LE FEDERALISTE

revue de politique

 

IX année, 1967, Numéro 4, Page 151

  

 

Considérations sur l’Allemagne prénazie
 
ALESSANDRO CAVALLI
 
 
LA QUESTION ALLEMANDE
Depuis qu’il existe une Allemagne comme entité politique autonome, c’est-à-dire, pour nous entendre, depuis que sous la conduite habile de Bismarck la Prusse a unifié une grande partie du territoire habité par des populations de langue allemande, il existe une question allemande. L’Allemagne a toujours été un problème tant pour les Allemands que pour les peuples voisins. Un problème pour les Allemands, parce que depuis l’origine l’Etat allemand s’est montré l’ennemi de la liberté civile et politique de ses citoyens ; un problème pour les peuples voisins, parce que l’Allemagne, comme du reste presque tous les Etats, ne possède pas de frontières naturelles et est entourée de territoires où la population allemande est diversement mêlée à des populations d’origine ethnique différente. Le but politique d’unifier tous les Allemands en un Etat unique s’est nécessairement heurté aux droits des populations qui cohabitent avec la population allemande. Enfin, l’Allemagne a été un problème pour tous les peuples européens, voisins et lointains, et même pour les peuples extra-européens, pour avoir tenté d’imposer son hégémonie à l’Europe et au monde.
Mais l’Allemagne est aussi un problème pour le spécialiste de sciences sociales qui se demande justement le pourquoi de l’existence d’une question allemande. Le spécialiste de sciences sociales ne se contente pas des explications simplistes qui veulent faire remonter la question allemande aux attributs du caractère national, à une nature autoritaire et sadomasochiste imprécise, au sens de la discipline, au perfectionnisme, à l’obéissance aveugle aux ordres. Tous ces traits, et la liste pourrait être allongée de beaucoup, même quand ils semblent plausibles et correspondre à la réalité, n’expliquent pas le pourquoi d’une question allemande, mais sont eux-mêmes des phénomènes et des données à expliquer. Le spécialiste de sciences sociales se demande dans quelles conditions, par l’opération de quelles forces sociales, les hommes se comportent d’une façon donnée, il cherche à découvrir les structures du comportement et les liens qui unissent les structures du comportement aux structures sociales. L’attitude du spécialiste de sciences sociales à l’égard de la réalité vise à déchirer les rideaux de fumée des généralisations faciles et des explications courantes, sa fonction est de distinguer le mythe de la réalité, sa tâche est de radiographier la société pour en voir la structure osseuse invisible directement.
Pourtant, l’analogie ne doit pas être poussée au delà d’une certaine limite parce qu’à la différence du radiologue (ou du biologiste, de l’astronome, du chimiste, etc.), le spécialiste de sciences sociales fait en un sens partie de son objet de recherche, il étudie la société et la plupart du temps il étudie justement la société où il a été formé, où il a été progressivement introduit d’abord par la famille puis par l’école et par le travail et par les expériences de la vie. Il étudie une société où sa famille occupe une certaine position sociale et jouit du prestige correspondant, il étudie une société qui par l’intermédiaire de son appareil institutionnel (la production, l’instruction, la recherche, etc.) lui fournit les moyens de vivre et, enfin, il étudie une société qu’il voudrait changer ou bien conserver. En d’autres termes, le spécialiste de sciences sociales est lié d’une façon multiple et multiforme à la société et donc à son objet d’étude.
Ces considérations ont une valeur générale, elles ne s’appliquent pas seulement au spécialiste de sciences sociales, mais à la pensée sociale en général. Toute pensée est liée à la société qui la produit et à la position sociale qu’y occupe le spécialiste. La discipline qui étudie ce conditionnement prend le nom de sociologie de la connaissance et s’enracine dans l’une des traditions les plus fécondes de la pensée allemande, de Marx à Mannheim et à Max Weber. Ce n’est pas par hasard que la sociologie de la connaissance est née et s’est répandue, au moins au début, surtout en Allemagne, puisque les intellectuels ne se sont jamais rangés aussi clairement qu’en Allemagne, d’un côté, parmi les apologistes de l’Etat et des classes au pouvoir et, de l’autre, parmi les contestataires de l’Etat et des classes en question, reflétant par suite les contradictions et les conflits internes de la société allemande. La culture allemande offre donc un champ d’investigation fécond à celui qui veut rechercher les racines sociales de la pensée.
Dans cet écrit, nous nous proposons justement, sans perdre de vue les apports de la sociologie de la connaissance, d’analyser la façon dont quelques penseurs allemands ont abordé la question allemande.
 
LA STRUCTURE DE LA SOCIETE ALLEMANDE ENTRE 1870
ET LA PREMIERE GUERRE MONDIALE
Voyons donc, fût-ce sommairement, quels sont les traits structurels de la société allemande qui servent de toile de fond au développement de la pensée sociale allemande à l’époque qui précède la première guerre mondiale.
L’unification nationale de l’Allemagne a été essentiellement l’œuvre de la Prusse, la classe dirigeante prussienne a laissé son empreinte sur le Reich et sur l’empire des Guillaumes. Quelles furent les caractéristiques de cette classe dirigeante ? La Prusse fut l’exemple typique d’un Etat doté d’une bureaucratie étendue et efficace, fidèle à son devoir de servir la couronne, exemplaire par la correction formelle et l’incorruptibilité, et d’une armée de terre de grandes proportions et organisée d’après le principe d’une discipline de fer. A ces aspects de la structure de l’Etat correspond une structure économique principalement agraire et faiblement industrialisée. La noblesse terrienne (les fameux Junker) est la classe dominante, elle domine l’économie, l’armée et l’Etat et marque la société de son empreinte patriarcale.
Vers la seconde moitié du XIXe siècle, l’Allemagne est un des pays européens économiquement les plus arriérés. Si nous comparons le développement de l’Allemagne avec celui de l’Angleterre et même, en partie, de la France, nous voyons que l’Allemagne n’a pas connu la formation d’une forte classe bourgeoise (entrepreneurs, industriels, commerçants, financiers), si ce n’est dans des zones marginales (les cités hanséatiques, le pays de Bade et quelques villes de la Rhénanie). Le libéralisme allemand, qui avait vu en Napoléon d’abord le libérateur, puis l’usurpateur, et qui en 1848 avait en vain tenté de déchaîner une révolution libérale, n’a jamais pu s’appuyer sur une classe bourgeoise qui aurait vu l’affirmation de ses droits dans la lutte contre la classe aristocratique et féodale liée à la terre (et donc à l’exploitation d’une classe paysanne) et dominée par une mentalité préindustrielle et fondamentalement antilibérale.
Avec l’unification nationale, cette classe dominante, qui avait trouvé en Bismarck son champion et son guide politique, se trouve avoir entre ses mains un Etat inséré dans un contexte international dont les points de repère sont la France et l’Angleterre, deux nations dont le développement économique et social avait été marqué, bien que diversement, d’une empreinte bourgeoise, libérale, tendanciellement démocratique. La classe des entrepreneurs, au moins en partie émanation directe de la noblesse terrienne, naît sur l’initiative et sous la protection de l’Etat et hérite de la mentalité féodale et militaire de l’aristocratie. La grande industrie allemande n’est pas l’œuvre d’une classe bourgeoise formée lentement et qui voit dans l’Etat un ennemi plus qu’un promoteur, mais elle est l’émanation de cet Etat et de la classe dominante, elle naît en vertu des privilèges et de la protection accordés par l’Etat.
Dans les premières décennies du Reich, l’Allemagne vécut sa révolution industrielle, mais ce fut une révolution de haut en bas, l’industrialisation fut rapide et radicale, comme il sied à l’industrialisation tardive, et conduisit la grande industrie à la domination de l’économie nationale. Si nous prenons comme indice de l’industrialisation la production du fer, nous voyons qu’en Angleterre et en France de 1870 à 1910 elle a respectivement doublé et triplé, en Allemagne au cours de la même période elle a décuplé. Si nous prenons (base 100 en 1913) l’indice de la production industrielle, nous voyons qu’en Angleterre il est passé de 34 en 1860 à 53 en 1880 et à 79 en 1900, en Allemagne, il est passé de 14 en 1860 à 25 en 1880 et enfin à 65 en 1900. Au début du XIXe siècle, le pourcentage de la population occupée en dehors de l’agriculture était en Allemagne de 20% ; à la fin du siècle, il était de 65%. Les données relatives à la dimension des entreprises sont tout aussi éclairantes : en 1910, en Angleterre, le capital moyen d’une société par actions s’élevait à 1 million de marks environ, en Allemagne à 3 millions. A quoi vient s’ajouter la plus forte concentration du capital en Allemagne due au rôle déterminant des banques d’affaires dans le processus de développement économique de ce pays.
La particularité de ce processus de développement économique se reflète sur la pensée économique allemande. L’économie classique (celle d’Adam Smith et de David Ricardo), qui avait donné tant de poids à l’idéologie de la concurrence entre petites et moyennes entreprises dans le cadre de l’action régulatrice du marché, n’a jamais trouvé de défenseurs valables en Allemagne, précisément parce que les données de l’expérience ne correspondaient pas même de loin aux données de la théorie. A la place de l’économie classique, nous trouvons au contraire l’économie de F. List, le théoricien de la protection de l’industrie, du néomercantilisme économique.
En définitive, si une bourgeoisie se forma, ce fut une bourgeoisie par la grâce de l’Etat, une bourgeoisie qui ne tendait pas à se différencier de la classe aristocratique mais plutôt à y être incorporée et à en adopter les modèles de comportement. Le capitalisme allemand fut un capitalisme d’Etat avant la lettre qui connut les formes du monopole et de l’oligopole avant de pouvoir passer par une phase concurrentielle, fût-ce à l’état rudimentaire. Une bourgeoisie qui ne fait point valoir de droits politiques, ni de revendications politiques autonomes, une classe donc, au service de la classe dominante, non dissemblable dans les traits fondamentaux et politiquement importants aux fins de notre analyse, de la bureaucratie de l’Etat.
Cela en ce qui concerne les classes supérieures et les classes moyennes (l’aristocratie, la classe bureaucratique, la classe bourgeoise) ; que dire au contraire des classes « inférieures » ? Là encore, nous trouvons une situation qui s’écarte radicalement des pays d’industrialisation plus ancienne et progressive. La classe paysanne reste fondamentalement attachée à la glèbe et aux servitudes féodales qui lui sont liées ; dans ce cas aussi se manifestent les conséquences de l’absence de révolution « démocratico-libérale ».La classe paysanne reste conservatrice, porteuse d’une idéologie préindustrielle, archaïque, l’idéologie « du sol et du sang » (Blut und Boden), qui trouve un écho dans la culture romantique, dans l’idéalisation de la nature et de la terre, du monde traditionnel et statique et qui s’adapte bien au maintien de rapports de pouvoir de type patriarcal et paternaliste.
Quels furent au contraire les traits saillants du prolétariat industriel allemand ? La formation du prolétariat industriel va de pair avec la formation du capitalisme industriel. Comme l’industrialisation capitaliste fut rapide et radicale, la formation du prolétariat fut rapide et radicale. Le passage de l’industrie domestique, du petit commerce au travail dans la grande industrie fut improvisé et apporta tous ces phénomènes d’insécurité et de radicalisation que comporte tout processus rapide de transformation des conditions sociales. Ce processus créa les prémisses de la formation d’une classe prolétarienne nombreuse, politiquement disponible pour la création d’un puissant mouvement socialiste, militant dans ses méthodes de lutte et conscient des buts à atteindre.
L’histoire de la formation et du développement de la social-démocratie allemande dans les dernières décennies du dix-neuvième siècle est tout simplement une des pages les plus importantes de l’histoire du mouvement ouvrier en Europe. Elle représenta la seule menace sérieuse pour la stabilité du compromis entre l’aristocratie prussienne, le centre conservateur et la bourgeoisie libérale sur lequel s’appuyait le Reich de Bismarck et des Guillaumes. Son emprise sur le prolétariat industriel se renforça au cours des années de résistance à la répression impitoyable de la classe au pouvoir, si bien qu’elle devint dans les dernières années de l’empire, le parti populaire le plus puissant d’Allemagne. Toutefois, si cette opposition de près d’un demi-siècle renforça l’emprise populaire de la social-démocratie, elle en affaiblit la fonction révolutionnaire. Graduellement, deux esprits se développèrent à l’intérieur de la social-démocratie : théorie révolutionnaire et pratique réformiste, qui préludent à la division du mouvement ouvrier après la guerre avec la formation du parti communiste. Karl Kautsky et Eduard Bernstein sont les deux figures qui représentent ces deux esprits dont on note toutefois la présence dès l’origine de la social-démocratie : elles se trouvent déjà in nuce dans l’œuvre de Ferdinand Lassalle. Chez Lassalle, nous voyons apparaître, pourtant dans le cadre d’une pensée sociale et politique influencée par Marx, un des traits dominants de la pensée sociale allemande de l’époque que nous examinons.
 
LE MYTHE DE L’ETAT
La culture allemande, même la culture dissidente par rapport à la structure de la société et de l’Etat (à l’exception de l’aile marxiste orthodoxe), ne parvint jamais à se libérer complètement de la tradition idéaliste de modèle hégélien qui voyait dans l’Etat la réalisation la plus haute de l’idée éthique. Même Lassalle s’exprime en termes non dissemblables de ceux d’un Hegel ou d’un Treitschke : « Le but de l’Etat consiste… à mener à bonne fin la mission humaine,… l’Etat, c’est l’éducation et le développement du genre humain à la liberté. Voilà la vraie nature éthique de l’Etat… ». Dans la tradition hégélienne, l’Etat n’est pas comme pour Marx un instrument politique entre les mains des classes qui commandent, mais c’est une entité autonome, au-dessus des conflits sociaux, arbitre impartial de la lutte politique, garant du droit qui domine les intérêts particularistes qui dans la société bourgeoise sont inévitablement en conflit et en concurrence. C’est pourquoi l’Etat réalise sous leur forme la plus élevée ces valeurs que la société industrielle et bourgeoise tend à détruire et qui trouvent dans la famille et la communauté leur cellule originelle de développement. Comme dans la famille et la communauté les individus ne participent pas en tant qu’individus, mais en tant que membres, donc non pas en vertu de qualités personnelles et acquises, mais en vertu de qualités qui dérivent de leur appartenance à la famille ou à la communauté, l’Etat ne connaît point de droits à l’égard des individus, mais seulement des devoirs des individus en tant que membres de l’Etat, c’est-à-dire en tant que membres d’une famille plus large et omnicompréhensive.
On peut se demander comment il se fait que l’idée de l’Etat de Hegel a survécu à la crise de l’idéalisme et a été reprise, bien que sous des formes différentes, par la tradition postérieure, de modèle tant historiciste que positiviste, pour s’exprimer ensuite dans l’idée « démocratique » de l’Etat de droit qui de la conception idéaliste retient l’idée que l’Etat est supérieur aux partis et aux classes. La raison est à chercher dans la correspondance de l’image de l’Etat dans la culture allemande avec l’expérience de l’Etat allemand et la continuité de l’image n’est que le reflet de la continuité de la tradition politique et militaire de l’Etat allemand, de la Prusse au Reich de Bismarck et des Guillaumes, puis à la République de Weimar et, enfin, à l’Etat national-socialiste. Continuité qui est liée aux données permanentes de la situation de l’Allemagne comme puissance continentale sans frontières territoriales précises et insérée dans un contexte international où la guerre est toujours possible comme instrument dernier pour résoudre les conflits entre les Etats.
 
LE PESSIMISME CULTUREL ET
L’AVERSION POUR LA SOCIETE INDUSTRIELLE
L’explosion rapide et radicale de l’industrialisme en Allemagne n’est pas accompagnée, comme dans les sociétés d’industrialisation plus ancienne, de l’apparition d’une philosophie bourgeoise, utilitariste, qui d’un côté stimule et de l’autre soutient les nouvelles formes culturelles, les nouvelles habitudes et les nouveaux styles de vie apportés par la société industrielle. Max Weber, en indiquant les valeurs éthiques qui ont accompagné, promu ou tout simplement produit le développement capitaliste, note la différence profonde entre l’esprit protestant calviniste qui se répand dans la culture anglo-saxonne sous une forme individualiste et l’esprit protestant de modèle luthérien qui, au lieu d’encourager une activité acquisitive indépendante et libre de liens traditionalistes, favorise une attitude de subordination à l’autorité et à l’Etat. Peu nous importe pour le moment de déterminer si le faible développement du capitalisme industriel en Allemagne au début doit être imputé à la prédominance des valeurs éthiques du protestantisme luthérien au lieu d’une morale de modèle calviniste. Au contraire, il est important de noter que Max Weber a reconnu l’absence en Allemagne de ces valeurs culturelles qui accompagnent un développement capitaliste de type anglo-saxon.
Les valeurs dont la culture allemande est devenue porteuse révèlent en effet la non-acceptation de la société industrielle et indiquent dans le passage à cette société la perte d’un patrimoine naturel, la sortie d’un état de grâce et de félicité. A l’idéologie du progrès qui colore toute une phase de la pensée philosophique de l’Occident, de l’illuminisme au positivisme évolutionniste depuis Spencer, correspondrait dans la culture allemande une idéologie de la décadence, l’impression d’avoir perdu un bien originaire. L’affirmation d’un type de société où l’individu n’est plus assujetti aux servitudes de la tradition, au contrôle rigoureux des autorités, que ce soient celles de la famille patriarcale, de l’Eglise, de la communauté ou de l’Etat, n’est pas interprétée comme une émancipation et une libération progressives de l’individu, mais comme son asservissement graduel ou dramatique à la puissance impersonnelle de ladite société. La transformation des rapports sociaux dans le sens de leur rationalisation et de leur contractualisation croissantes est interprétée comme le passage de la spontanéité et de l’authenticité à l’artifice et à la convention. La domination croissante de l’homme sur la nature et la prodigieuse libération d’énergies et d’activité qui lui est liée, est entendue comme la rupture d’un équilibre parfait où se réalise l’harmonie entre le monde des hommes et le monde de la nature. Nous pouvons dire que la pensée allemande qui accompagne le processus d’industrialisation se développe dans une dimension dialectique et s’exprime par une série de dichotomies : privé-public, personnel-impersonnel, communauté-société, affectivité-rationalité, spontanéité-artifice, et chacune de ces dichotomies consiste à indiquer dans l’interprétation du cours de l’histoire la polarisation croissante des deux termes et, enfin, l’avantage que prennent les seconds sur les premiers.
L’œuvre où cette attitude apparaît peut-être le plus clairement est Communauté et Société de Ferdinand Tönnies. Dans la communauté, les individus vivent en sûreté, ils acceptent et respectent spontanément les normes qui gouvernent la vie communautaire, leur activité se déploie dans un horizon connu et ami, dans un réseau de relations et de rapports auxquels l’individu participe avec sa personnalité toute entière. Cette communauté connaît une forme de solidarité de type organique qui se réalise sous la forme la plus parfaite dans la famille, à la limite dans l’amour entre homme et femme, entre parents et enfants, rapports où les individus mettent tout leur être, corps et âme. La société ne connaît pas cette unité parfaite et organique. Elle atomise les individus qui s’éloignent irrémédiablement les uns des autres, elle isole les rôles que les individus sont appelés à remplir, elle rend spécifiques et partiels les rapports jadis diffus et totaux, elle connaît une seule forme de solidarité, celle du contrat. Le contrat est le symbole de la société, c’est en lui que les hommes s’unissent pour la réalisation de buts spécifiques et égoïstes, instaurent des rapports d’où sont exclues les composantes affectives de leur personnalité ; le contrat définit les termes du rapport sous la forme de prestations et de contre-prestations spécifiques.
Les composantes affectives sont confinées dans la famille, la vie privée est isolée de la vie publique, mais là encore cette ségrégation ne fait que couvrir l’empire de la vie publique sur la vie privée. Les rapports impersonnels qui existent sur le marché, donc les rapports d’échange, s’insinuent aussi dans la vie privée, dernier refuge de la communauté et minent l’authenticité même des rapports les plus intimes. L’amour prend lui aussi l’aspect d’un échange, d’un do ut des, il est relégué dans la position subsidiaire de soupape de sûreté par laquelle se déchargent les tensions accumulées dans le marché de la vie quotidienne qui réprime continuellement les composantes affectives. Peu importe ici de voir par un examen philologique de l’œuvre de Tönnies s’il a vraiment voulu dire tout cela ; Tönnies lui-même serait probablement horrifié de voir comment sa dichotomie a été reçue par la culture allemande. L’important est qu’il ait saisi et déterminé une composante qui, nous pouvons le dire, était dans l’air qu’a respiré toute une génération d’intellectuels allemands. Masquée sous des formes et par des terminologies diverses, elle apparaît dans une gamme très étendue de variantes chez des auteurs aussi différents par d’autres aspects que Max Weber, Verner Sombart, Georg Simmel, Max Scheler, Oswald Spengler, pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus grands. Ce qui ne veut pas dire que Tönnies ait influencé directement tous ces auteurs et d’autres encore, mais qu’il appartenait en un sens à la même matrice culturelle qui prenait ses racines dans la tradition romantique de la pensée allemande d’où sortira aussi, entre autres et en dernier lieu, le national-socialisme.
Mythe de l’Etat et pessimisme culturel sont donc les matrices culturelles du nationalisme allemand. Voyons maintenant comment il explosa une première fois à l’occasion de la première guerre mondiale.
 
LA REPUBLIQUE DE WEIMAR ET L’ECLIPSE DE L’ARISTOCRATIE 
La première guerre mondiale fut principalement la conséquence de la croissance rapide de l’Allemagne, de sa volonté de s’élever au rang de grande puissance. Par là, nous ne voulons pas attribuer à l’Allemagne, comme l’ont fait les puissances de Versailles et l’historiographie antiallemande, la faute exclusive de la guerre, mais seulement indiquer quel fut l’élément décisif qui provoqua la situation d’anarchie internationale, politique et économique, dont dépendit le déchaînement du conflit. Cette question de toute façon n’est pas au centre de nos intérêts immédiats qui se portent plutôt vers l’étude des conséquences de la guerre pour la société allemande. La guerre fut surtout une guerre nationale, en ce sens que le consensus collectif qui se heurtait à une structure de classe rigide opéra au niveau de l’idéologie nationaliste ; c’est par la guerre que l’insertion du mouvement socialiste dans l’Etat devint possible, que l’idée de l’Etat comme entité supérieure aux fractures structurelles de la société se consolida, que la suprématie de l’identification nationale sur l’identification de classe se réalisa, que la possibilité de neutraliser les conflits sociaux par la synthèse idéologique de la volonté nationale se manifesta. En bref, la guerre établit le primat du national sur le social, primat qu’annonçait déjà la pensée sociale des décennies précédentes.
Le pouvoir asservit la culture dans l’œuvre de justification de la guerre, mais ce fut un asservissement facile parce que la culture allemande avait été préparée dans les décennies précédentes à accomplir ce « sacrifice », à rendre ce service à l’Etat. Quand la guerre éclata, la culture allemande fit chorus (Weber, Sombart, Scheler, Meinecke, Delbrück, Hintze, pour ne citer que quelques noms) pour annoncer au monde la mission de l’Allemagne, mais au delà d’une idéologie fumeuse, la mission de l’Allemagne n’avait qu’une signification : imposer à l’Europe l’hégémonie allemande. La tentative fut un échec retentissant, non sans avoir semé la terreur et la destruction sur le continent et, dans la chute, elle emporta la structure politique qui l’avait soutenue : l’empire des Guillaumes. La défaite, l’écroulement des illusions et des mythes qui avaient accompagné la guerre remettent en discussion le compromis politique qui l’avait rendue possible.
La fin de l’Empire et la naissance de la République de Weimar représentent-elles une vraie « révolution » ? C’est une des questions les plus discutées de l’histoire de l’Allemagne moderne. La situation allemande en 1919 est sans doute une situation révolutionnaire ; les lueurs de la révolution d’octobre en Russie n’étaient pas encore éteintes et l’exemple russe avait convaincu beaucoup de gens de la possibilité d’une révolution en Allemagne aussi, soit parmi ceux qui souhaitaient l’accomplissement de cette perspective, soit parmi ceux qui la redoutaient. En fait, il y eut des mouvements révolutionnaires, la révolte des « spartakistes » (c’est ainsi que s’appelait l’aile révolutionnaire du mouvement ouvrier) en est l’exemple le plus lumineux, mais ils furent réprimés, la révolution échoua. Ainsi qu’en 1848 la classe aristocratique et militaire de la Prusse, avait étouffé la révolution libérale et bourgeoise, en 1919 la classe bourgeoise, alliée aux restes de l’armée en déroute et à l’aile modérée du mouvement ouvrier, étouffa la révolution prolétarienne ; les chefs de la révolte Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg furent assassinés.
Certes, l’aristocratie et les Junker perdirent leur position dominante, tout comme l’armée perdit, au moins temporairement, son rôle central dans la structure institutionnelle de l’Etat. Mais qui aurait été appelé à remplacer la vieille aristocratie préindustrielle ? La réponse à cette question constitue le noyau central de la pensée politique de Max Weber.
Déjà vers la fin de la guerre, il avait vu que l’Allemagne pouvait s’en tirer seulement si le Kaiser abdiquait la couronne et si l’aristocratie abandonnait à d’autres le gouvernail de l’Etat et de la société. « Il est dangereux — écrivait-il déjà en 1895 — et à la longue inconciliable avec l’intérêt de la nation qu’une classe économiquement en déclin conserve le pouvoir politique entre ses mains ». Mais tout en reconnaissant la nécessité du changement de la classe dominante, Max Weber ne sait pas indiquer quelle classe serait en mesure d’opérer la substitution. La bourgeoisie allemande n’est pas encore mûre politiquement, elle n’est pas montée politiquement dans la lutte contre les privilèges féodaux, et l’intérêt de la classe dominante a toujours tendu à cette immaturité. Avec l’écroulement de l’aristocratie féodale-militaire, la grande bourgeoisie demande ouvertement, et même trop ouvertement, une solution de type césariste, capable de la défendre contre les attaques des classes inférieures, une solution au fond qui la libère des responsabilités politiques directes. La classe ouvrière n’a pas davantage de maturité politique, elle n’est pas en mesure de conquérir et d’administrer le pouvoir, ni de produire dans son sein une classe politique qui soit à la hauteur de la situation. Seule une démocratie parlementaire assortie d’un exécutif fort est en mesure de faire la sélection d’une classe politique nouvelle, de leaders qui sachent guider l’Etat dans une situation qui a vu la fin des formes anciennes de légitimation du pouvoir.
Max Weber est l’inspirateur et l’interprète du compromis politique qui se concrétise dans la Constitution de la République de Weimar. Mais ce compromis ne représente pas un tournant révolutionnaire. La classe politique dominante a changé, c’est vrai. Personne dans l’Allemagne impériale n’aurait pu imaginer que le fils d’un savetier aurait pu devenir chef de l’exécutif et, qui plus est, en tant que porte-parole de la social-démocratie et par délégation du prolétariat. Mais cette substitution mise à part, rien ne change dans la machine de l’Etat ; la classe bureaucratique de l’Etat des Guillaumes reste à sa place et si, jadis, elle avait été au service de l’aristocratie de modèle prussien, elle n’entre pas alors automatiquement au service des nouvelles élites politiques ; l’exemple qui guide son comportement reste celui du passé et en face de la nouvelle classe politique elle se pose, plus ou moins consciemment, en garantie d’une continuité. Elle voit dans la nouvelle classe politique l’usurpatrice de la seule légitimité connue, la légitimité dynastique. Les valeurs de la classe aristocratico-militaire survivent à l’élimination partielle de la classe qui en était porteuse, comme les valeurs de l’Etat. La nouvelle classe politique ne laisse pas une empreinte nouvelle sur l’Etat, mais c’est plutôt l’Etat qui laisse la sienne sur la nouvelle classe politique.
 
LE NATIONALISME COMME EXPRESSION DES CONTRADICTIONS
DE LA SOCIETE ALLEMANDE
Nous avons vu comment l’avènement rapide et radical de la révolution industrielle en Allemagne avait bouleversé, mais n’avait pas détruit l’ordre féodal fondé sur une économie rurale, comment il avait créé une structure de classe où prolétariat et bourgeoisie apparaissent presque simultanément dans un cadre où l’Etat domine les diverses manifestations de la vie sociale et est entendu comme l’incarnation de l’esprit et du bien. Nous avons vu aussi comment ce processus se joint à une idéologie le réfléchissant et profondément hostile à l’idéologie démocratique qui va de pair en Occident avec l’avènement de la société industrielle. C’est pourquoi nous sommes en présence d’une situation sociale où les conflits de classe sont potentiellement explosifs et où les mécanismes et les valeurs de la démocratie parlementaire ne sont pas en mesure de contenir la dynamique des forces sociales. Dans cette situation, la solution ne peut qu’être offerte par une idéologie capable d’intégrer ce qui ne paraît pas intégrable (en annulant les conflits de classe tout en exploitant leur dynamique) et capable de récupérer sur une dimension différente ces biens originaires que le capitalisme et la société industrielle avait emportés. S’il est impossible de récupérer le contenu communautaire et organique de la vie sociale typique d’un monde rural et artisanal, il est cependant possible de proposer les mêmes contenus à l’échelle plus vaste de la communauté nationale.
La communauté nationale aussi, dans la manipulation idéologique qu’opère le nationalisme, est une unité organique, quelque chose de différent de la somme ou de l’ensemble des individus qui la composent et cette unité tire son origine non de l’histoire, mais de l’éternité où opèrent des puissances occultes, des mythes ancestraux qui font si bien que des hommes qui appartiennent à une seule race ou qui parlent une même langue doivent appartenir, non pas de leur propre volonté mais en vertu d’un destin insondable, à une même communauté. Ce qui nous importe, ce n’est pas tant pour l’instant d’analyser les aspects mythologiques de l’idéologie nationale dans sa version plus spécifiquement allemande, que d’analyser les fonctions qu’elle remplit dans cette phase particulière de l’histoire allemande que couronna l’avènement du nazisme.
On a déjà parlé de la première fonction précédemment : l’idéologie nationale rend possible une intégration nationale au-dessus des lignes de tension créées par le conflit de classe dans la mesure où l’identification avec la communauté nationale (pensée comme sacrée et éternelle) est préférée à l’identification avec la classe, c’est-à-dire dans la mesure où la conscience nationale se superpose et, à la limite, annule la conscience de classe. Mais c’est possible seulement quand l’idée de nation n’est pas rapportée à une abstraite communauté nationale, mais à l’Etat, c’est-à-dire au détenteur, pour le dire dans le langage de Weber, du monopole de la violence.
Le loyalisme à la nation devient donc le loyalisme à l’Etat et implicitement à la classe politique, au gouvernement. L’Etat allemand avait déjà éprouvé au cours de la première guerre mondiale combien l’idéologie nationale était un instrument puissant pour créer le consensus, pour effacer, même si l’oblitération n’était que partielle et temporaire, les fractures internes de la société. La défaite de l’Empire des Guillaumes n’est pas la défaite de l’Allemagne et encore moins de la nation allemande, le nationalisme jusque dans ses formes les plus dégénérescentes circule à l’état latent pendant toute l’histoire de la République de Weimar et reflète la situation d’un Etat affaibli sur le plan international mais infatigablement à l’œuvre pour chercher une occasion de revanche.
C’est en ce sens que se manifeste la seconde fonction fondamentale de l’idéologie nationale : elle fournit la justification idéologique de la tendance hégémonique et impérialiste de l’Etat allemand. Dans quelle mesure cette tendance hégémonique et impérialiste fut le produit de la dynamique particulière des forces sociales internes de l’Allemagne et du stade que le capitalisme avait atteint dans ce pays, ou bien le produit d’une situation d’anarchie et de désordre international, autrement dit de l’impossibilité de maintenir un équilibre stable dans les relations de puissance entre les Etats, c’est une question qui ne peut pas se résoudre exhaustivement dans l’espace restreint de cet écrit. Il s’agit de la question du primat de la politique extérieure sur la politique intérieure ou, vice versa, du primat de cette dernière sur la première, question que la culture allemande a débattu des décennies durant, les historiens qui se réclamaient de la tradition de Ranke, au premier rang desquels figure Meinecke, se rangeant d’un côté et, de l’autre, les historiens qui se réclamaient plus ou moins directement du marxisme et, en particulier, de la conception léniniste de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, parmi lesquels nous nommerons au moins Hilferding.
Il nous semble toutefois que le nationalisme allemand ne peut s’expliquer exhaustivement, tout comme les autres nationalismes européens, sans considérer l’Allemagne comme un Etat inséré dans une série de rapports internationaux que le traité de Versailles avait en vain cherché à régler durablement. Dans ce sens, si d’un côté le nationalisme allemand peut et doit être interprété comme l’expression des contradictions internes de la société et de la culture allemandes, de l’autre on ne peut pas le comprendre proprement sinon dans le cadre d’une maladie plus générale de l’Europe toute entière qui s’exprime par l’impossibilité de maintenir la paix internationale en dehors d’un précaire équilibre armé entre puissances souveraines absolument.
Du reste, l’Allemagne ne représente qu’un cas limite ; les contradictions que nous avons relevées dans la société allemande se retrouvent aussi dans une plus ou moins grande mesure dans d’autres pays européens. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque l’Italie était sous le pouvoir fasciste et que des mouvements analogues se répandaient un peu partout.
 
LES CONDITIONS SOCIALES DU NATIONAL-SOCIALISME
L’histoire de la République de Weimar peut être interprétée comme le résultat de l’incapacité croissante de la classe politique allemande, social-démocrate et centriste, de créer une base de légitimation démocratique pour les institutions républicaines nées de la crise de 1918-19. Le compromis politique entre bourgeoisie et prolétariat, qui avait rendu possible la fondation de la République, subit un processus constant de corrosion et s’écroula enfin par suite de l’incapacité de répondre au défi lancé par la crise économique. Le premier élément de faiblesse d’un équilibre politique sur la base du compromis entre bourgeoisie et prolétariat est constitué par la scission du mouvement ouvrier en tendance communiste et tendance social-démocrate, entre l’orthodoxie révolutionnaire des communistes et l’orthodoxie doctrinale assortie de réformisme politique et de l’acceptation du parlementarisme des social-démocrates. Le second élément de faiblesse du compromis weimarien résulta au contraire de l’incapacité de neutraliser les résidus de l’ordre féodal-militaire ancien qui trouvaient toujours dans l’armée leur interprète et leur porte-parole, mais qui se ramifiaient diversement jusque dans les milieux de la bureaucratie de l’Etat et de la petite bourgeoisie. La politique extérieure substantiellement revancharde des gouvernements de la République dei Weimar, la tentative constante d’annuler les clauses imposées à Versailles, alimentèrent au lieu de neutraliser les courants antidémocratiques de droite qui dès le début avaient vu dans la République un ordre politique transitoire, imposé par les puissances victorieuses. C’est dans ce climat politique, dans l’atmosphère culturelle du Déclin de l’Occident de Spengler et au milieu d’une crise économique sans précédent que l’Allemagne assiste à l’apparition du national-socialisme. Le sociologue américain S.M. Lipset a avancé la théorie suivant laquelle le fascisme naît de cette même classe moyenne qui, à l’origine du capitalisme, avait été porteuse de l’idéologie libérale et qui, maintenant, se voit au contraire menacée d’un côté par le pouvoir du mouvement ouvrier et syndical et, de l’autre, par le pouvoir des grands ensembles productifs, bureaucratiques et monopolistiques. La réaction à l’idéologie de la société industrielle avancée (qui s’exprime en termes de rationalisation et de bureaucratisation) se trouve être un des éléments principaux de l’idéologie fasciste. D’un point de vue psychologique, H.D. Lasswell arrive aux mêmes conclusions : le succès du nazisme est explicable par l’impression d’insécurité des couches inférieures de la classe moyenne et le transfert de cette insécurité sur une protestation politique extrême. Ces hypothèses sont confirmées par l’analyse des résultats électoraux qui voient l’affirmation du parti national-socialiste ; ce dernier, qui a obtenu 2,6% des suffrages aux élections de 1928, en réunit 43,9% à celles de 1933. Or, tandis qu’au cours de la même période les partis d’extrême droite et d’extrême gauche perdent des voix dans une mesure limitée ou tout simplement en gagnent, les partis du centre (à l’exception du parti catholique) qui avaient été la base de la République de Weimar tombent de 28 à moins de 3% des suffrages. L’origine sociale du vote nazi dans les années dramatiques et fatales de la crise économique ne laisse aucun doute : il s’est agi d’une réaction des classes moyennes à l’instabilité politique et économique, au compromis politique et aux institutions parlementaires de la République de Weimar. Mais indiquer le fascisme comme un pur phénomène de la classe moyenne ne permet pas de saisir tous les aspects du national-socialisme en Allemagne. Comme l’a relevé l’un des plus pénétrants des sociologues allemands de l’après-guerre, Ralph Dahrendorf, l’élément particulier de la situation allemande en 1933 consistait en l’alliance, dans l’œuvre de destruction des institutions démocratiques, de la vieille couche supérieure d’inspiration, sinon d’extraction, prussiano-féodale et du nouvel extrémisme centriste, la première pour la restauration de l’ordre autoritaire ancien, le second pour l’instauration d’un ordre totalitaire nouveau et en l’alliance de l’une et de l’autre avec la grande bourgeoisie industrielle qui voyait dans les commandes militaires de l’Etat la solution de la crise économique. Ce n’est pas le hasard si le chancelier, dans le premier cabinet national-socialiste, s’appelait Hitler et le vice-chancelier Von Papen.
Ce qu’il advint est connu de tous, le national-socialisme, après avoir entrepris une œuvre radicale de transformation nationale et avoir donné le branle à une industrie de guerre sous le contrôle direct de l’Etat, se libéra des compagnons de route gênants qui en avaient facilité la montée et lança l’Allemagne dans une aventure qui a bouleversé l’ordre économique, social et politique et la conscience morale de l’Europe et du monde.
 
CONCLUSION
Notre hypothèse fondamentale sur l’origine du national-socialisme devrait ressortir assez clairement de ce qui a été dit. Reformulons-la plus explicitement : le nazisme est né de la coïncidence de deux situations explosives, d’un côté les contradictions de la structure de la société allemande, conséquence de la singularité du développement capitaliste depuis 1870, de l’autre, l’anarchie internationale, c’est-à-dire l’impossibilité de régler les rapports entre les Etats sans avoir recours in extremis à la violence organisée, en d’autres termes, la possibilité permanente de la guerre. La coïncidence de ces deux situations explosives a rendu possible la prise du pouvoir par une élite politique révolutionnaire qui, toutefois, a trouvé dans des courants profonds de la culture allemande un terrain fertile sur quoi appuyer ses prétentions au pouvoir ; ces courants profonds sont : le mythe de l’Etat, l’idéalisation romantique de la nation, communauté organique (ou biologique, dans le cas des théories de la race) et le pessimisme culturel qui s’exprime dans l’hostilité aux formes de vie de la société industrielle.

 

 

 

 

 

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