à fait insensibles à ces instances. Ils sortirent en réalité une vaste législation économique et sociale. Même la Cour Suprême se montra impartiale et n’éleva pas d’obstacles particuliers au développement de ce processus, même si en son sein commençaient déjà à cheminer lentement ces tendances conservatrices qui, se prévalant de la lettre du 14e amendement, joueront un rôle si important dans la période du New Deal.[10]
L’économie avait une incidence très forte sur la forme de la société et sur les conditions de vie des individus et des groupes ; elle se lia en conséquence d’une façon que le temps rendit de plus en plus étroite avec le pouvoir politique.[11] Sur le caractère de ce lien, un autre aspect de l’expansion économique eut une influence décisive. La naissance de la production de masse favorisa la création des premiers grands trusts. Naturellement, avant que ce phénomène commençât, il existait déjà des courants assez importants de commerce entre Etats. Aucun des Etats n’avait jamais constitué un marché fermé. Cependant, par beaucoup d’aspects, l’économie avait toujours été un fait aux dimensions étatiques. Et si tout de même la constitution avait réservé expressément à la Fédération la compétence en matière de commerce entre les Etats fédérés, les appareils administratifs des Etats, qui en termes de quantité et d’importance réglaient un secteur économique énormément plus vaste que celui réglementé par l’administration fédérale, étaient tellement plus experts et efficaces que souvent, comme on a vu, en fait ils s’arrogeaient des pouvoirs qui ne leur incombaient pas, réglant même les courants commerciaux entre les Etats.
Mais dans les deux dernières décennies du XIXe siècle les choses commencèrent à changer profondément. Les chemins de fer tout d’abord, puis d’autres secteurs toujours plus nombreux de l’économie, cessèrent de constituer des phénomènes relevant exclusivement ou en priorité de l’Etat et commencèrent à influencer profondément la vie de la Fédération toute entière. La Pennsylvania Railroad, une des plus grandes compagnies ferroviaires américaines, traversait pendant cette période les frontières de cinq Etats et avait des embranchements dans beaucoup d’autres. La Standard Oil Company résulta en 1892 de la fusion de plus de quarante entreprises qui contrôlaient entre 90% et 98% de la production américaine du pétrole et de ses dérivés. La même chose arriva dans les secteurs de l’acier, du tabac, du cuir, des aliments en conserve et de l’électricité.
La conséquence logique de cet état de choses, ce fut que les tentatives des Etats pour contrôler les branches les plus expansives de l’économie américaine se révélèrent inefficaces. « Aucun Etat fédéré, écrivent Kelly et Harbison,[12] ne pouvait contrôler efficacement les tarifs ferroviaires à l’intérieur de ses propres frontières, parce que de tels tarifs étaient étudiés en fonction d’un réseau qui s’étendait dans d’autres Etats, dans lesquels l’Etat qui essayait d’exercer le contrôle n’avait aucune autorité. Une fixation du tarif de la part des divers Etats fédérés aurait, dans le meilleur des cas, produit des douzaines de systèmes tarifaires sans corrélation entre eux, sans aucune organisation rationnelle des tarifs au niveau fédéral. Même les grands trusts industriels qui se formèrent durant les deux dernières décennies du XIXe siècle avaient des dimensions fédérales. Comme dans le cas des chemins de fer, il n’était pas possible d’imposer une politique uniforme pour tout le territoire de la fédération avec la législation de l’Etat sur de telles industries. Quarante lois d’Etat, différentes entre elles, ne pouvaient pas donner un contrôle unifié de l’industrie du pétrole ».
En somme, l’économie des secteurs évolutifs avait atteint des dimensions continentales et, en conséquence, les Etats n’étaient plus en mesure de la contrôler. Elle exigeait désormais des contrôles à une échelle plus vaste que celle des Etats. Désormais les programmes de production et la politique des prix d’un trust qui avait son siège légal à New York n’étaient plus un fait qui intéressait le seul Etat de New York, car il avait de profondes répercussions sur toute la vie des Etats-Unis. C’est pourquoi s’imposaient des transferts d’activité des Etats fédérés au gouvernement fédéral. Mais de tels transferts étaient gravement mis en échec par les traditions que les Etats fédérés avaient derrière eux. Les Etats fédérés en étaient encore à régler efficacement le vaste secteur de l’économie qui n’avait pas encore rejoint le degré de développement du secteur d’avant garde, et le gouvernement fédéral était traditionnellement considéré par l’opinion publique comme étranger aux problèmes économiques.
C’étaient donc encore les Etats-membres qui tentaient de tenir en main une situation qui était en train de leur échapper. Il en résultait généralement des réglementations confuses et contradictoires et la Cour Suprême intervint plusieurs fois pour déclarer l’inconstitutionnalité de mesures prises par le législatif ou par l’exécutif d’un Etat qui atteignaient les entreprises pour des activités déployées dans d’autres Etats.[13]
Ainsi commença à apparaître dans cette période une twilight zone, une zone crépusculaire, autrement dit un secteur de rapports, économiques dans le cas en question, soustrait soit à la compétence des Etats particuliers (qui n’étaient plus en mesure de contrôler des phénomènes qui prenaient des dimensions continentales), soit à la compétence de la fédération à laquelle une tradition profondément enracinée dans l’âme des Américains empêchait d’étendre le pouvoir au-delà des limites où il s’était maintenu jusqu’à ce moment.
Ce secteur était destiné évidemment à être couvert par le gouvernement fédéral. En effet, pendant cette période, eurent lieu quelques transferts d’activité. Le premier événement important en ce sens fut constitué par l’approbation de l’Interstate Commerce Act le 4 février 1887. Cette loi instituait un organisme fédéral, la Interstate Commerce Commission, qui avait le pouvoir de contrôler les tarifs ferroviaires au niveau fédéral, pour empêcher les discriminations, accords, etc. Il s’agit du premier exemple important de création de ces organes dotés de compétences en partie administratives, en partie législatives et en partie judiciaires, qui ont assumé un rôle prédominant dans les Etats-Unis d’aujourd’hui. Cependant, cette Commission se vit privée d’une grande partie de ses pouvoirs, peu de mois après avoir été instituée par la Cour Suprême.[14] Le second événement important fut l’approbation du Sherman Antitrust Act, le 2 juillet 1890. Cette loi visait à empêcher les pratiques monopolistes devenues communes dans les secteurs économiques les plus expansifs. Même l’efficacité de cette loi fut par la suite pratiquement détruite par la Cour Suprême dans l’affaire United States v. Knight Co., et par d’autres sentences qui suivirent. Dans ce cadre une importante impulsion dans le sens de la croissance du pouvoir central fut donnée par Théodore Roosevelt, élu à la présidence en 1901.[15] Une abondante législation économique et sociale fut établie par le Congrès sous sa présidence et dans les années qui suivirent.[16] L’Attorney General de Roosevelt, Knox, fit revenir sous les feux de la rampe le Sherman Antitrust Act, en menant des campagnes énergiques contre les trusts et obtint des succès même devant la Cour Suprême.[17] Toujours pendant la même période la Interstate Commerce Commission fut remise en vigueur avec le Hepburn Act de 1906.
Wilson à son tour encouragea cette tendance. Sous sa présidence commencèrent à se multiplier Boards et Commissions, organismes de nature incertaine et de constitutionnalité douteuse, dont les membres étaient nommés pour de très longues périodes ou encore pour aussi longtemps qu’ils n’avaient pas donné de motif d’être destitués. En 1913 fut créé le Federal Reserve System qui augmenta considérablement les possibilités de manœuvre du gouvernement fédéral dans les secteurs de la monnaie et du crédit, basés auparavant sur l’activité de la seule Banque centrale ; celle-ci fut insérée dans un système de douze banques régionales qui coordonnaient à leur tour l’action de tous les instituts de crédit qui désiraient adhérer à l’organisation. La législation antitrust reçut une nouvelle impulsion par l’approbation en 1914 du Clayton Antitrust Act. Dans le domaine de la législation sociale nous avons, en 1916, l’Adamson Eight Hours Act qui abaissait à huit heures journalières l’horaire de travail pour les cheminots. C’est à ce moment que commence également l’intrusion du pouvoir fédéral dans l’agriculture, quoique sous forme larvée, avec l’application du Rural Credit Act de 1916 qui créait un groupe spécial de banques pour consentir des crédits aux agriculteurs.
Et, avec la transformation de l’économie, eut lieu un changement du système politique. La lettre de la Constitution resta inchangée mais l’augmentation énorme du trafic commercial entre les Etats élargit le champ d’intervention du pouvoir fédéral. L’expression « commerce entre les Etats » changea lentement de signification et en vint à inclure des activités qui n’avaient avec le commerce qu’un rapport indirect. Les Etats commencèrent à perdre leur autonomie financière, même si le phénomène ne prit pas des dimensions préoccupantes. Les premières subventions du gouvernement fédéral aux Etats affaiblis financièrement par la nouvelle allure de l’économie (les grants-in-aid) datent de la fin du XIXe siècle. La présidence gagna en prestige sous l’impulsion de Wilson. De toute façon le mouvement était encore lent. La balance de l’équilibre institutionnel, auparavant légèrement déséquilibrée en faveur des Etats, penchait du côté fédéral, mais non pas au point que la société américaine perdît son caractère fédéral.
Une autre cause de centralisation entra cependant en jeu, celle-là dérivant de la politique internationale. La première guerre mondiale fut très importante pour les Etats-Unis parce qu’elle marqua le début de l’effritement de leur position « insulaire ». Jusqu’alors la politique extérieure n’avait jamais influencé de façon profonde et radicale, au point de modifier les lignes de développement de la politique intérieure, la vie de la fédération ; il était difficile en effet d’atteindre l’Amérique du Nord et elle à son tour, n’avait pas la possibilité d’atteindre les Etats de première grandeur. La politique extérieure américaine pouvait par conséquent se réduire presque à zéro, et pour ainsi dire, ne se mettre en mouvement qu’en fonction des attaques et menaces directes de la part des Etats étrangers, et seulement au moment où celles-ci se manifestaient ouvertement.
Avec la première guerre mondiale cette situation changea. L’isolationnisme américain était basé sur l’équilibre européen et sur la puissance navale anglaise, et ces données, à leur tour, commençaient désormais à dépendre de l’Amérique elle-même qui ne pouvait plus fonder sa sécurité sur son inactivité. Quand la menace allemande pesa gravement sur l’équilibre européen et sur la puissance anglaise, l’Amérique, nonobstant sa psychologie isolationniste, dut entrer en guerre pour garantir sa sécurité. La guerre de 1914-1918 fut la première à voir une mobilisation totalitaire des énergies disponibles, caractère qui fut porté ensuite au paroxysme par la seconde guerre mondiale ; elle accentua par conséquent la tendance à la centralisation du pouvoir, avec de graves conséquences en Amérique sur le mécanisme fédéral. En matière de politique étrangère ne surgissent pas de problèmes de compétence entre Etats fédérés et gouvernement fédéral, comme il advient en matière de politique économique. La politique extérieure appartient par nature au pouvoir central, et plus elle acquiert d’importance pour la vie d’une société, plus d’importance gagne le pouvoir auquel est imparti son exercice. C’est pourquoi cet effet connaît ses conséquences les plus considérables quand la situation internationale produit la tension ou va jusqu’à déchaîner la guerre. Alors que d’ordinaire, dans un Etat fédéral, il arrive que tel intérêt s’aligne derrière le pouvoir d’un Etat-membre, et tel autre intérêt s’aligne derrière le pouvoir central s’il s’agit de politique intérieure, en matière de politique extérieure peuvent surgir des controverses sur les décisions à prendre mais pas sur le pouvoir auquel doit être confiée la tâche de prendre les décisions. Quand donc la politique extérieure prend un relief particulier, comme en temps de guerre, et influence profondément même la vie intérieure d’un Etat parce que le pouvoir central doit distraire ressources, hommes et énergies de leurs emplois habituels pour les utiliser dans la lutte contre l’ennemi, toutes les organisations, comme les Etats-membres d’un Etat fédéral, qui servaient à canaliser ces mêmes ressources, hommes et énergies dans des buts de paix perdent en importance et en autonomie et deviennent parfois elles-mêmes des instruments de guerre dans les mains du pouvoir central. En réalité, la première guerre mondiale renforça le pouvoir central dans une mesure énormément plus grande que ne l’avait fait le développement économique au cours des trente années précédentes. Des mesures furent prises, de caractère naturel dans une guerre mais très graves par rapport aux traditions américaines : le Lever Food Control Bill (1917) déclara d’intérêt public les industries de produits alimentaires et de vêtements et les soumit à une direction rigide afin d’assurer les approvisionnements nécessaires aux forces armées ; le Selective Service Act (1917) instituait pour la première fois le service militaire obligatoire ; l’Espionage Act (1917, amendé en 1918) instituait, entre autres, une forme larvée de censure postale dont furent victimes même des journaux à grande diffusion comme le Saturday Evening Post et le New York Times. Ces mesures, et d’autres encore, comme le War Revenue Act (1917), qui renforçait gravement la pression fiscale, et le War Prohibition Act (1918), qui limitait la production et le commerce des boissons alcoolisées, portèrent des coups très graves directement ou indirectement aux libertés américaines traditionnelles. La Cour Suprême se tut sur ces questions pendant que se déroula la guerre, et quand, aussitôt après la fine de celle-ci, elle fut appelée à se prononcer, elle avalisa presque sans exception les mesures prises par le pouvoir fédéral.[18] Etant donné le caractère exceptionnel de la législation de guerre, son effet direct cessa après la conclusion du traité de paix. Mais il en resta la consolidation de l’appareil bureaucratique fédéral cependant que l’endettement financier des Etats commençait à devenir désormais préoccupant. Les grants-in-aid étaient considérablement augmentés ($ 5.488.000 en 1915 ; $ 77.000.000 en 1920) et ils comportaient, même directement, de très fortes limitations, à l’autonomie des Etats-membres, parce que leur emploi était (et il le demeura) déterminé dans le détail par les organismes fédéraux compétents, alors que l’application exacte des directives fédérales était contrôlée par les fonctionnaires de Washington. Même la « philosophie publique » pluraliste subit quelques atténuations. « La première guerre mondiale, écrivent Kelly et Harbison,[19] contribua beaucoup à habituer le peuple américain à une conception élargie de l’autorité fédérale ; et ainsi, quand la grande crise économique des années trente secoua le pays, il accepta plus promptement la législation qui déléguait de nombreux pouvoirs législatifs au Président et qui envahissait la sphère traditionnelle de l’autonomie des Etats ». La balance de l’équilibre institutionnel pencha encore plus, et cette fois gravement, vers le gouvernement central. Heureusement la poussée vers la centralisation dérivant de la politique internationale subit un arrêt. La balance mondiale du pouvoir, qui avait jeté l’Amérique dans la guerre, lui réservait encore une position peu exposée. L’équilibre européen se rétablit (même si dans le sous-sol il était miné) stabilisant ses zones d’influence. L’Amérique se trouva assumer le rôle d’arbitre extérieur de l’équilibre, non celui de participant direct, et c’est pourquoi elle n’eut pas à demeurer dans les mêmes obligations militaires et psychologiques que les Etats européens. Aussi, bien que le mécanisme de la pluralité des centres institutionnels de décision fût désormais entamé, en revanche deux bases solides de la « philosophie publique » américaine traditionnelle demeurèrent intactes, structure scolaire et structure militaire restant l’une pluraliste et l’autre peu développée.
Mais la marche vers la centralisation, temporairement arrêtée dans le secteur de la politique internationale, reprit sur le terrain économique. Ayant atteint des dimensions continentales, l’économie fit un nouveau saut en avant formidable. L’Amérique était la première zone du monde où s’accomplissait le miracle de la victoire contre la misère qui, naguère pouvait être considérée comme un caractère immuable de la société humaine. Production et métiers atteignaient des valeurs incroyables : les villes se développaient, le tourisme de masse naissait, le bien-être se répandait. Le miracle économique ne concernait pas tout le territoire ni tous les groupes sociaux, mais avec sa force explosive il convainquit la majorité que la misère n’était que la conséquence de l’ignorance ou de la paresse, et qu’elle cesserait quand disparaîtraient ces défauts. Le protagoniste du miracle était le business et les Américains attribuèrent le mérite de leur prospérité aux grands complexes industriels.
Tout cela se développait en dehors du cadre politico-institutionnel, dans la twilight zone. Tous les secteurs importants de l’économie avaient pris des dimensions nationales, l’impuissance des Etats fédérés pour contrôler le processus était devenue à peu près totale, et d’un autre côté, le pouvoir fédéral, placé en face d’une situation nouvelle ne disposait ni des idées, ni des moyens ni du mobile pour intervenir. L’opinion publique, satisfaite et orgueilleuse, admirait les grands complexes industriels. Le président Coolidge lui-même était un libéral convaincu et la Cour Suprême eut en cette période le caractère le plus conservateur dont on se souvienne dans l’histoire des Etats-Unis. Le comportement de la Cour Suprême est significatif de la situation nouvelle qui venait de se créer aux Etats-Unis. Cet organisme avait toujours eu une grande importance dans la politique américaine. Bien qu’il fût privé d’un pouvoir politique véritable, ses décisions avaient constamment été observées parce qu’il avait toujours derrière lui le pouvoir fédéral ou les Etats-membres, selon les décisions qu’il prenait. Jusqu’à ce moment le loyalisme des citoyens avait été divisé entre les Etats et la fédération : chaque augmentation du pouvoir du gouvernement fédéral étant une diminution du pouvoir des Etats fédérés, et vice-versa. Il s’ensuivait que, chaque fois que la Cour annulait une loi de l’un des pouvoirs concurrents, elle avait l’autre qui la soutenait, ce qui conférait à sa décision une grande autorité et lui permettait d’être exécutée. Pourtant dans cette période — ce qui pourrait sembler stupéfiant à première vue — elle torpilla sans discrimination n’importe quel type de législation économique et sociale, qu’elle provînt des Assemblées législatives des Etats ou qu’elle provînt du Congrès, et son action contribua puissamment au maintien du statu quo. Evidemment elle avait pour elle une autre puissance, l’opinion publique canalisée par une autre institution. Cette institution, c’étaient les grands complexes industriels et les groupes financiers, les auteurs du boom économique qui étaient devenus le symbole des Etats-Unis et étaient appuyés par le consentement de la plus grande partie de l’opinion publique. Ceux-ci demandaient naturellement la plus grande liberté d’action et considéraient comme indue quelque entremise que ce fût de la part du pouvoir politique, qu’il fût fédéral ou d’Etat, et pendant plus d’une décennie ils réussirent à l’obtenir. Mais les modifications de la « philosophie publique » qui se diffusaient de cette façon, même si elles émanaient de groupes d’hommes en lutte contre le pouvoir fédéral, ne jouaient certainement pas en faveur d’un déplacement de l’équilibre en faveur des Etats membres. En fait, le problème fondamental de la vie américaine au cours de ces années était un problème à résoudre exclusivement dans le cadre fédéral, parce que les deux protagonistes de la situation — le gouvernement central et les concentrations industrielles — avaient une extension « nationale » et agissaient sur le plan fédéral. De là vint que la mobilisation de l’opinion publique de la part des grands complexes industriels et des groupes financiers jouait indirectement contre le fédéralisme parce qu’elle portait en dehors de la dialectique Fédération-Etats fédérés le courant fondamental de la vie américaine, et directement, parce que dans le cas d’une crise économique seul le gouvernement central aurait pu désormais remplir le vide qui se serait créé.
Pratiquement l’histoire des Etats-Unis depuis la fin de la première guerre mondiale jusqu’à la victoire définitive du New Deal ne peut plus être conçue, du moins dans le secteur économique, comme une dialectique entre Fédération et Etats fédérés. Les Etats-membres ont été désormais nettement dépassés par le progrès technique et par le développement de l’économie : le processus échappait nettement à leurs mains. L’histoire des Etats-Unis en cette période, au moins dans le secteur économique, peut être vue plutôt comme une histoire de contrastes entre le pouvoir fédéral et les grandes concentrations industrielles et financières, contrastes qui jusqu’en 1929 se résolurent en faveur de ces dernières.
Mais quand la crise de 1929 démontra à l’opinion publique américaine que les capitaines d’industrie et les financiers ne sont pas en mesure de gouverner longuement un Etat[20] et que pour surmonter la crise il fallait gouverner pour de bon et non perpétuer la direction anarchique précédente qui en avait été la cause, seul le gouvernement fédéral pouvait y remédier. C’était, naturellement, en augmentant son activité et ses pouvoirs.
Le protagoniste de cette politique, la politique du New Deal, fut Franklin Delano Roosevelt. L’histoire est connue. Le Congrès, sous l’impulsion du Président, édicta une législation économique massive (exemples principaux : le National Recovery Act et l’Agricultural Adjustment Act) qui était improvisée et à bien des égards vexatoire et inconstitutionnelle, mais qui n’en répondait pas moins à des exigences profondes. Mais la Cour Suprême prit une attitude myope et intransigeante, torpillant sans discrimination toutes les mesures prises par le gouvernement fédéral qui furent soumises à sa révision.[21] Ainsi s’engagea une lutte difficile entre Roosevelt et la Cour, qui ne prit fin que lorsque la composition de cette dernière changea avec la mort des juges les plus irréductibles ou la cessation de l’exercice de leurs fonctions. De fait la résistance de la Cour pouvait seulement retarder l’issue de cette lutte, car désormais, comme on l’a vu, l’impuissance des Etats en face des problèmes fondamentaux de la politique économique était apparue de façon éclairante, et des organismes économiques comme les concentrations industrielles et les groupes financiers ne sont pas en mesure, à cause de leur nature particulière, d’exercer longtemps avec succès des responsabilités politiques. Avec la victoire de Roosevelt sur la Cour Suprême, la structure constitutionnelle substantielle des Etats-Unis s’était pratiquement harmonisée aux exigences du développement économique. Sous le couvert de la Interstate Commerce Clause, le paragraphe de le Constitution qui assignait au pouvoir fédéral la compétence de régler le commerce entre les Etats, le gouvernement avait acquis le contrôle total de la politique économique (il n’existait plus d’activité économique d’une certaine importance qui n’intéressât pas, directement ou indirectement, le commerce entre les Etats fédérés).
Cette compétence ne violait pas formellement la Constitution, étant donné le changement de signification que l’expression « commerce entre les Etats » avait commencé à subir avant le début du New Deal, mais elle comportait en substance des changements profonds. Le plus grave fut la perte définitive de l’autonomie financière des Etats fédérés.[22] En théorie, le fédéralisme était fini. Les Etats, sans autonomie financière, ne pouvaient maintenir l’autonomie politique ni leur caractère de centres indépendants de décisions politiques, mais dans la pratique ce caractère put encore survivre parce que le poids du passé réussissait à atténuer les modifications du présent. Derrière les Etats restait encore, même sensiblement modifiée par les développements précédents, la force fédéraliste accumulée avec le temps, la « philosophie publique » pluraliste. Cette force se conserva par dessus tout dans l’épicentre de la vie politique, dans le système des partis qui était encore basé sur deux partis, dont chacun était une espèce de fédération des partis locaux. Alimenté par cette tradition, le système des partis, qui pendant un certain temps avait constitué un frein par rapport à la tendance centrifuge, constitua un frein à l’égard de la tendance centripète.
Les Etats fédérés continuèrent ainsi à administrer un nombre considérable d’intérêts dans les secteurs les plus divers (école, culte, radio, droit civil et pénal, etc.). Cela contribua à son tour à alimenter le pluralisme dans la société américaine et à garder vivant un fort loyalisme à l’égard des Etats de la part des citoyens qui voyaient encore, dans leur propre Etat, un moyen fondamental pour influencer leur propre vie, celle de leur famille et celle de leur ville.
Le coup décisif pour l’autonomie des Etats fut porté par la seconde guerre mondiale. Elle explosa et se déploya avec une violence et une force destructrice épouvantables. Le rapport croissant entre les facteurs économiques, les facteurs psychologiques et la puissance militaire, dû en partie au progrès technique et en partie à la logique terrible du nationalisme, fit tomber la distinction traditionnelle entre les combattants et le reste du pays, entre industrie militaire et industrie non militaire, et ainsi de suite. Ce qui n’était pas directement militarisé l’était indirectement, et constituait le front intérieur, dont la mobilisation totale était nécessaire autant que la mobilisation spécifiquement militaire pour pouvoir poursuivre la guerre. La guerre terrestre avait toujours été un facteur de concentration du pouvoir dans l’Europe continentale. Mais la dernière guerre dépassa de loin en ce sens toutes les guerres précédentes et obligea tous les Etats belligérants à prendre, au moins temporairement, le caractère de l’Etat totalitaire, complètement et monolithiquement dirigé par un centre unique et tout-puissant. En quelque manière même le gouvernement américain dut se plier à cette logique et éliminer toute résistance intérieure qui, voulant réserver aux gouvernements locaux quelque autonomie, aurait pu ralentir ses décisions ou leur exécution ou bien encore en compromettre l’efficacité. Toute lenteur, toute réserve, la distraction de quelque ressource disponible hors des emplois de la guerre aurait impliqué un risque pour la sécurité et l’indépendance des Etats-Unis.
Pendant la guerre les Etats perdirent ainsi toute importance et leur politique, de concurrente, se fit collaboratrice du pouvoir fédéral.[23] Parallèlement la caste militaire acquit une importance toujours croissante, cependant que naissait un nationalisme de type européen avec sa symbolique typique.[24]
La dialectique gouvernement fédéral-Etats fédérés, mise au rancart pendant la guerre, ne reparut pas avec son ancien caractère. Le coup porté au fédéralisme par la seconde guerre mondiale a été beaucoup plus fort que celui qui lui fut porté par la première. En outre, cette fois, il n’a plus été possible en politique extérieure de faire marche arrière. La guerre a sanctionné pour toujours la fine de l’isolement des Etats-Unis. Ils ont été une puissance décisive dans la guerre et sont restés une puissance décisive après la guerre dans la balance mondiale du pouvoir. Naturellement le pays n’est pas demeuré dans l’état de mobilisation totale de la guerre, mais il n’a même pas pu revenir à la politique de l’isolationnisme de laquelle dépendait l’équilibre gouvernement fédéral-Etats fédérés ainsi que les petites dimensions de la structure militaire. Une fois tombé le système européen des Etats. qui avait fait bénéficier les Etats-Unis d’une situation « insulaire », commença le système mondial des Etats dont les Etats-Unis sont avec l’Union Soviétique un des deux grands protagonistes. Deux sphères d’influence se sont stabilisées couvrant le monde entier. Les Etats-Unis ont dû soutenir une tâche colossale : tout ce qui dépendait d’eux serait tombé entre les mains de l’U.R.S.S. sans une présence militaire continuelle et sans une politique extérieure vigilante et habile.
On peut dire que désormais l’Amérique se trouve dans une situation analogue à celle des Etats du continent européen à l’époque du système européen des Etats ; mais, à cause du caractère bipolaire du système mondial, dans une situation encore plus exposée. La situation « insulaire » de laquelle Hamilton[25] attendait la liberté des Américains n’existe plus ; on y relève au contraire les données auxquelles il attribuait la dictature : une forte armée, et une centralisation du pouvoir répondant à la nécessité de l’intervention militaire immédiate. En effet les Etats-Unis maintinrent dans l’après guerre le service militaire obligatoire, ce qui ne peut être considéré comme insignifiant que par qui ne connaît pas le lien entre le service militaire obligatoire et le nationalisme.
Voilà l’Amérique d’aujourd’hui. Avec des tâtonnements, sa politique est arrivée avec Kennedy, à un budget militaire (pour 1963) dans lequel les dépenses militaires constituent plus des trois cinquièmes des dépenses totales, s’élevant à 92,5 milliards de dollars.
Le pouvoir fédéral, en plus de la conduite de la politique étrangère, doit prendre aussi toutes les mesures intérieures nécessaires à son efficacité. Et soutenir sur ses propres épaules le sort de la moitié du monde demande tant d’hommes et de moyens de la part de l’Etat guide que, désormais, il n’y a plus en fait de secteur de quelque importance dans la vie américaine qui relève encore de la compétence exclusive des Etats fédérés. L’autonomie des Etats dans le domaine de la radio et des télécommunications est désormais tombée sous la coupe de la Federal Radio Commission et du Committee for Un-American Activities ; l’instruction est massivement financée par le gouvernement fédéral ; l’autonomie financière des Etats a complètement disparu, et une bonne partie des activités des Etats est financée par les grants-in-aid fédéraux qui dans le budget de 1962 dépassaient les sept milliards de dollars. Le mouvement ascensionnel des subventions ne tend pas à s’arrêter, étant donné l’impossibilité de la part des Etats de soustraire au pouvoir fédéral les sources de revenu imposables, les exigences financières de ce dernier étant en augmentation continuelle.
En définitive, le pouvoir central a pris une extension équivalente à celle d’un gouvernement d’un Etat non fédéral ; et les Etats fédérés, ayant perdu l’autonomie financière, soumis par beaucoup d’aspects de leurs compétences spécifiques aux directives et à la tutelle de Washington, ont pris le caractère de provinces à autonomie déléguée, même si la forme pure de leur indépendance constitutionnelle subsiste dans la lettre de leurs statuts. Le mécanisme de l’unité de décision au travers d’une pluralité de centres politiques de décision indépendants a cessé de fonctionner.
Ayant tracé cette esquisse de l’essentiel de l’histoire du mécanisme fédéral aux U.S.A. et mis en évidence les faits, on peut dire sans l’ombre d’un doute que la balance intérieure du pouvoir s’est altérée de façon telle que les U.S.A. sont devenus un Etat plus voisin du modèle centralisé que du modèle fédéral. Si l’Amérique, malgré tout, présente encore quelques aspects fédéralistes, elle le doit au fait que le passé est toujours lent à mourir, que dans la « philosophie publique » existe encore quelque résidu du pluralisme et que cela se reflète dans les partis, lesquels, n’étant pas encore centralisés, constituent le dernier obstacle à une centralisation complète.
Et à ce point on peut même dire que ceux qui parlent de New Federalism, en se référant à la situation actuelle de l’Amérique du Nord, peuvent le faire seulement parce que leur conception erronée du fédéralisme éloigne leur regard du champ dans lequel il devrait se manifester (le champ politico-institutionnel), et le dirige vers des faits historico-sociaux non spécifiquement politiques, où, par définition, un minimum de pluralisme existe toujours. Dans toute société — même totalitaire — on n’arrive jamais en fait à un bloc social monolithique et absolu, totalement dépourvu de « groupes de pression » (qu’ils travaillent au grand jour ou dans l’ombre).
Du reste, à ce propos, on doit observer que les groupes de pression, dont l’action donnerait lieu à cet équilibre du pouvoir que l’on obtenait auparavant avec les Etats, ne sont pas du tout un fait nouveau dans l’histoire des Etats-Unis. En 1890 la législature du Massachusetts approuva une loi qui imposait l’enregistrement des lobbyists, imitée en cela par la législature du Wisconsin en 1899. En 1905 le gouverneur du Wisconsin, La Follette, adressa un message au Parlement dans lequel il demandait le droit de punir ce genre d’activités. Ce qui semble nouveau aujourd’hui, c’est le nombre et la puissance des groupes de pression qui agissent dans les Etats-Unis et le fait qu’ils soient organisés principalement au niveau fédéral. La raison d’un tel phénomène s’explique : leur fonction est d’arracher des concessions au gouvernement et au parlement, ou de défendre des privilèges déjà accordés ; c’est pourquoi ils s’étendent et se renforcent d’autant plus que plus grand est le nombre d’intérêts que l’action administrative et législative est en mesure d’englober : en un mot, d’autant plus que l’Etat est plus centralisé. Le fait que les pressure-groups se soient à un tel point renforcés et multipliés peut s’expliquer seulement par la centralisation. Il y a cent ans il n’y aurait eu aucune raison de constituer un groupe de pression opérant au niveau fédéral pour soutenir, par exemple, le prix de produits agricoles déterminés, alors que les organismes fédéraux n’avaient pas encore le pouvoir de les fixer de façon coercitive. Au reste on peut encore se rappeler que les syndicats ouvriers se renforcèrent au maximum dans les périodes où prévalut la tendance à la centralisation, c’est-à-dire de 1915 à 1920 (première guerre mondiale), de 1935 à 1940 (New Deal), et de 1940 à 1945 (deuxième guerre mondiale).[26] Que l’on se rappelle également que dans la période du New Deal les groupes dirigeants de nombreuses associations économiques prirent directement la fonction d’organismes administratifs dans le cadre de la National Recovery Administration, réalisant une forme de collaboration qui rappelle parfois le corporatisme.
Ces observations montrent que l’équilibre dans le champ des groupes de pression, et celui, de type fédéral, dans le champ politico-étatique, sont des choses différentes. Il s’agit d’un fait qui saute aux yeux, qui a son origine dans la différence entre les comportements qui sont politiques et ceux qui ne le sont pas spécifiquement. Les comportements spécifiquement politiques sont tournés vers la conquête ou le maintien du pouvoir. Si les pouvoirs à conquérir et à maintenir sont constitués par de nombreux centres indépendants de décisions politiques dans un cadre coordonné, l’activité normale de la classe politique, en maintenant l’équilibre des positions de pouvoir, maintiendra l’équilibre de ces centres, autrement dit celui du gouvernement fédéral et des Etats fédérés. Il s’agit ici d’un équilibre stable (bien entendu si ses conditions sociales intérieures et politiques extérieures persistent) car toute tentative d’expansion de la part d’un centre de pouvoir, se heurtant à un autre centre de pouvoir, heurte les positions de pouvoir de ceux qui le contrôlent et provoque leur réaction. Il va sans dire que, étant donné les rapports entre la société et le pouvoir politique, cet équilibre de pouvoirs politiques requiert, et assure, un équilibre articulé et stable entre les groupes sociaux, et réalise un degré élevé de liberté pour tous les individus.
Dans le domaine des groupes de pression il n’en va pas de même. Dans ce domaine le comportement humain est spécifiquement non politique (économique, etc…), et politique seulement dans la mesure où les activités en question peuvent être favorisées ou touchées par un pouvoir politique, donc par l’administration, par les lois, etc… Le véritable concurrent d’un groupe de pression n’est donc pas quelque pouvoir politique à l’occasion ami s’il fait des concessions, ennemi s’il met des bâtons dans les roues — mais le groupe de pression rival, qui constitue une limite permanente à son expansion. Pour cette raison les groupes de pression qui se tournent vers tel ou tel pouvoir selon leurs convenances et seulement pour obtenir des avantages particuliers, sans s’aligner de façon stable derrière aucun d’eux, ne peuvent réaliser tout seuls un équilibre de type politique. En effet, dans leur ensemble, ils ne sont qu’une partie de l’équilibre politique. Et ils sont en plus une partie divisée en composantes dont chacune voudrait faire coïncider les décisions du pouvoir politique avec ses propres prétentions ; une partie donc qui, si elle n’était pas freinée par l’extérieur, non seulement détruirait l’équilibre politique mais ne pourrait même pas s’auto-équilibrer. Voilà la raison pour laquelle on ne trouve pas d’équilibres économiques, ou en général sociaux, sans une infrastructure de pouvoir, sans une assiette politique.
Au reste, que les revendications de liberté des groupes d’intérêts soient purement instrumentales, que la liberté en tant que telle, la liberté de tous, ne constitue pas un de leurs intérêts spécifiques, le comportement des grands complexes industriels en Amérique dans la décennie qui suivit la première guerre mondiale le démontre : dans cette période en fait, pendant qu’ils prétendaient de la part du pouvoir fédéral à la pleine liberté d’action dans le marché intérieur, ils avaient réussi d’autre part à obtenir du gouvernement de Washington un système de hauts tarifs protecteurs, rien moins que conciliables avec les théories libérales qu’ils professaient.
Avec la critique de la théorie du New Federalism tombe également le dernier obstacle intellectuel qui empêche de reconnaître la crise du fédéralisme américain. Et, cette crise une fois reconnue, l’histoire de l’Amérique du Nord nous apparaît comme l’histoire d’une société politique qui a vu la naissance et la décadence du fédéralisme et peut dès lors montrer la cause de ces faits. Nous voudrions maintenant, en conclusion de cet article, les illustrer très schématiquement pour bien les mettre en évidence.
Par dessus tout s’impose la constatation d’une coïncidence, celle entre la situation d’« île » de la société politique américaine et son caractère fédéral. Avec la victoire dans la guerre d’Indépendance, le territoire des ex-colonies devint le siège d’une dialectique de la diversité et de l’unité que le mécanisme de l’Etat unitaire décentralisé ne peut canaliser, pas plus que celui du système équilibré d’Etats souverains. Le compromis de Philadelphie fut un compromis entre ces tendances, mais un compromis créateur, qui dépassait à la fois les deux positions et fondait la solution fédérale. Le fédéralisme, en unifiant l’Amérique du Nord en fit une « île ». Or, avec le déclin de la situation « insulaire » de la société américaine, le fédéralisme a également décliné, et maintenant que cette situation est dépassée, le fédéralisme, agonisant dans les institutions, survit seulement comme un fait psychologique, comme un produit du passé destiné à trouver une nouvelle sève ou à mourir.
Cette coïncidence met en lumière un seul des facteurs de la crise du fédéralisme américain. En fait, les courants historiques qui ont concentré le pouvoir entre les mains du gouvernement central ont été au nombre de deux. Le courant de la politique internationale, qui a transformé l’« île » américaine en un des deux pôles politico-militaires de l’équilibre mondial ; et le courant de l’économie industrielle moderne qui a fait pencher l’axe de l’équilibre social des Etats fédérés vers le gouvernement central. Mais, en théorie tout au moins, une dialectique de la diversité et de l’unité peut se concevoir même dans une société humaine très développée, dans laquelle la tendance au plan économique « national » se fait jour. Nous faisons allusion à l’articulation du plan général sur les plans régionaux. Il est au contraire impossible que coexistent dans le même cadre constitutionnel un fort appareil militaire à utiliser dans l’immédiat — conséquence inévitable d’une participation directe à la balance mondiale du pouvoir — et une pluralité de centres indépendants de décisions politiques. En effet, plus un Etat est exposé à l’offensive, plus il doit garantir sa sécurité avec une forte défense militaire, fait qui réclame la centralisation du pouvoir. Dans ce cas la détermination de la raison d’Etat dépasse toute autre détermination historico-sociale.
Selon la raison d’Etat, un régime fédéral est donc seulement possible dans une société politique dont la balance interne du pouvoir soit peu influencée par la balance mondiale du pouvoir et qui, de son côté, l’influence peu. En un mot, dans les « îles » seulement. Mais c’est un fait que les « îles » sont en train de disparaître. Le système européen des Etats, avec ses espaces extérieurs et ses dépendances coloniales, laissait dans l’inaction de nombreuses parties du monde. Le système mondial des Etats, puissamment animé par l’économie et par la technologie, a fait au contraire tomber tout compartiment étanche et est en train de faire naître dans toutes les parties du monde la capacité de participer activement à l’équilibre mondiale du pouvoir. Dans ce cadre historique est désormais concevable une seule « île », celle qui serait constituée par le monde entier, s’il n’y avait plus, près de chaque Etat, un Etat étranger, c’est-à-dire si la balance mondiale du pouvoir entre les Etats n’était plus une balance de pouvoir brutal à base militaire, avec recours à la guerre et à la menace de la guerre comme fondement dernier des décisions politiques, mais une balance de pouvoir exclusivement fondée sur le consensus et par là, véritablement juridique. Cela serait possible seulement par le moyen d’une réunion de tous les Etats en une fédération. On peut donc affirmer que le fédération mondiale reconstruirait, en la généralisant, la situation « insulaire », laquelle à son tour maintiendrait l’équilibre fédéral.
En substance une seule fédération stable est possible : la fédération mondiale. Cependant sont encore possibles, dans la phase présente du développement de la société mondiale, des groupements fédéraux provisoires et partiels. Par suite de la croissance en extension au delà des Etats de l’interdépendance des rapports humains, une dialectique de l’unité et de la diversité que ne peut canaliser le mécanisme de l’Etat unitaire décentralisé, et que ne peut contenir un système d’Etats en équilibre, se manifeste maintenant en Europe et se manifestera graduellement ailleurs en des aires analogues. Et dans ces aires, si elles sont organisées en fédérations, la poussée centripète dérivant de la politique internationale serait temporairement contrebalancée par la poussée centrifuge de l’inertie des traditions nationales.
Les conclusions que l’on peut tirer de l’étude de la situation du fédéralisme en Amérique du Nord et de ses possibilités dans le monde sont donc claires. Le fédéralisme, né en Amérique, ne peut être relancé qu’en Europe. La fondation de la fédération européenne allégerait le front politico-militaire des U.S.A., raffermissant le fédéralisme en Amérique, constituerait un modèle pour les zones semblables à l’Europe qui sont en train de se former dans le monde, et garderait actif le courant fédéraliste en attendant que se réalisent les conditions de son accomplissement mondial.
[1] Cf. par exemple Adolf A. Berle, Evolving capitalism and political federalism, dans Federalism mature and emergent, ed. Arthur McMahon, New York, 1955, p. 68.
[2] Hamilton, Jay, Madison, The Federalist, consulté dans la traduction française sous le titre « Le Fédéraliste », Paris, R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1957. Voir l’essai n. 39 de Madison :
« La différence entre un gouvernement fédéral et un gouvernement national, en ce qui concerne le fonctionnement du gouvernement, consiste, dit-on, en ceci, que, dans le premier, l’autorité s’exerce sur les corps politiques composant la Confédération, tandis que, dans le second, elle s’exerce individuellement sur les citoyens qui composent la nation, considérés en leur capacité individuelle. En jugeant la Constitution d’après ce critérium, le gouvernement est national et non pas fédéral ; bien que peut-être il n’en soit pas tout à fait ainsi autant qu’on semble le croire. Dans plusieurs cas, et en particulier dans le jugement des discussions auxquelles les Etats peuvent être parties, ils devront être envisagés et poursuivis comme des corps collectifs politiques. En ceci, l’aspect national du gouvernement, à ce point de vue, semble être défiguré par quelques traits fédéraux. Mais ce défaut est-il peut-être inévitable dans quelque plan que ce soit, et l’action du gouvernement sur le peuple en sa capacité individuelle, en son cours ordinaire et le plus essentiel, peut, en somme, le désigner, à cet égard, comme un gouvernement national.
Mais si le gouvernement de l’Union est national en ce qui concerne l’exercice de ses pouvoirs, nous le voyons changer d’aspect, si nous considérons l’étendue de ses pouvoirs. L’idée d’un gouvernement national implique non seulement une autorité sur les citoyens pris individuellement, mais encore une suprématie illimitée sur toutes les personnes et sur toutes les choses pour autant qu’elles sont objets de gouvernement légal. Chez un peuple constitué en une seule nation, cette suprématie est entièrement confiée à la Législature nationale. Dans les communautés réunies pour des objets particuliers, elle est remise en partie à la Législature générale et en partie aux législatures municipales. Dans les premiers cas, toutes les autorités locales sont subordonnées à l’autorité suprême, et peuvent être contrôlées, dirigées ou abolies par elle à volonté. Dans le second cas, les autorités locales ou municipales forment des parties distinctes ou interdépendantes de la suprématie, et ne sont pas plus soumises, dans leurs sphères respectives, à l’autorité générale, que l’autorité générale, dans sa propre sphère, ne leur est soumise. A cet égard, donc, le gouvernement proposé ne peut être appelé national, puisque sa juridiction ne s’étend qu’à un certain nombre d’objets déterminés et laisse aux différents Etats une souveraineté résiduaire et inviolable sur tous autres objets. Il est vrai que, dans les discussions relatives aux limites entre deux juridictions, le tribunal qui doit juger en dernier ressort doit être subordonné au gouvernement général. Mais ceci ne change rien au principe de la matière. La décision devra être impartiale et conforme aux règles de la Constitution, et les précautions ordinaires et les plus efficaces sont prises pour assurer cette impartialité. Un tribunal de ce genre est évidemment essentiel pour prévenir un appel aux armes et une dissolution du pacte. Qu’il doive être subordonné au gouvernement général plutôt qu’aux gouvernements locaux, ou pour mieux dire qu’il ne puisse être subordonné qu’au premier, c’est là une proposition qui ne, paraît pas contestable ».
Dans ce cas les éléments nationaux, d’après la terminologie de Madison, sont justement les éléments unitaires et les éléments fédéraux sont les éléments pluralistes.
[3] Essai n. 17.
[4] La Contract Clause contenue dans la section 10 de l’article I de la Constitution, établissant que « Aucun Etat ne votera de loi diminuant l’obligation des contrats » fut plus d’une fois violée par les Etats, et de telles violations, quand elles devinrent matière à décisions devant la Cour Suprême, furent souvent légitimées. Voir par exemple l’affaire Charles River Bridge v. Warren Bridge (1837) dans laquelle la Cour Suprême déclarait constitutionnelle une loi du Massachusetts qui de fait rendait nul, sans cause valable, un engagement pris par l’Etat lui-même à l’égard d’une compagnie privée, de façon gravement préjudiciable à ses intérêts. Cf. également Bank of Augusta v. Barle (1839).
Même la Commerce Clause contenue dans la section 8 du même article et statuant que « Le Congrès aura nécessairement le pouvoir… de régler le commerce avec les nations étrangères, et entre les différents Etats, ainsi qu’avec les tribus indiennes » fut vidée de son contenu par le comportement des Etats dans la période que nous sommes en train de considérer, avec le consentement de la Cour Suprême. Cf. par exemple New York v. Miln (1837), les License Cases (1847), Cooley v. the Board of Wardens (1851) etc…
[5] La section 10 de l’article 1 de la Constitution prescrit qu’« aucun Etat ne frappera de monnaie, n’émettra de billets de Crédit ; il n’admettra que la monnaie d’or et d’argent en paiement des dettes ».
[7] Le danger de sécession avait été constant pendant toute la période de l’histoire des Etats-Unis qui précéda la guerre civile. Dans sa Farewell Adresse de 1837 Andrew Jackson disait : « La dissolution possible de l’Union est… devenue un argument courant dans la conversation ».
[8] Cf. United States v. Reese (1876), United States v. Harris (1883) et les Civil Rights Cases (1883).
[9] Cf. par exemple Ex parte Virginia (1880) et les innombrables affaires postérieures.
[10] Dans Holden v. Hardy (1898) on déclara constitutionnelle une loi de l’Utah par laquelle on interdisait de prolonger l’horaire de travail des mineurs et des ouvriers des fonderies et des raffineries plus de huit heures par jour. De même l’affaire Muller v. Oregon (1908). On accepta aussi des modifications substantielles du régime de responsabilité de ceux qui donnaient du travail comme dans l’affaire New York Central R.R. Co. v. White (1917) qui déclarait la constitutionnalité du New York Workmen’s Compensation Act de 1914. Ainsi, même dans Mountain Timber Co. v. Washington (1917). Cette tendance jurisprudentielle ne fut naturellement pas constante et il y eut aussi des affaires fameuses comme Lochner v. New York (1905) dans laquelle la Cour Suprême invalida des lois sociales émanant des Etats.
[11] Dans cette période également fut notable l’activité des Etats membres dans le domaine de la réglementation de l’activité des entreprises d’utilité publique. Même sur cette question la jurisprudence de la Cour Suprême oscilla, mais il ne semble pas qu’on puisse dire qu’elle fit obstacle à cette tendance. Cf. Willcox v. Consolidated Gas Co. (1909), les Minnesota Rate Cases (1913). En sens contraire nous avons Northern Pacific Railway v. North Dakota (1915), Norfolk and Western Railway Co. v. West Virginia (1915).
[12] Kelly et Harbison, American Constitution, Its Origin and Development, New York, 1955, pp. 543-544.
[13] De graves inconvénients étaient surtout provoqués par la réglementation opérée par les Etats des tarifs des entreprises ferroviaires qui géraient des lignes entre les Etats. Rappelons à titre d’exemple un passage de la sentence de la Cour Suprême (rapporteur : juge Miller) qui concluait l’affaire Wabash St. L. et P. R. Co. v. Illinois (1886) : « Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la justesse ou sur l’opportunité du principe qu’a animé de l’intérieur la loi de l’Illinois. Limité aux transports qui commencent et finissent entre les limites du même Etat, il peut être très juste et équitable et certainement il est de la compétence de la législature d’Etat de régler les questions y afférant. Mais quand on tente d’appliquer un principe de ce type aux transports qui traversent une série entière d’Etats, et que chaque Etat essaie de stabiliser ses propres tarifs et ses propres méthodes pour permettre ou pour empêcher des discriminations dans les tarifs eux-mêmes, on ne peut se dissimuler le mauvais effet que cela produit sur la liberté du commerce entre les Etats et sur le passage des marchandises à travers leurs frontières. Ce type de réglementation, s’il doit exister, doit être de caractère général et national et ne peut pas être laissé sans inconvénient à la compétence des organismes locaux ». De nombreux cas d’inconstitutionnalité furent soulevés aussi à l’occasion de controverses provoquées par des tentatives des Etats pour taxer des entreprises au nom d’activités se déroulant hors de leurs frontières. Cf. State Tax on Foreign Held Bonds (1873), Loan Association v. Topeka (1875), Delaware Lackawanna and Western Railroad Co. v. Pennsylvania (1905), Union Refrigerator Transit Co. v. Kentucky (1905).
[14] Cf. Cincinnati, New Orleans and Texas Pacific Railway Co. v. Interstate Commerce Commission (1896) ; Interstate Commerce Commission v. Cincinnati, New Orleans and Texas Pacific Railway Co.(1897), Interstate Commerce Commission v. Alabama Midland Railway Co. (1897).
[15] Theodore Roosevelt vit avec lucidité quelles étaient, au commencement de notre siècle, lès conséquences à tirer, en termes de politique économique, du développement de l’économie. Dans son discours du 6 août 1912, dans lequel il accepta la désignation pour la candidature à la présidence du parti Progressiste, il dit : « Nous, membres du parti Progressiste, nous sommes pour la défense des droits du peuple. Quand ces droits peuvent être mieux garantis par les droits des Etats, nous sommes pour les droits des Etats. Quand ils peuvent être mieux garantis par les droits nationaux [c’est-à-dire déterminés par la législation fédérale] nous sommes pour les droits nationaux. Le commerce entre les Etats peut être effectivement contrôlé par la seule nation [lisez, fédération]. Les Etats ne peuvent le contrôler, dans le cadre de la Constitution, et amender la Constitution, en leur attribuant un tel contrôle, équivaudrait à dissoudre le gouvernement fédéral. Les pires parmi les gros trusts ont toujours cherché à garder vivant un sentiment favorable à ce que ce soient les Etats et non la nation qui prennent ce contrôle, parce qu’ils savent qu’à la longue ce contrôle se révélerait inefficace. Il n’y a pas de façon plus sûre d’empêcher quelque tentative valable que ce soit de résoudre ce problème que de s’obstiner à ce que ce problème soit du ressort des Etats plutôt que de celui de la nation, et de créer à ce propos un conflit entre les Etats et la Nation. L’ignorant bien intentionné qui avance une telle proposition fait autant de mal que s’il était au service de ces mêmes trusts parce qu’il fait le jeu de toutes les grosses sociétés intéressées à neutraliser toute action anti-trust. La seule façon efficace de régler leur compte aux trusts est celle qui consiste à exercer le pouvoir collectif du peuple américain dans toute sa complexité, à travers les organismes établis par la Constitution dans ce but précis ».
[16] Que l’on se rappelle par exemple la Pure Food and Drug Law (1906) ; Meat Inspection Act (1906) ; White Slave Traffic Act (1910) ; Phosphorous Matches Act (1912) ; Harrison Anti-Narcotics Act (1914) ; Child Labor Act (1916).
[17] V. Northern Securities Co. v. United States (1904) ; Swift and Company v. United States (1905).
[18] V. Schenk v. United States (1919) ; Abrams v. United States (1919) ; Pierce v. United States (1920).
[19] Op. cit., p. 663.
[20] Cf. John Kenneth Galbraith, The great crash, 1929, Londres, 1961. Affirmant la nécessité d’un contrôle fédéral sur le secteur économique qui avait pris des dimensions fédérales, il ne s’agit pas ici de prendre une position dirigiste plutôt que libérale. Une alternative de ce genre ne se pose pas dans ce cas spécifique, si l’on pense que même le libéral Lionel Robbins (The great depression, Londres, MacMillan, 1934, pp. 30 sp.) fait remonter l’écroulement à l’absence d’une politique énergique de la part du Federal Reserve System. Sans entrer dans la polémique entre libéraux et dirigistes, on veut se rapporter simplement au fait que dans la période précédant la crise les grandes concentrations économiques et les groupes financiers se soustrayaient même aux contrôles juridiques normaux et aux instruments normaux de la politique économique (même libérale).
[21] Voir, pour ne citer que deux exemples parmi les plus connus, Schechter v. United States (1935) par quoi fut déclarée l’inconstitutionnalité du N.R.A. et United States v. Butler (1935) par quoi fut déclarée l’inconstitutionnalité de l’A.A.A.
[22] En 1937 les grants-in-aid se montaient à $ 296.000.000.
[23] Les Flag Salute Cases dont il est parlé de façon plus détaillée dans la note (24) naquirent tous à la suite de dispositions prises par les législations d’Etats ou locales. Cf. Minersville School District v. Gobitis (1940) ; West Virginia State Board of Education v. Barnette (1943) ; Taylor v. Mississippi (1943).
[24] Les Flag Salute Cases sont caractéristiques en ce sens. Ils proviennent du refus de quelques étudiants d’obtempérer à la disposition leur enjoignant de saluer le drapeau américain exposé à l’intérieur de leur école. Ces manifestations nationalistes étaient dictées par la nécessité de construire une unité nationale monolithique. « L’unité nationale, est-il dit dans l’exposé des motifs de l’affaire Minersville School District v. Gobitis, est la base de la sécurité nationale ».
[25] Le Fédéraliste, Essai n. 8 :
« Nous affirmons donc comme une vérité démontrée que les Etats particuliers, en cas de désunion ou de quelque combinaison qui puisse se former des débris de la Confédération générale, seraient soumis à ces vicissitudes de paix et de guerre, d’amitié et d’inimitié qui sont le lot de toutes les nations voisines, lorsqu’elles ne sont pas réunies sous le même gouvernement…
Ils seraient, en même temps, obligés d’armer d’une plus grande force le bras du pouvoir exécutif ; par là, ils achemineraient progressivement leurs Constitutions vers la Monarchie. C’est l’effet de la guerre d’augmenter l’autorité exécutive aux dépens de la puissance législative…
Il y a aussi une grande différence entre les établissements militaires dans un pays rarement exposé par sa situation aux invasions, et dans un pays qui y est toujours sujet et qui les redoute toujours. Les gouvernants du premier n’ont point de prétexte plausible même s’ils en ont le désir, pour tenir sur pied les armées nombreuses qui sont nécessaires au dernier.
Ces armées étant, dans le premier cas, rarement mises en mouvement pour la défense intérieure, le peuple ne court aucun danger d’être soumis à une subordination militaire. Les lois ne s’accoutument point à fléchir en faveur des exigences militaires ; l’état civil conserve toute sa vigueur sans être jamais altéré ni corrompu par les principes ou les tendances de l’état militaire. La médiocrité de l’armée rend sa force inégale à celle du reste de la communauté, et les citoyens, qui ne sont pas habitués à demander leur protection au pouvoir militaire, ni à se soumettre à ses abus, n’aiment ni ne craignent les soldats ; ils les considèrent dans un esprit de tolérance inquiète pour un mal nécessaire ; ils sont prêts à résister à une puissance qu’ils croient pouvoir être exercée au préjudice de leurs droits. Dans ces conditions, l’armée peut prêter au magistrat un concours utile pour réprimer une faction peu redoutable, un attroupement accidentel ou une insurrection ; elle est incapable d’assurer le triomphe des ses usurpations contre les efforts unis de la plus grande partie du peuple.
Dans un pays tel que celui que nous avons indiqué le dernier il arrivera tout le contraire. Le menace perpétuelle du danger forcera le Gouvernement à être toujours prêt à le repousser ; il lui faudra des armées assez nombreuses, pour une défense immédiate. La nécessité continuelle de ses services rehausse l’importance du soldat et dégrade en proportion la condition du citoyen. L’état militaire s’élève au-dessus du civil ; les habitants des territoires qui sont souvent le théâtre de la guerre, se trouvent nécessairement exposés à de fréquentes violations de leurs droits, ce qui contribue à affaiblir en eux le sentiment de leurs droits ; insensiblement le peuple est amené à voir dans les soldats, non seulement des protecteurs, mais encore des supérieurs. De là à les considérer comme des maîtres, la transition n’est ni longue, ni difficile ; mais il est très difficile de déterminer un peuple ainsi disposé à résister avec courage et efficacité à des usurpations appuyées par le pouvoir militaire.
Le Gouvernement de la Grande-Bretagne est dans la première de ces situations. Sa position insulaire, sa marine puissante, en la mettant dans une large mesure à l’abris d’une invasion étrangère, la dispense de la nécessité d’entretenir dans le royaume une armée nombreuse. Tout ce qu’il lui faut, c’est une force suffisante pour se défendre contre une descente soudaine jusqu’à ce que la milice ait eu le temps de se rallier et de s’incorporer. Aucun motif de politique nationale n’a exigé, et l’opinion publique n’aurait toléré, dans son établissement domestique une plus grande quantité de troupes… C’est à une situation si heureuse qu’elle doit en grande partie la conservation de la liberté dont elle jouit aujourd’hui en dépit de la vénalité et de la corruption qui y règnent. Si, au contraire, l’Angleterre eût été située sur le Continent et forcée, en raison de sa position à proportionner ses établissements militaires à ceux des autres grandes puissances de l’Europe, elle serait probablement aujourd’hui, comme elles, la victime du pouvoir absolu d’un seul homme. Il est possible, quoique peu vraisemblable, que le peuple de cette île soit asservi par d’autres causes ; mais il ne peut l’être par les entreprises d’une armée aussi peu considérable que celle qui est entretenue dans l’intérieur de ce royaume.
Si nous sommes assez sages pour maintenir l’Union, nous pourrons jouir, pendant des siècles, d’un avantage semblable à celui d’une situation insulaire. L’Europe est à une grande distance de nous. Les colonies qu’elle a près de nous ne seront pas, de longtemps, en état de nous donner de sérieuses inquiétudes. De grands établissements militaires ne seront pas, dès lors, nécessaires à notre sûreté. Mais si nous nous démembrions, si ces parties intégrantes restaient isolées, ou, ce qui est plus vraisemblable, formaient entre elles deux ou trois Confédérations, nous éprouverions bientôt le sort des puissances continentales de l’Europe : nos libertés seraient anéanties par les moyens employés pour nous défendre contre l’ambition et l’envie des autres ».
[26] Cf. le volume très documenté de V.O. Key, Politics, Parties and Pressure Groups, New York, 1959, p. 51 sp.